Une fois bouclé, Rage laisse un sentiment partagé vraiment peu commun ces derniers temps. Difficile pour moi de dire que je l'ai adoré, et en même temps, malgré la myriade d'immondes défauts (on y reviendra) que se coltine le titre, je me suis vraiment amusé dessus.
Je pense que c'est un jeu qui partage de nombreux points communs avec son moteur : de loin, il réussit à faire illusion, mais de près on se demande qui a pu laisser une telle horreur dans les mains du développeur stagiaire. Pour savoir où vous vous situez par rapport à Rage, le plus simple est de vous demander ce que vous attendez d'un FPS. Si vous en attendez des phases de jeu variées et intelligentes, un background solide et un scénario engageant, vous en repartirez très certainement déçu. Non pas que cet aspect-là du jeu soit raté, mais il n'est en tout cas pas toujours maîtrisé. L'univers et les personnages sont visuellement attachants, mais les seules interactions que l'on aura avec ces derniers consisteront en des missions de larbin vers lesquelles ont sera systématiquement envoyé. Si les villes que l'on visite paraissent vivantes au premier abord, elles perdent rapidement de leur charme quand l'on commence à se rendre compte qu'elles étaient à l'état de nécrose avancée en attendant notre arrivée.
Le rythme du jeu en pâtit énormément. Le plus gros de l'aventure consistera à parler à une personne A en ville, se rendre en véhicule à un point B, liquider tous les ennemis du niveau pour récupérer un objet C, et rebrousser chemin jusqu'à Monsieur A. Le vice est poussé à l'extrême pour les missions secondaires, qui consisteront à parler à une personne D pour se rendre au point B, refaire le même niveau à l'envers et récupérer un objet E (qui forcément nous avait échappé la première fois, puisque la porte était fermée...). Messieurs les développeurs, prière de laisser les pistes inversées aux jeux de course, on n'en n'a pas besoin dans un FPS, merci. Le scénario est à l'avenant, pas très passionnant au mieux, carrément incompréhensible au pire. On se contente de passer machinalement de mission en mission, sans ressentir le besoin de s'intéresser au monde qui nous entoure, vu que de toute façon il n'y a rien à y faire en dehors des missions qui nous sont assignées. Et que dire de cette conclusion bâclée, expédiée en moins d'une heure à l'aide d'un niveau inintéressant et d'une cinématique lapidaire, alors que le scénario commençait à peine à décoller (après dix heures de jeu il était temps...) ?
Il y a tout de même des choses que Rage fait très bien, rassurez-vous. Sans grande surprise, il s'agit même des deux principales chose que Carmack et sa bande mettent un point d'honneur à réussir à chaque titre : la direction artistique et le gameplay. La première est proprement sublime, avec des paysages à couper le souffle, des villes post-apocalyptiques faites de bric et de broc, et un character design très expressif. Le second s'apparente à un mini-acte sexuel entre la main du joueur et le contrôleur (souris ou manette, selon vos préférences). Passées les premières minutes très déroutantes, le temps de se rendre compte de l'inutilité des sauts ou de la gestion un brin compliquée des armes, munitions et gadgets, on peut enfin se concentrer sur ce qui fait la force du titre : les combats. Les ennemis attaquent de partout, les armes sont puissantes, et le personnage se déplace de manière fluide (en se balançant façon Pandi-Panda, comme d'habitude).
Et puis surtout il y a un arsenal très sympa, extrêmement classique certes, mais bien fourni en pétoires qui font mal. La grande force tu titre, c'est d'avoir adjoint aux armes différents types de munitions, permettant une très grande versatilité lors des combats. Du coup, la différence entre un flingue et une mitrailleuse ne se fait pas en matière de qualité, mais d'affinité. Ma préférence personnelle se portera sur le sacro-saint shotgun, digne successeur de celui de Doom, et qui comme son Papa peut être utilisé durant tout le jeu : un coup de chevrotine de près pour envoyer valser les mutants, des cartouches électromagnétiques de loin pour se débarrasser des soldats de l'Autorité, ou enfin des cartouches explosives pour transformer l'arme en lance-grenade du pauvre et défoncer les plus gros ennemis. Malgré quelques exceptions pensées pour des usages très spécifiques (sniper et lance-roquette en tête), le choix d'une arme dans Rage est avant tout un choix philosophique. Ajoutez à cela un équipement très fourni, entre grenades, tourelles, voitures télécommandées explosives, et surtout windsticks (boomerangs à trois branches scalpant la cible avant de revenir -parfois- dans les mains du lanceur, particulièrement jouissifs à utiliser), et vous trouverez facilement votre bonheur pour dessouder du monstre, du bandit ou du soldat.
Dommage cependant que la difficulté soit légère, même au plus haut niveau. Les ennemis bougent beaucoup et font très mal, mais l'argent n'étant jamais un problème, on pourra acheter des tonnes de munitions, de bandages et d'équipement pour nous simplifier la vie. De même, si ces phases de FPS pur sont absolument géniales, elles ne représentent que 40% d'un jeu où les concessions à la modernité ont fait de sérieux ravages. Les séquences en véhicule notamment, d'autant plus frustrantes qu'elles sont indispensables, pêchent par une conduite absolument merdique où un petit quad procure les mêmes sensations qu'une berline lourdement armée. Les développeurs ont cru bon de proposer des courses optionnelles permettant de gagner de nouvelles pièces, mais face à l'extrême facilité de ces défis et au gain de performances pratiquement nul qu'apportent les différents équipements, on passera volontiers notre tour face à tout ce qui touche de près ou de loin aux quatre-roues.
Restent ces passages de simili-RPG dans les différentes villes, qui perdent rapidement de leur superbe dès lors que l'on se rend compte qu'il n'y a guère que deux-trois personnes à qui parler (le marchand, le gérant du bar, le maire pour nous fournir des missions). Les missions secondaires consistant principalement à revisiter des niveaux déjà parcourus, on s'en chargera d'un oeil à moitié endormi histoire de récupérer la juteuse récompense à la clé. Dans l'ensemble difficile de ne pas pester, car si Rage excelle dans les phases de FPS, point sur lequel il était particulièrement attendu, le titre se prend les pieds dans le tapis en voulant s'ancrer dans la modernité avec des choix de game design douteux et parfaitement dispensables. En l'état, si le jeu dure une bonne quinzaine d'heures (en difficile, le temps de boucler toutes les missions principales et secondaires), les niveaux parcourus en 20-30 minutes ne laissent qu'une bribe de souvenir derrière eux, rapidement diluée dans des allers-retours incessants, et l'impact de l'aventure est finalement bien faible lorsque les crédits défilent à l'écran.
Grand, beau, fluide (une prouesse sur consoles), Rage l'est certainement, tout comme il peut être plombé par de mauvaises idées. On pourrait courir à la catastrophe la plus totale si le coeur-même du jeu n'était pas aussi réussi. Profondément cachée sous des gimmicks inutiles et des couloirs camouflés en niveaux, la puissance jouissive procurée par le simple fait de tirer sur des bonshommes et des streumons, fer de lance de id Software depuis 20 ans maintenant, est intacte. Il est inconcevable pour un féru de Doom de ne pas apprécier ces gunfights, tout comme il est inconcevable de ne pas se sentir déçu et trahi face à tout ce que les développeurs ont jugé bon de broder autour de cette base ultra-solide. Ceci dit, si vous avez la patience d'attendre une petite baisse de prix, ou si vous avez un partenaire de jeu sous la main pour vous attaquer au formidable mode coop' (véritable condensé de tout ce que le solo a de mieux à offrir, malheureusement trop court), difficile de ne pas vous recommander l'expérience (surtout face aux innombrables FPS tactifrais génériques qui inondent le marché). Alors, entre le 6 et le 7, on va laisser parler le coeur.