Lettre manuscrite à moitié déchirée
(garanti sans spoilers) Vous longez le rivage et apercevez le scintillement d'une pierre étrange se rapprochant lentement, au gré des flots... Vous tirez
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le 28 mars 2015
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Après une quarantaine d'heures de jeu, je dois me faire une raison : Pillars of Eternity n'est ni la bombe tant attendue, ni même vraiment un bon cru Obsidian, et ce n'est pas faute d'avoir persévéré. Comme souvent dans cette situation, l'avalanche de critiques positives sur un jeu hypé à mort ne laisse pas beaucoup de place à l'objectivité, et il est difficile de garder la tête froide face à un déferlement aussi unanime de superlatifs élogieux, pour beaucoup lancés sans même les vérifier (combien d'avis ai-je pu lire de personnes dont le compteur Steam indiquait maximum 3 heures de jeu, combien de tests rushés pour la sortie du titre par des types qui ont à peine pris le temps de s'imprégner d'un système, d'une atmosphère précisément censés s'apprécier sur la durée...). J'ai donc tenté de me faire mon propre avis, basé sur une expérience tout de même respectable de 10 bonnes années de WRPG, en essayant d'oublier cette hystérie pour me concentrer sur le jeu lui-même, vivant en ermite reclus, me coupant d'internet, des twittos et des forums du jeu pour me forger un avis personnel.
Mon profil de joueur pour Pillars of Eternity est un peu particulier. J'ai épluché passionnément la plupart des WRPG (et sous-genres dérivés, action/RPG, RPG/hack'n'slash) sortis depuis le début des années 2000 : les Elder Scrolls, Gothic, Risen, Divinity, Fallout, Dungeon Siege... Quasiment tous les jeux Obsidian, Bethesda, Larian, Piranha Bytes, pour ne citer qu'eux. Parmi ceux-ci, j'ai mes coups de cœur (Morrowind, Gothic II, Alpha Protocol, Fallout New Vegas, Divine Divinity pour ne citer qu'eux) et mes déceptions (Oblivion, Skyrim, Risen 2, Dungeon Siege III). Ce n'est pas en tant que fan de Baldur's Gate que j'ai backé Pillars of Eternity, mais en tant que fan d'Obsidian. Je n'ai jamais joué aux jeux Infinity Engine, j'ai tenté (sans succès) de me mettre aux premiers Bioware il y a quelques années avant de finir rebuté, après quelques heures de jeu, par un système qui ne me parlait définitivement pas, et des graphismes trop dépassés pour moi. J'attendais de Pillars of Eternity les promesses formulées par les développeurs au moment de la levée de fonds, à savoir : un RPG old school remis au goût du jour, avec un gameplay et des graphismes rendant hommage aux grands CRPG Donjons & Dragons. C'est dans ce même objectif que je backais plus tard Divinity : Original Sin, qui me séduira complètent et sur lequel je passerai près d'une centaine d'heures. Calcul simple à la veille de la sortie de Pillars of Eternity : si Larian est arrivé à faire un WRPG en vue top-down d'une qualité aussi incroyable, alors Obsidian devrait y parvenir sans aucun problème. C'était du moins ce qui était censé se passer.
Pour résumer la déception Pillars of Eternity, redisons qu'il s'agit de l'un des moins bons jeux Obsidian, si ce n'est le moins bon. La plupart des qualités qui ont fait leur marque de fabrique sur la génération précédente sont absentes de leur nouveau jeu. Après quarante heures, j'ai le sentiment de n'avoir vécu aucun choix cornélien, je cherche encore des conséquences visibles aux actions de mon/mes personnage(s), je fouine désespérément à la recherche d'une quelconque trace de vie dans un monde figé, instancié et scripté à l'extrême, où chaque zone, chaque quête fonctionne comme une historiette indépendante ne se parlant qu'à elle-même. La profusion de PJ et de PNJ, la multiplicité de sous-intrigues, la quantité de quêtes secondaires déconnectées les unes des autres : rien, ici, ne renvoie à la virtuosité du quest design d'un Fallout : New Vegas ou d'un Alpha Protocol, pour ne citer que les RPG d'Obsidian, qui savaient rendre un monde vivant et y impliquer le joueur. Je ne comparerai même pas Pillars of Eternity aux premiers Divinity et encore moins aux Gothic, tant ceux-ci savaient (incomparablement) mieux entremêler les enjeux, donner l'illusion d'un univers réactif et autonome, laquelle n'est ici jamais qu'effleurée. On peut comprendre l'ambition d'Obsidian de faire un jeu qui puisse être parcouru comme un livre, avec ce que cela implique de linéarité, mais cela reste un choix étrange de la part de développeurs qui souhaitaient rendre ses lettres de noblesses au CRPG tout en faisant honneur à leur propre héritage. L'univers de Pillars of Eternity est figé, perpétuellement dans l'attente de l'arrivée du Joueur, qui passe de région en région où poireaute chaque faction. Les grands de ce monde font le pied de grue devant leur temple ou leur palais, glissant à l'arrivée de notre troupe le lot syndical de quêtes secondaires, amenées et conclues avec la même brutalité, sans délicatesse ni crédibilité particulières. L'un des personnages les plus puissants du monde ne nous connaît pas, mais nous demande d'empoisonner son fils après vingt secondes de dialogue. Un autre, effrayé par des malandrins, espère accroupi dans l'herbe qu'on intervienne, dût-il attendre des semaines qu'on daigne lui adresser la parole. Un dernier dans une auberge nous donne une quête fedex avec pour objet un très gros butin, qui s'active même si on la refuse (pourquoi pas). Une fois chaque quête conclue, chaque PNJ aidé, tout le reste du monde restera parfaitement indifférent à vos actions, de la même façon qu'avant votre intervention, il était indifférent à la menace qu'il vous chargeait d'éliminer. Rien ne communique, tout est compartimenté, rangé, ordonné : ce n'est pas, en 2015, l'idée que je me fais d'un WRPG. Même Divinity : Original Sin, pourtant lui aussi orienté old school, consent beaucoup plus d'efforts de quest design, avec des embranchements, des tiroirs, et plus simplement des objectifs qui prennent la peine d'aller au-delà de leurs propres frontières pour impacter directement la suite du jeu, ce que rechigne à faire Pillars of Eternity qui maintient chaque quête dans son propre vase narratif en veillant inexplicablement à éviter les débordements.
De même, dans Pillars of Eternity, à l'inverse d'un Gothic et de la même façon qu'un Skyrim, l'idée de réputation pour chaque faction est une mécanique complètement fakée qui ne sert que d'indicateur de progression et ne provoquera presque aucun remous, que ce soit dans ladite faction ou dans les autres. Les différents « groupes d'influence » traditionnels des WRPG sont ici seulement esquissés et l'appartenance/la préférence du joueur pour tel ou tel groupe n'a que très peu d'impact sur la progression. Chaque faction fonctionne dans son coin, à de rares exceptions près qu'on oubliera trop vite. Bien que bourré jusqu'à la garde de tout le jargon traditionnel du CRPG, avec dialogues à choix multiples déterminés par les statistiques, les alignements ou les appartenances ethniques (entre autres), l'issue de chaque rencontre est prévisible et surtout, on comprend trop vite qu'elle ne sera pas suivie d'effets dans le reste du monde, une mécanique pourtant indispensable dans tout RPG dont Obsidian lui-même s'est fait l'un des plus grands artisans. Bref, incompréhensible. On me répondra que l'objectif du jeu n'est précisément pas d'être moderne mais d'être raccord avec la philosophie des jeux Baldur's Gate, ce à quoi je rétorquerai que ça n'a simplement aucun intérêt : n'importe quel joueur un minimum cultivé, soit le cœur de cible du jeu, connaît le passif d'Obsidian et ses compétences en matière de RPG. Dire que Pillars est le seul à vouloir proposer une expérience de ce genre est une erreur. Tout comme ânonner que les défauts du jeu sont des hommages à l'ancien temps me semble d'une bêtise sans nom et tendrait à prouver que ceux qui s'y connaissent le moins ne sont pas forcément ceux qu'on pense.
L'obligation du joueur de tester par lui-même la résistance de chaque quête ou zone, quitte à s'y casser souvent les dents, est un vrai bon choix qui valorise la progression. Ce doute perpétuel à l'entrée d'un donjon ou face à un boss est agréable, et casse la linéarité du jeu, autrement réelle. Mais une fois qu'on a compris le principe, à savoir remettre dans l'ordre les pages d'un livre puis, cela fait, les lire en suivant les lignes, l'exploration mais aussi le scénario perdent de leur intérêt. Le bon départ pris par l'introduction laissait présager du meilleur, mais bien vite on se contente de tourner une à une les pages d'un récit linéaire. Et dès lors, ça coince, car privé d'interactivité, le meilleur scénario de RPG devient rapidement une purge. Dans Pillars of Eternity, la sensation de jouer un rôle (le principe de tout RPG, donc) s'estompe au fur et à mesure que l'on comprend être la marionnette d'un système... Là encore, de la part des développeurs qui ont réalisé les RPG les plus bluffants de la génération précédente en termes de narration non linéaire, la pilule a vraiment du mal à passer ! Les noms ronflants, la mythologie complexe, les tonnes de livres d'histoire ou de dialogues présents uniquement pour le background sont de plus en plus vains, parfois même ridicules quand on a compris une bonne fois pour toutes que toute l'Histoire du monde restera à jamais prisonnière de morceaux de papier. Plus grave, le côté ouvertement étriqué de certaines zones (la capitale, notamment) contredit salement ce qu'on peut lire ici et là, tant il y a peu à faire, et tant est rapide notre accession au rang de héros du peuple (un problème de rythme qui ressemble à s'y méprendre à celui de Skyrim).
Mais alors, si on s'ennuie quand même un peu niveau ambiance, progression et histoire, il reste une chose : les combats ! Je n'attendais pas grand chose d'Obsidian de ce côté, étant donné que la partie action n'a jamais été leur spécialité (sans être non plus leur faiblesse). Mais en sortant de Divinity : Original Sin, et après toutes les promesses du Kickstarter, j'espérais quand même quelque chose de valable, au minimum d'intéressant. Car si Larian a pu réaliser un système de combat absolument exceptionnel sans se réclamer de personne, pourrait-il en être autrement de la part d'Obsidian quand on considère son CV, son budget et ses sources d'inspiration affichées ? Sur ce point, je parle autant en noob des Baldur's Gate et autres Icewind Dale, qu'en fin connaisseur des bons RPG récents, et après quarante heures de persévérance triste, je dois dire que le système de combat de Pillars of Eternity m'ennuie au plus haut point, et me semble même un ratage dans les grandes lignes. On ne peut déjà pas dire qu'il soit réellement tactique, car il demande avant tout de la patience et de la chance : l'aggro souvent aléatoire, les problèmes de pathfinding ou de collisions entre personnages, empêchent de planifier précisément chaque attaque. On ne peut pas dire non plus qu'il soit dynamique, car l'obligation de jouer avec la pause et de micro-manager en permanence chacun de ses 6 personnages prive les affrontements d'une certaine sensation d'urgence. Et plus généralement, on ne peut pas dire qu'il soit vraiment intéressant. Pour les statistiques, on est servi : de partout, dans la feuille de personnage, des chiffres, des pourcentages, des valeurs qu'on a posé là pour les pros. Mais que c'est long, mécanique, ennuyeux ! J'entends déjà (j'ai entendu) que forcément, si on n'aime pas le système de combat de Pillars, on est un noob. Mais l'argument ne tient pas longtemps. Les combats de Pillars sont bordéliques. Le joueur n'a pas suffisamment d'outils ni de précision laissés à sa disposition pour gérer les affrontements de la bonne manière. Même en mode Normal, le bazar terrible qu'occasionne chaque combat donne envie de s'arracher les cheveux et oblige à parfaitement appréhender les mécanismes, les stats, mais aussi les bugs et les approximations divers, sans compter que le rythme est plutôt raté, soit trop rapide soit trop lent, obligeant le joueur à cliquer dans l'urgence ou à faire des pauses toutes les deux secondes, sans réel solution médiane. Encore une fois, il est impossible de ne pas faire cette comparaison, mais le système de combat de Pillars of Eternity me semble très loin, en pertinence et en finition, de celui de Divinity : Original Sin, qui se montre à la fois plus ambitieux, plus clair, plus fun, plus accessible et paradoxalement plus exigeant, en ce sens qu'il incite davantage le joueur à se surpasser, ne se reposant pas entièrement sur l'apprentissage par l'échec (clairement la base de Pillars).
Je pourrais continuer encore longtemps sur les reproches, en parlant de choix de design d'apparence sensés mais finalement sources de frustration, comme la limitation automatique d'items montant la même compétence sur un seul personnage (on peut savoir pourquoi, au juste?) , le côté totalement anecdotique du château améliorable ou le nombre hallucinant de sorts disponibles pour les PJ mages, ce qui transforme le moindre affrontement en séance de lecture wiki. Pour un joueur normalement constitué n'ayant pas terminé les Baldur's Gate, même le mode normal sera souvent d'une difficulté à s'arracher les cheveux. J'ai fini par switcher en mode facile, non sans honte, afin de me débarrasser de la nécessité d'utiliser constamment la pause et d'étudier précisément les résistances et statistiques de chaque personnage, ami comme ennemi... Renseignements pris, on comprend quand même en quoi Obsidian a décidé d'alléger la formule des Baldur's Gate ou de la moderniser un peu, par exemple en balançant plus d'ennemis à l'écran pour une action plus explosive, et en mettant en place une gestion de la santé moins punitive. D'autres concessions dans le metagame sont aussi à noter, comme la possibilité de choisir entre un journal de quêtes « old school » (en pavé) ou « moderne » (plus clair avec arborescence), celle d'indiquer ou non les zones des sorts, les prérequis de certaines lignes de dialogue... des idées intelligentes, bien mises en œuvre, susceptibles de permettre à chacun de trouver une expérience de jeu qui convienne à son niveau et aussi à ses habitudes. Si vous n'êtes pas familier des jeux Infinity Engine, activez de base l'intégralité des aides disponibles (ne jouez surtout pas en mode expert, il n'a rien à voir avec celui de Fallout New Vegas!) : il y a de bonnes chances que comme pour moi, celles-ci vous paraissent malgré tout insuffisantes pour avoir l'impression de maîtriser le jeu. On sent qu'Obsidian prend dans l'ensemble un certain plaisir à manquer de clarté, à être imprécis ou rébarbatif, pour n'accorder la victoire qu'à ceux qui acceptent de s'emmerder. Un choix idiot, particulièrement quand on voit ce que Larian a été capable de faire avec Divinity : Original Sin qui, à ambition semblable, réussit à être nettement plus user friendly sans jamais sacrifier au challenge pur.
Les compliments, je m'en passe car ils ont déjà été faits partout : un jeu beau, une création de personnage complète, de jolies musiques, une écriture travaillée. Si on ne se lasse pas de la magnificence des décors, on s'agace de retraverser toujours les mêmes zones lors de quêtes fedex ou d'errements à la recherche de sa prochaine destination. Les développeurs ont heureusement prévu la possibilité d'accélérer le jeu pour ces nombreuses phases pédestres où nos acolytes avancent à petit pas dans une carte gigantesque. L'écriture, élégante, perd de sa superbe en VF, avec une traduction souvent approximative, des fautes d'orthographe fréquentes, parfois même des contresens qui nuisent à la résolution des quêtes... un mal acceptable si l'on considère que cette traduction était en stretch goal. Quelques moments magiques, notamment quand on se plonge dans les souvenirs d'anonymes disséminés un peu partout et indiqués par des macarons dorés, nous font vraiment voyager, façon Kaïm Argonar dans Lost Odyssey. Je n'exclus pas non plus qu'une bonne maîtrise du système et de ses limites permette de s'amuser réellement, même si j'ai abandonné depuis longtemps cet objectif. Pillars of Eternity est un CRPG velu, légèrement autiste, dont on a un peu trop fantasmé les qualités et sous-estimé les défauts. A condition d'accepter de se faire injustement malmener, de s'ennuyer par moments et de finir par suivre avec indifférence un scénario intéressant mais terriblement sur rails, ça reste un jeu qui a de beaux moments à délivrer, et qu'il faut défendre parce qu'il propose quelque chose de réellement différent des jeux actuels... Mais qu'on n'oublie pas non plus que d'autres excellentes séries existent, et ne sombrons pas dans un élitisme stupide. Le WRPG exigeant est loin d'être mort, croire que Pillars en est le seul représentant est une erreur indigne de ceux qui prétendent s'y connaître. Retourner se ressourcer sur Alpha Protocol, Fallout : New Vegas ou même Dungeon Siege III, des mêmes Obsidian, sera plus indiqué pour la plupart des joueurs que cette production stressante, fatigante et très peu récompensante.
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le 24 avr. 2015
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