J'ai bien aimé Quantum Break, c'est une exclusivité One plutôt sous-estimée à mon avis. Comme deux autres exclues One : Recore et Sunset Overdrive. Ces jeux ne sont pas des chefs-d’œuvre mais ce sont à chaque fois des propositions intéressantes et plutôt originales dans leur genre, de véritables visions personnelles même si elles ne sont pas toujours abouties.
Quantum Break est intéressant ne serait-ce que pour son statut d'OVNI dans la production vidéoludique : un cross-over entre jeu vidéo et série télé. Le résultat est étrange - surtout quand on doit poser la manette pour regarder un épisode de plus de vingt minutes - mais pas déplaisant. Je trouve que ça apporte quelque chose au niveau de la narration et de l'attachement que l'on a envers les personnages. Ce qui pourrait paraître un peu forcé, rentré au chausse pied, m'a paru finalement naturel, plutôt évident. Les deux formes de narration sont complémentaires.
Le jeu propose ponctuellement des choix qui ont des répercussions sur le déroulé de l'aventure et donc aussi sur les épisodes de la série. J'avoue ne pas avoir pris le temps de mesurer l'ampleur et l'efficacité de ce système. Je l'ai fait pour le premier choix, mais cela modifiait juste une scène dans l'épisode suivant. Les conséquences sont peut-être visibles à plus long terme, mais le fait de devoir revisionner la série juste pour quelques changements n'est pas ce qu'il y a de plus gratifiant. Je ne suis pas sûr que les niveaux changent par ailleurs (à part certains documents à récupérer qui diffèrent).
Mis à part ce souci d'ergonomie je trouve que le scénario est très bien construit. C'est une énième déclinaison du voyage dans le temps mais plutôt cohérente et originale dans son approche. Rien n'est laissé au hasard, c'est à la fois suffisamment clair pour être facile à suivre, comprendre et être à fond dans l'histoire, et en même temps toujours surprenant, avec des évènements qui s'enchaînent à la perfection, et des révélations qui éclairent soudain tout ce qui a précédé sous un nouveau jour. J'ai rarement vu un jeu au scénario aussi maîtrisé, qui assume totalement son postulat ancré dans la culture pop, tout en le prenant au sérieux et en proposant une approche vertigineuse et en même temps très intimiste du genre.
L'histoire reste en effet étonnamment humaine. Il y a certes Monarch, ce cliché de firme opaque et tentaculaire, mais c'est avant tout dans les relations entre les personnages que se nouent les enjeux - et l'intérêt - de l'histoire : le rapport entre Jack (le héros) et Will, son frère ; entre Jack et Paul (le méchant - dommage que l'on ne ressente pas assez le lien qui les unit) ; entre Jack et Beth (meilleure relation créée par le jeu). Les personnages sont très bien écrits, et les voyages temporels sont très bien utilisés pour approfondir leurs relations, les densifier, au point que les révélations au fil du jeu renforcent les liens créés jusque-là.
Je me suis rendu compte en jouant à Quantum Break qu'il y a finalement bien peu de scénarios de jeux vidéo qui m'intéressent, qui m'accrochent vraiment, dans lesquels je m'implique, avec lesquels je suis en attente, intrigué par ce qui va se passer. Cela montre à quel point le jeu a été soigné et réfléchi à ce niveau-là. On sent même que le scénario est le principal moteur du jeu, l'élément sur lequel s'est bâti le jeu, puisque - outre la série live - certains passages, certains actes, ressemblent presque à des walking simulator, avec un peu d'exploration, des dialogues, et beaucoup de textes à lire si on le souhaite (là aussi, Quantum Break est un des rares jeux dans lequel j'ai eu envie de lire les documents - essentiels pour bien comprendre la logique de l'histoire).
Le jeu possède ainsi un rythme assez particulier, parfois déroutant, mais qui montre un véritable parti-pris dans sa narration. Par moment, on a l'impression de toucher à une nouvelle forme de narration vidéoludique - même si cela passe par un mix de plusieurs éléments déjà connus - en tout cas le jeu tente, explore, et en cela il reste unique et est loin d'être un objet aussi formaté que son statut d'exclusivité AAA le laisse supposer. C'est d'ailleurs peut-être pour cette raison que le jeu n'a pas été si bien accueilli.
C'est vrai qu'au final, la partie purement jeu vidéo - et surtout sa composante principale en tant que TPS : les phases de shoot - constitue une portion congrue de l'expérience. Et pourtant, même à ce niveau, Quantum Break reste assez singulier. Ce n'est pas le meilleur TPS de sa génération (qui a dit Tomb Raider ?), notamment car il accuse un manque de punch au niveau des sensations de gunplay, mais les pouvoirs temporels du héros créent des situations originales et un rendu visuel superbe. Il est par exemple possible de figer le temps pour se protéger ou arrêter les ennemis, ou de se déplacer rapidement tandis que le monde autour évolue au ralenti pour échapper à la vue des ennemis.
Par cet habile enchaînement de pouvoirs, le joueur se retrouve constamment en mouvement, à esquiver et à éliminer les ennemis, parfois sans que ces derniers se rendent compte de ce qu'il s'est passé - et puis le système de cover est si mal fichu qu'on soupçonne le jeu d'inciter le joueur à utiliser les pouvoirs. Et le rendu visuel des pouvoirs est incroyable : les ennemis se figent, restent bloqués en l'air dans un mouvement qui ne finira jamais, les objets volent, les sources de lumière laissent des traînées telles des coups de pinceaux. Chaque champ de bataille finit par ressembler à un tableau, une sorte de chorégraphie figée dans l'instant, comme une mémoire de l'action qui vient de se dérouler.
Sans être le meilleur dans sa catégorie - le meilleur TPS, le meilleur jeu d'action ou narratif - Quantum Break reste une expérience vraiment à part, qui ose, qui tente, visuellement et narrativement, et qui l'air de rien crée des situations, matérialise des idées, que l'on ne voit pas ailleurs.