Après plus de 15 ans passés à consommer Pokémon sous toutes ses formes, j'ai fini par me lasser de la licence et de ses jeux à la formule inchangée. J'ai lâché l'affaire après la version Noire, que j'avais appréciée mais dont je ne garde pas un grand souvenir. En y repensant, le fait d'avoir abandonné l'anime avant les saisons à Unys a sans doute contribué à mon désintérêt pour cette 5e génération. Quelle que soit la qualité de la série, elle permet de créer de l'attachement envers des créatures représentées autrement par un amas de pixels parfois inesthétique dans les jeux. À ce sujet la mise en scène des combats de Noir/Blanc, avec ses zooms, ses dézooms et ses animations, rendait évidente la grossièreté des sprites.
Lorsque j'ai finalement cédé à la curiosité et lancé une partie de Pokémon Lune, je me suis donc pris une claque, jamais un jeu Pokémon ne m'avait autant impressionné sur le plan graphique. Les décors sont colorés et détaillés, les persos vivants, les déplacements enfin libres... La console n'est pas une machine de guerre mais l'apport de la 3D est énorme en termes d'immersion. Plus haut j'évoquais le rôle de l'anime dans mon appréciation du jeu, ici l'animation in-game se suffit à elle-même, grâce à elle je suis tombé sous le charme de Pokémon dont les artworks me laissaient pourtant indifférents. C'est le cas d'Otarlette. Sa gestuelle, ses mimiques et son cri adorables en ont fait l'un de mes Pokémon préférés toutes générations confondues.
Passé la claque graphique, les premières heures de jeu se sont toutefois révélées frustrantes, la faute à des scripts intrusifs. La mise en scène est sympa mais les PNJ t'arrêtent toutes les 2 minutes pour t'indiquer comment rejoindre la route qui se trouve à 5 mètres de toi... On sent que le jeu a été pensé pour des enfants, il ne cesse de nous prendre par la main en nous expliquant des évidences, en nous filant constamment des objets, en soignant notre équipe, en nous donnant la possibilité de guérir gratuitement les changements de statut etc. Même les dresseurs ont moins de Pokémon qu'à l'accoutumée et les légendaires ont un taux de capture élevé, bref la difficulté n'est pas au rendez-vous.
Cela dit certaines aides sont les bienvenues, notamment l'indication des faiblesses d'un Pokémon déjà rencontré. Il y a trop de créatures différentes pour que je retienne le(s) type(s) de chacune. J'apprécie également le nouveau Multi Exp (introduit dans la 6G), les puristes ont sans doute râlé mais à mes yeux il est nécessaire pour renouveler le plaisir de jeu. Par le passé, je me suis trop souvent retrouvé à garder la même équipe durant 80% d'une partie, car je n'avais pas le courage de faire une pause entre deux arènes pour XP un nouveau Pokémon, et car la difficulté des titres ne me l'imposait pas. Ici je me suis senti libre de remplacer des membres de ma team à n'importe quel moment, et je ne me suis pas gêné pour le faire, si bien que j'ai passé plus de temps à farmer dans Pokémon Lune que dans les versions précédentes où la prise d'expérience était pourtant plus exigeante.
Ce que le jeu perd en difficulté, il le gagne en diversité. Cela se vérifie avec les Pokémon sauvages, il me semble n'avoir jamais eu autant de choix dans une version, j'ai quitté la première île avec 50 ou 60 entrées dans le Pokédex ! Enfin un Pokémon où on ne doit pas se contenter d'insectes, de rongeurs et de Nosférapti durant les quatre premières heures. Là d'entrée de jeu tu as du type électrik, ténèbres, psy, feu... Mon seul regret à ce niveau, c'est l'omniprésence des Pokémon de la 1ère génération, ils doivent constituer au moins un tiers des rencontres. Ça fait 20 ans qu'on croise les mêmes à chaque version, on s'en lasse, c'est dommage de ne pas avoir créé une forme d'Alola pour chacun d'eux. À ce propos j'adore l'idée que des Pokémon aient évolué différemment en raison de leur environnement, visuellement ça donne quelques bons résultats (Tadmorv, Sabelette, Feunard...), ça confère une réelle identité à la région et de la variété au gameplay grâce à leurs nouveaux types.
Mais LA nouveauté qui m'a séduit, c'est la mécanique d'intrusion, lorsqu'un Pokémon en danger en appelle un autre en renfort. Certaines créatures s'obtiennent uniquement de cette manière donc l'intrusion donne naissance à une nouvelle façon de jouer, où notre endurance est mise à rude épreuve. Il faut ainsi faire durer le combat le plus longtemps possible, jusqu'à l'apparition du Pokémon recherché, sachant qu'il faudra éliminer tous les indésirables sans épuiser les PP de nos attaques et sans finir KO. Les objets et les talents, choses auxquelles je ne me prêtais guère d'attention auparavant, revêtent donc une importance capitale. Le talent "regard vif" de Bazoucan m'a permis d'enrayer les jets de sable d'Évoli afin de capturer sereinement Mentali et Noctali par exemple. J'ai consacré des dizaines d'heures au remplissage de mon Pokédex, passant parfois 1h30 dans un même combat pour voir apparaître un Drattak ultra-rare ou pour dénicher un Chenipan shiny, parce que pourquoi pas ?
Je me dois de mentionner les nombreuses balls (chrono, filet, etc) disponibles en magasin, il n'était pas forcément judicieux de faciliter les captures mais c'est un superbe moyen de "personnaliser" ses Pokémon, les balls ayant des skins différents. Puis choper des légendaires à la faiblo-ball, ça n'a pas de prix... Notez que les dresseurs adverses utilisent des balls diverses eux aussi, j'adore ce genre de détails qui crédibilisent l'univers du jeu.
Idem pour les montures, l'une des innovations les plus brillantes de la série, issue elle-aussi de la 6e génération. La bicyclette et les CS ont disparu au profit de ces Pokémon 2 en 1 qui nous transportent et éliminent les obstacles par la même occasion. Il était grand temps de se débarrasser de ces CS qui nous bouffaient plusieurs slots d'attaques et constituaient un sérieux handicap lors de la création d'une team.
On regrettera toutefois que les développeurs n'aient pas mis davantage l'accent sur l'exploration à dos de Tauros ou de Lokhlass. Cette version apparaît plus linéaire que jamais. Certes Pokémon a toujours restreint la liberté des joueurs mais les zones plus ou moins cachées ne manquaient pas, ici on s'éloigne trop rarement du tracé principal qui finit par boucler sur lui-même. Qui plus est les obstacles sur notre route ne sont pas des plus crédibles. Entre le mec qui "bloque" le passage avec son Mastouffe alors qu'il y a assez de place pour faire passer un semi-remorque à côté de lui, et ces barrages franchissables seulement une fois qu'on a réussi une Épreuve... Les habitants ordinaires font comment du coup, ils doivent se contenter d'un tiers du territoire d'une île déjà minuscule ? Sympa la prison à ciel ouvert. Plus l'univers semble réel, plus ce genre de mécaniques purement vidéoludiques font tâche lorsqu'elles ne sont pas justifiées de manière crédible par le scénario.
Le scénario, parlons-en. La 3D et la mise en scène rendent les personnages et les rebondissements plus marquants mais l'histoire demeure bateau, comme toujours. Les Épreuves qui remplacent les arènes sont quant à elles un pas dans la bonne direction, faute de mieux. Les "intrigues" bricolées sont encore trop anecdotiques et la difficulté trop basse, le changement est toutefois appréciable. Maintenant c'est du côté des quêtes annexes que j'aimerais voir de réels progrès. Les bases sont là, on croise des PNJ qui nous demandent de capturer un Pokémon ou d'en retrouver plusieurs éparpillés sur la map, avec une récompense à la clé. Il ne reste plus qu'à broder des histoires autour de ça à l'avenir, comme ça se fait dans la plupart des RPG.
En l'état, Pokémon Lune ne manque pas de contenu pour autant entre les Épreuves, la quête du Pokédex, les différents formats de combat et les petits à-côtés. Les fonctionnalités des précédentes versions m'ont toujours paru un peu superflues à l'image des bases secrètes ou des concours de beauté de la 3G, cette version corrige en partie le problème. S'il est vrai que la Pokédétente a tendance à fatiguer lorsque l'on doit peigner son Pokémon pour la 150e fois, le Poké Loisir est efficace pour fidéliser les joueurs et leur permettre de jouer stratégique. C'est ainsi la première fois que je me penchais sur les EV, un concept auquel je ne comprenais rien jusque là. La licence a tout à gagner à poursuivre dans cette voie et introduire la stratégie à un maximum de personnes.
Au final cette version Lune ne révolutionne pas la série Pokémon, cependant elle tente beaucoup de choses et gomme des défauts récurrents, des lourdeurs de gameplay. Elle exploite la puissance de la 3DS pour nous proposer un univers chatoyant peuplé de Pokémon et de personnages plus attachants que jamais. Je suis un fan de la première heure et voilà près de 20 ans que je n'avais pas pris autant de plaisir à jouer à Pokémon.