Cela fait maintenant plus d'une décennie qu'une portion entière du marché vidéoludique tourne autour de l'idée – plus ou moins camouflée – de produire divers remakes de System Shock. BioShock, par exemple, adapte l'idée autrefois spatiale dans une fable moraliste plus ou moins alléchante pour peu que vous ayez ne serait-ce que tenté une formation universitaire comprenant un cours de première année en philosophie. Ses suites, toutes deux dispensables, auront tour à tour tenté d'augmenter ses capacités offensives pour en faire un FPS conventionnel tandis que son dernier opus très apprécié des fans de Bob Marley aura utilisé l'artifice toujours populaire du voyage dans le temps pour en tirer... un mauvais épisode de Code Quantum où vos choix n'ont aucune forme d'importance car, vous savez, la destinée, etc. Or, par un hasard stupéfiant, l'on nous ressort maintenant la formule traditionnelle dotée d'un twist : c'est une adaptation apocryphe d'une nouvelle de Philip K. Dick réalisée par un studio talentueux sur la fameuse formule qui a engendré tant de titres modernes ! Par chance – et je me rends compte qu'utiliser ce terme dans ce contexte est probablement un brin extrême – j'ai passé toute mon enfance à étudier les saintes écritures sorties de l'esprit du fameux schizophrène Made in Chicago. (J'étais un gosse très étrange, autant l'admettre.) N'allez pas croire que mon intérêt pour les rivages de l'esprit s'arrête aux écrits du créateur d'Ubik, hein, j'ai aussi englouti l'intégralité d'Herbert et une bonne portion du moins mauvais de Dan Simmons. Yep, contrairement à la plupart des critiques ici réunis : je suis parfaitement compétent dans le domaine étrangement hermétique de la critique axée autour d'une idée science-fictionnelle.
Dans Colony – la nouvelle ici adaptée par hasard par les équipes talentueuses responsables de Dinosaured 2 – une race d'aliens proche par leur fonctionnement de celui des plantes carnivores dispose d'un talent spécial pour assurer leur survie : elle est capable, sans le moindre effort, d'imiter la forme et le fonctionnement de tout type d'objet inerte ou articulé. (Il est bon de rappeler que Philip K. Dick était simultanément très schizophrène, totalement paranoïaque et aussi fort porté sur les substances hallucinogènes qui ont marqué de leur empreinte étrange le XXème siècle.) Une situation que l'homme responsable de We can remember it for you wholesale expliquait de manière laconique en soulignant que certaines personnes pensent que leur patron leur prépare un mauvais coup... mais que lui était de temps à autres pleinement conscient que le téléphone de son patron complotait pour mettre fin à ses jours. Rien que ça. Or, aussi étrange que cela puisse paraître, c'est très précisément cette sensation que Prey tente de vous communiquer : celle d'un monde où chaque objet usuel cache un danger potentiel. Un univers où chaque chaise peut camoufler un ennemi meurtrier. Un monde, pour faire simple, où les apparences peuvent vous tuer pour peu qu'un instant d'inattention vous pousse à croire vos sens. C'est, pour faire simple, une idée d'une efficacité redoutable quand un studio compétent s'applique à l'utiliser dans le contexte d'un jeu de survival-horror. Une idée, d'ailleurs, qui aurait pu être pathétique livrée à un studio conventionnel bien décidé à en faire un FPS qui l'est tout autant. Par chance, aux commandes de cette étrange navire, vous trouverez l'un des rares studios modernes à mériter le bénéfice du doute : Arkane Studios.
Notez, je comprends le principal argument que l'on peut utiliser contre leurs productions : ils ont tendance à utiliser la même formule sur chacun de leurs projets. Ce qui est vrai, d'ailleurs, ils sont plus ou moins devenus ces dernières années les spécialistes du jeu doté des qualités intrinsèques de Deus Ex et autres titres proches par l'esprit de la formule System Shock. (Un fait qui doit exaspérer les équipes respectivement responsables des tentatives de suites/reboots prévus pour ces deux licences dans les années à venir, au fait, rien n'est plus déplaisant pour un éditeur que de se retrouver avec une marque mémorable servie de manière approximative par un studio dépourvu des talents nécessaires à magnifier leur gameplay.) Et je suis parfaitement conscient que dans un futur proche le fait de les voir exceller dans cette discipline finira par lasser. Ceci dit... s'ils arrivent à varier les plaisirs avec le talent qui les caractérise : cela pourrait prendre une bonne décennie. Prey, pour faire simple, n'est pas pour la génération élevée aux jeux casuals dont le niveau de difficulté s'adapte afin d'éviter toute forme de frustration chez son utilisateur. Ce n'est pas un titre que l'on termine en fonçant tête baissée à travers les ennemis armés d'un shotgun magique et d'un slip résistant au plutonium. Non, il faudra cogiter quelque peu et agir comme un chasseur. L'environnement, considéré comme hostile par tant de critiques, peut être manipulé avec intelligence pour devenir un outil de survie.
Ce titre – contrairement à tant d'autres qui prétendent pourtant s'attaquer à la même idée – vous met au milieu d'un écosystème doté d'une logique cohérente et dont chaque élément peut être utilisé de diverses manières afin de survivre. Ici, à moins que vous ne jouiez au niveau de difficulté le plus lâche, il vous faudra davantage pour triompher qu'une logique guerrière de bas étage. Non, vous devrez comme vos ancêtres utiliser cet avantage atavique qui reste malgré tout celui du genre humain : votre intellect. Et petit à petit, au fur et à mesure des expériences qui seront les vôtres dans le domaine de la survie vous passerez du statut de proies... à celui de prédateurs. Mais ils ne pouvaient malheureusement pas intituler ce jeu ainsi - ce qui aurait pourtant été la meilleure solution - à cause du fameux film du même nom. Vous savez, celui avec Topher Grace.