Bavière, XVIème siècle. La réforme luthérienne se pointe à l'horizon, les révoltes paysannes secouent le tissu social du Saint Empire germanique. Un jeune artiste, Andreas Maler, passe la fin de son apprentissage dans le double monastère (à la fois une communauté de moines et de nonnes, même si ils et elles vivent séparé.e.s) de Kiersau dans le quel il illustre des manuscrits mais travaille également sur sa masterpiece.
Au pied de la colline sur laquelle repose l'abbaye se situe le village de Tassing, petite bourgade où tout le monde, artisans comme paysans, se connaît. Andreas loge dans une petite chambre à l'étage de la ferme de la famille Gertner qui connaît des soucis financiers consécutifs aux augmentations de taxes qu'impose l'abbé au tiers état local.
On peut parler aux villageois de Tassing. Assez vite, à travers nos choix de conversations on pourra établir le background d'Andreas Maller. Où a t'il vécu durant ses jeunes années d'errance ? Comment passait-il son temps libre ? Qu'a t'il étudié ? Ces différents éléments offrent de nouveaux choix de dialogues.
Car on parle beaucoup dans Pentiment. On lit beaucoup aussi. Il n'y a pas de doublage mais un peu comme dans un J-RPG, la réplique qui s'écrit dans sa bulle est accompagnée d'effets sonores. Plus précisément d'une plume qui gratte le parchemin. A mille lieux des polices moches des remasters/remakes de Square Enix, l'écriture est belle et calligraphiée. Elle se compose devant nos yeux, d'abord les lettres noires puis les lettres de couleur pour les mots importants (pas le truc le plus pratique de devoir attendre que ces mots s'affichent alors qu'on a la fin de la phrase mais parti pris intéressant). Parfois il y a des fautes, les lettres fautives sont effacées puis réécrites en direct. Le soin du détail est là et fait écho aux thèmes portés par le jeu : l'écriture, le savoir, la mémoire transmise, l'accès à la connaissance, ses vertus et dangers. La calligraphie s'adapte aux personnages. Plus gothique et travaillée pour les personnages ecclésiastiques, plus "note libre" pour les personnages du commun. Pour les personnages liés à l'imprimerie ou dont le savoir est issu d’œuvres ainsi matérialisées, le texte s'imprime directement, main dans la main avec le son d'une presse d'imprimerie (ce qui règle le problème d'ergonomie des mots en couleur, parti pris j'ai dit).
Imprimerie car oui, le monde est en proie à des bouleversements. L'arrivée de la Gutenberg met en péril l'activité des moines copistes du scriptorium de l'abbaye et donc les revenus qu'elle génère. Perte de revenus que l'Abbé fait alors porter à la population locale. La diffusion plus large rendue possible par la technique permet aux tracts militants de circuler au sein d'une population révoltée, au savoir et donc à la mise en question des dogmes dominants. Bref, les évolutions technologiques ont des effets sociaux structurants. Karl Marx aimerait Pentiment.
Assez vite dans le jeu un meurtre est commis. Pour votre personnage, l'accusé est innocent. Commence alors une enquête pour réunir des preuves de la culpabilité d'un.e autre que l'on enverra à la peine capitale. Ce sera notre choix et il faudra en assumer les conséquences.
Il y a un petit côté Twin Peaks à l’œuvre d'Obsidian. Une petite communauté soudée dont on apprendra à connaître les ressortissants, leurs liens familiaux, certains de leurs secrets... Le village de Tassing est construit sur des couches historiques successives. D'abord païens, peuples celtiques pour être précis (non explicité par le jeu mais l'art qu'ils ont laissé sur lequel on mettra la main + un petit tour sur la page wikipédia de la Bavière nous l'indique) puis romains puis germaniques christianisés. La maniabilité est point & click mais le fond de l’œuvre est RPG, mettant l'action sur nos choix, en fonction de notre background.
On s'attache vraiment aux différents personnages que l'on rencontre. Il y aura des rires, des larmes, des déchirements et des décisions difficiles.
Le travail des développeurs d'Obsidian est ici assez érudit. Toute une bibliographie vient compléter le générique de fin. Ça a clairement bossé dur sur la partie recherche. On est sur un jeu très littéraire avec une foultitude de référence. Ce n'est jamais pesant pour autant (il faut quand même aimer lire) car tout est écrit de façon suffisamment vivante et concise pour ne jamais avoir l'impression d'avoir à lire des pavés de texte à la Planescape Torment et autre Pillars of Eternity, bien moins intéressants au niveau de la présentation des dialogues, pour rester dans la lignée d'Obsidian Entertainment.
Pentiment parle de religion, d'interprétations, de syncrétisme, de foi, de vérité, d'ambition, des conséquences de nos choix et de nos erreurs, de remords, de regrets, de repentir (c'est le titre du jeu), de la difficulté d'affronter sa propre vie, des barrières psychologiques et biais confortables que l'on érige pour se protéger, de la place des femmes dans la société post-médiévale, de la lutte des classes, de la révolution, de la violence institutionnelle ou de celle, révolutionnaire. C'est un jeu tout en nuance qui pose beaucoup de questions sans y répondre car c'est à nous de le faire à travers les choix de notre personnage.
Quelques énigmes très simples viennent ponctuer l'aventure. Elles sont plus là pour apporter de la variété que pour vraiment nous faire nous remuer les méninges même si l'enquête est assez libre pour qu'on ait besoin d'utiliser ces dernières pour bien creuser les différentes pistes disponibles (+ peser les choix de dialogues parfois assez portés dilemmes). Elles font partie des quelques mini-jeux ou mises en scènes originales et bien pensées qui offrent une variété fort appréciable aux différentes situations. Une discussion en mangeant, filant ou en jouant aux cartes (please Obsidian, donnez nous la possibilité de jouer à ce jeu addictif en bonus) est plus intéressante visuellement et sur le plan ludonarratif que de simples dialogues statiques. Cependant, ces derniers sont eux aussi agrémentés des fantaisies calligraphiques sus-citées, les exclamations devenant des éclats d'encre et l'environnement s'anime parfois, apportant au phases de dialogue quelques éléments d'ambiance ou de narration. Et ça fait du bien de voir un jeu tenter des choses et se montrer créatif sur sa mise en scène et ses éléments de gameplay, il y a une vraie volonté de proposer quelque chose.
Le jeu est absolument magnifique avec un style graphique inspiré des illustrations de la période. Il est tout à fait plaisant de parler aux différents personnages. L'aspect RPG se forme à travers des choix de conversation dont certains auront des conséquences. A l'instar des jeux Telltale et compagnie, avec tout de même des conséquences plus importantes, il arrive que les personnage "se souviendront" de ce qu'on leur raconte. Au moment où il s'agira de les convaincre de dire ou faire quelque chose, ces choix feront monter ou descendre une jauge, invisible jusqu'à la résolution, on ne sait jusqu'au dernier moment que si notre choix de dialogue a eu une influence, sans savoir si elle est positive ou négative ni à quel point. On peut parfois deviner à la réaction du personnage, parfois beaucoup moins. Si la jauge est remplie, le protagoniste aura gain de cause, sinon c'est raté. Dans un cas comme dans l'autre, à la résolution du dialogue, on a la possibilité de voir quels choix nous ont fait réussir ou échouer et en quelle proportion. S'en souvenir pour le prochain run est une bonne idée. Les choix de répliques supplémentaires rendus disponibles par les backgrounds que l'on aura choisi pourront faire partie de ces répliques à effet positif, parfois ce sera l'inverse (ne pas cliquer bêtement sur le choix offert par le background si il ne correspond pas à l'idée que vous vous faites de votre personnage ou à la situation. Par exemple, les répliques grivoises d'un personnage au background hédoniste peuvent mal passer avec certains interlocuteurs dans cette Bavière très chrétienne, parfois elles ont plutôt un effet positif mais elles sont souvent un poil cringe !).
Tout cela et les nombreux choix parfois majeurs que l'on peut faire dans le jeu feront évoluer l'intrigue et le monde de Pentiment dans des directions différentes qui deviendront elles même le point de départ de futurs choix. MAJ après une run et demie : si les conséquences de nos choix restent significatifs, les grandes lignes de l'histoire restent statiques, dommage mais attendu. Même sans combats et statistiques explicites, Pentiment est un vrai RPG à l'occidentale qui met en lumière l'expertise d'Obsidian sur le sujet. Ne pas réussir à convaincre un personnage offre également des pistes scénaristiques. Le jeu est fait de façon à ce que certains personnages ne soient absolument pas convaincables si l'on ne possède pas le bon background mais ce n'est pas grave car d'autres si. On est alors jamais vraiment pénalisé de ne pas avoir choisi le bon background pour convaincre chaque personnage. Cela offre au titre une grande rejouabilité.
Pour ses graphismes et musiques magnifiques, pour son scénario intelligent avec lequel on se couchera moins bête, philosophiquement abouti sans didactisme artificiel, pour l'impression qu'il donne de vraiment avoir une influence sur le monde, pour sa galerie de personnages mémorables, pour le côté unique de chaque run selons nos choix et background, jusqu'aux détails les plus tardifs (un certain bûcher, les vrais savent) Pentiment est un grand jeu. Un grand RPG.