“Donc c’est Persona 4, c’est le 4ème opus de la série ?”
“Alors non le 5ème. Et y’a eu les shin megami tensei, dont un Persona. Mais pas tous.”
“Hein ? Et pourquoi ils s’appellent pas tous pareil ? Et pourquoi “Golden”, y’a une version pas golden ?”
“Alors oui mais sortie uniquement en Ouzbékistan une nuit de marée haute et…”
Voilà. Je ne vais pas aller plus loin pour l’intro, les Persona, c’est le gros bordel, au point que j’avais déjà joué à un jeu de la saga cousine (Lucifer’s call. Très bien, Lucifer’s call) sans même le savoir.
Persona 4 Golden absolute edition, pension complète, incluant le petit déjeuner, donc. Critiquons.
Bizutage de rentrée
Vous incarnez un lycéen - visiblement pas parfaitement normal - se retrouvant pour une année à Inaba, petite ville nippone sans histoires, qui va bien évidemment se faire sortir de sa tranquillité aux forceps, suite à une série de meurtres étranges, impliquant mondes parallèles et creepypasta. Et comme la Police est bien entendu occupée à être dépassée et inefficace, c’est vous et votre troupe de copains qui allez mener l’enquête.
Ici pas de sauvetage du monde (bon ok un peu mais pas sous la forme la plus attendue), le groupe va “simplement” devoir découvrir l’identité du tueur en série qui sévit en ville. Ce qui leur demandera une année, émaillée des événements scolaires habituels dans la vie d’un lycéen japonais : classe verte, examens, grandes vacances… ici c’est moins l’ambiance polar qui prime que celle d’instantané nostalgique, de récit de fin d’adolescence, fleurant bon le ramen, le feu d’artifice et les amours d’été. A jouer des années après, on a réellement la sensation d’être dans un souvenir plus que dans le “présent” diégétique du jeu.
Quant au mystère des meurtres, il se dévoile peu à peu, à coup de fausses pistes, de possibles coupables, de morts surprises et de gaffes récurrentes de la police. L’histoire est simple mais très bien construite et l’identité du/de la coupable pas si évidente qu’il y paraît, au contraire. Le personnage est surtout une cristallisation de ce que le jeu raconte sans narrer : la désertion et l’isolement d’une ville rurale, où les seuls divertissements sont la télévision - vecteur de mort dans l’histoire - et le grand centre commercial vidant peu à peu le quartier traditionnel de ses commerces et transformant Inaba en ville dortoir. Si Persona 4 n’est pas un grand drame social, il encapsule vraiment bien cette apathie, ce décrochement de certains individus, condamnés au vide, le sort des petites villes promises à l’abandon face aux grandes métropoles.
Et en opposition, toute la positivité du groupe de personnages face à cette dangereuse dégringolade.
La bande des losers, version okonomiyaki
Vous allez regrouper autour de vous une petite troupe d’ados, bien décidés à arrêter le tueur après être passés par son épreuve de l’enfer : celle d’être balancés dans un monde parallèle, bâti sur leurs angoisses, où leur persona - leur moi profond- déchaînée risque de les mettre à mort.
Ici, on conserve les stéréotypes des personnages de fiction japonaise (le meilleur pote un peu con, le voyou, la bombasse qui minaude, le garçon manqué qui pète des gueules, la prude…) mais Persona 4 travaille plutôt bien à les rendre attachants, via un système de “social link” qui vous incite à échanger le plus souvent possible avec eux et à leur consacrer du temps pour en apprendre plus et lier des amitiés solides, amitiés qui renforceront les persona de chacun et donc les aptitudes au combat. Il y a un sacré casting de personnages - plus d’une vingtaine - avec qui vous pourrez tisser des liens, explorer de petits drames personnels, des doutes, de familles qui ont du mal à tenir, de parents absents, de projets d’avenir assombris… le jeu essaie toujours de garder un ton positif et au final tout ça finit plutôt bien, mais pour peu que la situation des personnages fasse écho chez le joueur, on se sent d’autant plus accroché par ce que Persona 4 propose.
Néanmoins, l’écriture reste plutôt gentillette - très aboutie pour un jeu de l’ère PS2 - mais on est quand même loin de la maturité voulue. De plus, le jeu traite de sujets sensibles comme l’homosexualité, l’hypersexualisation des mineurs (voire la prostitution…), le transsexualisme, le harcèlement… mais semble embarrassé par ces thèmes. Témoin, le principal personnage supposément bi dont l’orientation sexuelle n’est finalement jamais assumée et davantage source de blagues (et je vais pas revenir sur les blagues de gros ni le comportement particulièrement craignos du personnage de Yosuke. Non. On va éviter). Le jeu a 15 ans, ça se voit et on sent bien qu’il a encore du mal à s’extirper des cases bien fermées des J-RPG où tout est rangé, où tout le monde est bien décoratif comme il faut. On peut saluer l’exploit d’essayer, et soupirer de le voir échouer en partie. Mais bon. 2008. On pouvait pas trop en demander, je suppose… Que le jeu parvienne déjà à envisager une amitié réelle et sans ambiguïté entre filles et garçons est déjà un petit exploit. Les personnages restent de chouettes compagnons avec qui mener l’enquête et sont suffisamment nombreux pour que chaque joueur y trouve son compte. Et sa waifu, puisque vous pouvez naturellement repartir avec une petite amie.
Enfin si vous avez le temps de draguer, car le temps, ici, c’est le nerf de la guerre.
Alors à 13h tu as poterie, à 15h tu as curling et à 17h tu sauves ta pote d’une mort certaine
La mécanique centrale de Persona 4 est la gestion de votre emploi du temps : vous avez une année pour terminer le jeu, chaque jour étant découpé en deux grandes phases : l’activité de l’après-midi/journée et celle du soir. Vous pouvez passer du temps avec vos compagnons, vous rendre dans les donjons pour vous entraîner ou vaincre les boss, travailler pour gagner quelques yens, planter des légumes, attraper des insectes, pêcher, vous rendre en ville voir un film, etc.
Naturellement, vous êtes limité à une activité par jour et une par soir, celle du soir pouvant être annulée si vous vous êtes rendu dans un donjon au préalable, obligeant votre personnage à se coucher directement. Enfin, vous avez des deadlines pour vaincre les différents boss : au-delà d’une certaine date, si la victime du tueur n’a pas été libérée de son donjon, elle est assassinée et c’est un game over. Autant dire que bien planifier vos semaines - certaines personnes ou activités n’étant disponibles que selon la météo, le jour, ou la période de l’année - sera crucial. Et on a vite fait de délaisser une activité/un personnage et de s’y perdre. Le jeu est plus que généreux en quêtes, mini jeux, caractéristiques à booster et possibilités, proposant des journées sans temps mort, voire définitivement trop courtes. Surtout qu’en réalité, vous n’aurez que 9 mois pour résoudre l’enquête et non 12. On ne s'ennuie jamais dans Persona 4 et on a toujours envie d'en voir plus, d'en faire plus, au point parfois d'avoir besoin de se rappeler qu'on a une mission principale (j'appelle ça l'effet Alduin...)
Et bien entendu, le jeu nous impose régulièrement des évènements qui vont venir tout réorganiser : des semaines d’examens qui vous empêcheront de faire quoi que ce soit, des phases de révision obligatoires, des journées de classe verte ou tout simplement des phases de scénarium où vous ne pourrez pas agir.
Ces phases sont d’ailleurs parfois un peu trop longues, voire mal utilisées : on passe ainsi plusieurs soirées au festival de l’été de la ville, à parcourir les stands… uniquement via des cinématiques. Aucun mini jeu ni interactivité possible. Cette suite de cinématiques, particulièrement concentrée en milieu de partie, constitue vraiment le “ventre mou” du jeu, alors qu’elle met en scène les rapports entre les personnages, qui évoluent, des moments de partage pendant les vacances, cristallisant le propos de fond de Persona 4 : le lien nécessaire pour avancer, grandir et devenir la meilleure version de soi-même. Il est dommage de se dire que l’apogée de ce pan de l’histoire est desservie par la sensation de regarder un anime vaguement interactif plutôt que de le vivre (d’autant qu’une majorité de ces phases sont précédées de cinématique toute en animation). Ça reste joli, mais frustrant. Oui, il y a de très jolis passages, oui le propos de fond est plutôt bien rendu (une fois passé les quelques moments cringes évoqués plus haut) et oui on ressort avec cette sensation un peu mélancolique d’avoir passé par procuration quelques jours dans son adolescence révolue, tant ces moments tapent juste. Mais ça reste une petite faute de rythme parfois un peu pénible, surtout liée à une répartition qui aurait pu être mieux gérée et constitue le second défaut du jeu.
Le troisième restant… sa partie RPG.
Tu as croisé Bouddha ? Mais rattrape le et fais lui cracher ses dents !
L’idée de base des portions de combat est de générer procéduralement des donjons à plusieurs niveaux, donjons reflétant la psyché profonde de la personne qui l’a créée : on remonte les différents niveaux, arrivé au sommet, on défait “l’ombre” de la personne, lui permettant ainsi de récupérer une persona et donc de combattre à vos côtés. Simple, bien huilé.
Le système de combat est un classique tour par tour avec attaque, garde, compétences. La petite spécificité ici est qu’il est possible de demander à vos équipiers de se gérer eux-même - en donnant tout de même une directive sur la stratégie à adopter - ou en décidant de les contrôler entièrement, de manière classique. Une excellente idée, d’autant que le changement de tactique peut se faire même en combat. Pour le reste, on est sur du J-RPG classique, avec une mécanique de point fort et point faible, pouvant occasionner la perte ou le gain d’un tour et la prise d’un avantage ou au contraire une faille assez douloureuse dans l’équilibre des forces.
La gestion de votre personnage s’articule entièrement autour des fameuses persona, que l’on peut équiper, changer, renforcer ou fusionner afin d’en obtenir des plus puissantes, tout en conservant certaines compétences, afin de bâtir une équipe aussi polyvalente que possible (certaines activités hors donjons vous permettant d’affiner la liste des compétences).
Les combats fournissent également aléatoirement une carte à piocher et choisir qui donne bonus d’XP, d’argent, soin de l’équipe, acquisition d’une nouvelle persona ou points supplémentaires pour celle équipée par le héros.
Globalement, la plupart des éléments de gestion de l’équipe, des combats et des persona ne sont pas forcément originaux pris séparément (surtout quand on a déjà joué à un autre jeu de la série) mais forment un ensemble cohérent.
Mais il reste un souci de taille : le rythme, déjà et la difficulté, surtout.
Vous ne pouvez pas sauvegarder dans les donjons. Tour par tour oblige, les combats sont longs, les animations sont longues, la danse de victoire est longue, le décompte des points est long et cette phrase est aussi longue que tout ça. Et le jeu est dur. Il ne sera pas exceptionnel de se faire tanner le cul par un groupe de mob grognons. Et donc de perdre tout ce qui a été farmé jusqu’ici. J’ai personnellement joué en normal et après avoir perdu pour la quatrième fois des heures de jeu dans les donjons, tout ça pour faire des chatouilles au boss quand il me défonçait la gueule, j’ai abandonné et poussé les curseurs en facile.
Persona 4 golden est parfaitement conscient de ne pas être un jeu simple : il propose de customiser sa difficulté via les dégâts reçus/infligés, l’argent ou l’XP gagnés, etc… mais la conséquence c’est qu’on doit déséquilibrer la balance du jeu pour ne plus s’arracher les cheveux. Parce que navré, je ne considère pas que recommencer deux heures de jeu régulièrement et revoir dix fois la cinématique d’un boss pour espérer lui éclater enfin les rotules soit une difficulté motivante. Oui, elle est liée à l’âge du jeu. Oui la version Golden améliore ce point. Mais il n’en reste pas moins que la partie RPG de par son rythme, sa structure, sa difficulté et son temps limité (il y a toujours des deadline pour finir les donjons) demeure la moins plaisante de Persona 4. Reste la gestion des persona et de la stratégie à proprement parler qui restent riches pour qui aime l'optimisation (n'importe quelle personne qui aime le J-RPG quoi...)
Je suis toi, tu es moi…
Ok, pour un jeu de l’époque PS2, Persona 4 est dingue dans ce qu’il propose, outre les trois dimensions, visual novel dans les liens sociaux, minijeux en nombre et portions RPG, on est clairement sur un titre majeur, le “Golden” apportant des ajouts bienvenus (des personnages, des lieux, des événements en plus…) mais sur un socle déjà parfaitement solide.Sa localisation reste vraiment nickel, la traduction est très propre, bien actualisée, les graphismes ont été lissés et pour de la PS2 c’est plutôt beau visuellement. Mais c’est un jeu de 2008, ce qui veut dire que certaines choses ont vieilli.
Il y a déjà les thèmes maladroitement abordés par un jeu qui hésite constamment entre sérieux et blagues et qui manque clairement de maturité pour les traiter sereinement - y compris sous l’angle de l’humour, pas obligé d’être sinistre pour être intelligent.
Il y a ces problèmes de rythme, de phases non jouables trop longues, trop bavardes, qui frustrent et donnent parfois l’impression de ne pas contrôler ce qui devrait être un jeu et penche dangereusement vers l’anime interactif, avec une rejouabilité limitée par son absence de hasard.
Et il y a la partie RPG à proprement parler, qui est ouvertement le point faible du jeu : le tour par tour imposant un rythme de combat assez lent, couplé à un farm nécessaire qui rendent les phases de donjon pénibles et pourtant indispensables.
En revanche, que tous les défauts ou presque du jeu soient imputables à ses quinze ans d’âge montre à quel genre d'œuvre on a affaire.
Je n’ai pas parlé de la musique ou des doublages, eux aussi au top, au fait que le jeu tourne sans bug et sans crash sur un PC - et ne nécessite pas une machine de guerre, de l'impressionnante quantité de personas que l’on peut fusionner, les phases d’animation très classes...
Joli instantané, pétri de culture nippone et de petits drames humains, tout en restant accessible, enrobé dans une garniture pop comme une énorme glace à l’eau fluorescente, bourrée de personnages, de possibilités, de bonnes idées, généreux dans à peu près tout ce qu’il propose, Persona 4 n’a finalement contre lui que d’être un jeu d’une ère du J-RPG finie et bien finie. Il en reste sûrement un de ses plus incroyables représentants, encore jouable aujourd’hui… avec un peu d’huile de coude, soit.
Finalement, pour Persona 4, le temps reste à la fois son thème, sa mécanique centrale et son plus gros défaut : dans tous les cas, il s’écoule trop vite et laisse le lycée, les vieux jeux, les souvenirs et les choix de vie derrière nous. Marrant de se dire qu’un jeu qui se voulait plus optimiste que ses prédécesseurs conserve malgré tout une petite marque mélancolique… un beau moment de jeu vidéo, à coup sûr.
Points forts
+La DA qui pète la classe (et les yeux)
+La musique, très stylée
+Une durée de vie au poil, ni trop longue, ni trop courte
+La mécanique de fusion de persona, au top
+Les graphismes, pour l’époque
+L’atmosphère générale
+L’écriture, très teenage mais bien gérée
+La traduction française impeccable
+Le doublage (en plus proposé en deux langues)
+Les personnages, nombreux, variés
+La quantité de features proposées (date, mini jeux, donjons…)
+La conclusion de l’enquête
+Sans être japonais, on sent que l’équipe du jeu a su capturer ce qui fait l’essence d’une ville de campagne nippone
Points faibles
- Cette mascotte horripilante qui ne ferme jamais sa gueule.
- Le fait qu’il n’y ait pas d’option pour la mute. Ou l’égorger avec une hache rouillée.
- Manque de clarté des tutoriaux, notamment sur les fusions
- Bien que très porté sur le lien social, le jeu conserve une écriture assez légère et des personnages qui restent confinés dans leurs stéréotypes
- Phases non jouables trop longues, trop présentes
- Des menus pas toujours très clairs
- Des clichés parfois très limites sur des sujets que le jeu entend pourtant traiter
- Des boss clairement là pour faire durer le plus possible et le plus longtemps possible
- De manière générale, une partie RPG qui fait sentir son âge et devient poussive très rapidement