Alors je dirais que c'est clairement pas un mauvais jeu, mais il a quand même de sacrés défauts ; et notamment celui de pas vraiment être un bon jeu ... :/
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De base y'a des supers idées, et notamment le jeu nous invite à un fascinant voyage à une époque où la religion était la base du ciment social (comme le moteur de l'exploitation des plus faibles, aussi), et pour ça le jeu offre une expérience non seulement inédite, mais qui amène de fortes réflexions qui restent complètement d'actualité (le poids des traditions et des superstitions, et les faiblesses du fonctionnement de notre cerveau qui permet à ses graves errances de prendre racine ; et toute l'évidence inattendue et l’ambiguïté que cela revêt, tant individuellement que socialement, tant rationnellement que moralement).
Le tout via une histoire qui englobe des enjeux encore plus universels et interpellants.
Bref, les ambitions sont énormes narrativement parlant ... et malheureusement très partiellement concrétisées. Car si on peut louer des personnages riches et une intrigue aussi stimulante que passionnante sur ses fondamentaux, on ne peut que regretter une écriture terne, très mécanique et utilitaire (en dépit de bonnes caractérisations tant des personnages que des enjeux), un manque de rythme et d'incisivité dans le déroulé des évènements, et une façon de trainer en longueur qui m'a rapidement donné des sueurs froides (oh naaaan, pas encore une phase de jeu où il va falloir que je fasse encore tout le tour du village pour épuiser toutes les lignes de dialogues disponibles !!!). En plus les dialogues souffrent de nombreux faux raccords qui brisent la crédibilité des situations ; et les effets d'écriture manuscrite sont bien gonflants à la longue (mais pourquoi ne pas les avoir cantonnés à certains rares moments en exergue, comme les titres de chapitres p.ex. ?)
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On va rapidement évacuer l'aspect artistique, en grosse demi-teinte : idée cool d'aborder un style "médiéval", avec qqs moments de grâce, mais globalement ça fait surtout souvent pas-vraiment-médiéval-en-fait??, et c'est le plus souvent techniquement extrêmement pauvre (pour ne pas dire indigne, quand on voit qu'on n'est même pas au niveau de jeux indés bricolés par une poignée de geeks boutonneux dans un garage (ni en terme de qualité, ni en terme de diversité)) ; le tout aggravé par une animation immonde à base de transformations vectorielles utilisées de la façon la plus basique et bas de gamme qui soit.
Bonne ambiance sonore sinon, même si chaque tableau propose un ensemble de sons vite répétitifs. Et musicalement y'a vraiment pas grand chose mais les rares pièces sont superbes et c'est un grand regret qu'il en soit fait un usage si timoré ... et en plus souvent très mal à-propos ... :/ (grosse musique emphatique soudaine à un moment où ça n'a rien à faire là, quand à l'inverse des moments majeurs sont musicalement laissés à un terrible abandon, et y'a rien même dans les moments où la musique serait logiquement attendue ne serait-ce que diégétiquement parlant (?) ...)
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Pour le reste, la partie "vidéo-ludique" est assez lamentable.
Même les déplacements sont invraisemblablement laborieux, avec p.ex. les escaliers qui sont généralement juste du décor, bien que sur certains tableaux on peut les emprunter via une icône cliquable de changement de lieu ; mais aussi à certains moments on peut (et doit) les emprunter en quittant le rail unidimensionnel auquel on est habituellement contraint, par une contorsion contre-nature du stick ..... (et évidemment sans que rien ne l'indique nulle part).
Mais on pourrait simplement aborder le dirigisme ahurissant dont le jeu fait preuve, que ce soit par ses "ah je devrait aller au réfectoire" "ah je devrais aller parler à Martin" "ah je crois que je n'ai plus rien à faire ici" "ah je devrais aller me coucher", ou ses icônes dispersées dans chaque écran qui préviennent à l'avance de tout ce sur quoi il faudra cliquer. Et à l'inverse le jeu nous gratifie de certains choix de dialogues (pseudo)décisifs, qui se trouvent gouvernés par un arbitraire tellement absurde qu'il annihile de lui-même toute sensation d'implication dans des choix (et en fait toute réelle notion de choix). Reste les qqs moments d'enquêtes, dont la liberté laissée de faire condamner qui on veut (bien sûr dans la limite d'éventuelles preuves suffisamment compromettantes qu'on aura pu amasser) reste une réussite brillante ! Dommage que les conséquences soient aussi ténues (voire inexistantes), et surtout que les mécaniques d'enquêtes soient aussi bancales, centrées sur cette distribution du temps binaire et incohérente (certaines investigations ciblées feront automatiquement passer une demi-journée, quand en dehors de ces activités fléchées vous aurez tout loisir de fouiller et interroger le village de fond en comble sans voir la moindre minute défiler). Ah oui, et j'allais oublier sinon l'aspect (très !)light RPG, pauvre et en fin de compte juste inutile. (La comparaison, sur tous ces aspects, fait forcément très mal après un Disco Elysium, dans lequel il est d'ailleurs difficile de ne pas voir une énorme source d'inspiration.)
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Bon, bref ... Y'a vraiment des idées géniales sur le contexte et les enjeux dramatiques que Pentiment développe, mais toute la mise en œuvre (y compris narrative, malheureusement) laisse à désirer. Quel dommage ! J'en reste quand même marqué par la puissance de certains questionnements qu'il ouvre sur les religions, les superstitions, les traditions.