Lettre manuscrite à moitié déchirée

Le jour se lève et révèle que l'artefact n'était ni un piège, ni une pierre, mais un flacon fait d'un matériau inconnu. A l'intérieur, un parchemin plié à la hâte :

Ce que vous allez lire n'est pas une critique, mais le témoignage d'un homme de foi, qui vaut ce qu'il vaut mais qui ne manquera surement pas de bienveillance envers les potentiels joueurs de Pillars of Eternity. Alors je vous en prie, prenez un instant cher ami.

Après les frissons offerts par le thème musical du menu, il m'a fallu près 3 heures pour créer mon personnage. Oui 3 heures. Non pas pour régler la taille des narines d'un visage que je ne verrais jamais in-game (placer référence), mais parce que je vais devoir vivre des dizaines et des dizaines d'heures avec ce personnage, sa classe, ses stats, sa culture, sa race ("antisémite !"), sa façon de parler, son portrait, dans cette grande aventure qui sera tracée par mes choix, eux-mêmes inspirés par mon avatar.
Rappelons que créer son personnage dans un tel jeu, c'est prendre la garde d'un enfant, l'accompagner jusqu'au bout, le trainer à travers les pires abominations mais dans le plus beau des mondes, ou jusqu'à ce que la démangeaison du reboot (vous cachez pas je vous vois, infidèles).
Ainsi j'ai fini par choisir dans l'éventail de possibilités un moine nommé "Sola", humain de la savane au passé d'explorateur des Terres Vivantes, ayant un goût prononcé pour le kung fu et la conversion de blessures en attaques spéciales.

L'aventure démarre et après quelques heures on le sait, on le sent, nous voici le jeu qu'on n'attendait plus et qui surprend encore... Tout est là. Musique épique aux thèmes marquants, tantôt puissants, tantôt intimistes, teintés de drame et d'espoir, pour accompagner une histoire mystérieuse, à la gravité apparente, probablement sous-estimée.

En jouant à PoE, je me suis rappelé précisément ce qu'il me manquait et ce qui m'avait tellement plu dans les jeux du genre : la narration.
Et qu'est-ce que c'est bien écrit... Les PNJs notamment, tous à la personnalité marquée, où de courtes didascalies valent la meilleure technologie d'animation 3D, où avec un portrait, un ton de voix et ces quelques mots, vous vous prenez à imaginer et cerner la subtilité d'un caractère. Et tout le jeu est ainsi. De la description d'objet, de lieu, de créatures (via l'encyclopédie), à la moindre quête secondaire qui ne cesse d'approfondir un contexte et un lore immense.

Tout semble si riche et cohérent.
Je n'ai jamais été un joueur complétionniste et pourtant me voilà à me passionner pour la moindre parcelle des environnements et la moindre quête, comme si elles étaient toutes importantes, et finalement parce qu'elles le sont peut être. Nécessaires pour désépaissir les mystères de ce monde et nécessaires pour se fortifier avant de s'attaquer à des adversaires mortels.
C'est pourquoi 25 heures plus tard, je n'ai toujours pas atteint la première des deux grandes cités promises par les développeurs.

Les plus novices ou les plus rouillés seront surpris par l'exigence des combats, mais qu'est-ce que vous allez aimer être violenté jusqu'à ce que votre cerveau comprenne que le positionnement, le buff des persos, le dé-buff des ennemis et la barre espace (le mode "pause") c'est la vie.
Les ennemis ne gagnent pas de niveaux en même temps que le joueur et le farming de monstres ne vous rapportent pas d'xp à l'infini. Deux choix de design qui peuvent faire mal au dents (en Hard pour ma part) mais qui à mon sens amplifie réellement la satisfaction et le sentiment de progression.
Vous vous prenez des murs, ce qui vous pousse à mieux réfléchir votre tactique de combat ou à revenir plus tard après quelques aventures plus raisonnables.
Etonnement, le joueur ne reste pas moins motivé à affronter des ennemis qu'il pourrait techniquement ignorer car ceux-ci rapportent des items ou cachent des items de valeur, dont une variété d'éléments primaires vous permettant de crafter objets, nourriture, parchemins et autres améliorations d'équipements via un menu simple et ergonomique.

Et parce qu'une minute de plus sur cette rédaction est une minute de moins dans le monde d'Eora, je vais m'arrêter et vous laisser la possibilité de découvrir et de conter vos propres récits.

Si ses soucis techniques étaient résolus (voir plus bas), je crois qu'on ne pourrait que reprocher à PoE de n'être que ce qu'il a voulu être. Ce qui ne serait pas moins criminel tant il incarne la dernière flamme d'une ère où jeu de rôle voulait dire... jeu de rôle, ou l'immersion passait par l'imagination, les choix et la densité du lore, et moins par la vibration de la manette, le nombre de polygones et la physique des corps.
Jouer à Pillars of Eternity, c'est comme manger le dernier steak sur Terre. Le goût est décuplé, une partie ignorée de nous-mêmes s'éveille et on se prend à rêver la prochaine bouchée avant de repenser aux êtres chers qui ne sont pas là pour partager votre assiette.
Alors vous mâchez lentement, très lentement, soutirant le moindre nano-plaisir, priant secrètement pour qu'il y en ai un autre demain.