Notre note est neutre et ne reflète rien.
Indéboulonnable saga du jeu vidéo, Ratchet & Clank n’a pu perdurer dans le temps qu’en opérant quelques ajustements de surface. Dans le gameplay, d’abord : par un évincement progressif, à partir de l’ère PS3, de la plate-forme au profit des fusillades ; dans la narration, ensuite : via un changement de ton assez perceptible dans la continuité, que les critiques ont analysé comme une subite prise de maturité. Cela reste à prouver.
Ratchet & Clank, c’est avant tout une histoire de flingues. De gros flingues, même ; parce que le jeu peut afficher les motivations qu’il veut, il s’agit tout de même de prendre la manette pour dézinguer le premier pif qui se présente à nous. Sous sa forme cartoonesque, il réalise l’aventure cathartique d’un immense trucidage en règle, dont personne, ni les développeurs ni le joueur, n’est tout à fait dupe. Cinquième roue du carrosse, la narration avait pour elle d’accompagner ce mouvement meurtrier par une autre forme de dézingage : la satire. On nous rétorquera qu’elle n’allait pas loin : c’est vrai ; ni très haut : c’est vrai aussi. Mais elle permettait de mimer par symétrie la dynamique de violence opérée par le jeu, d’agir comme excipient au condensé d’adrénaline que délivraient explosions et impacts de balles*. Certes, la variété des sujets cachait la faiblesse des attaques : le monde du cinéma gentiment moqué, la rhétorique insipide des émissions télévisées, les logiques mercantiles de la télé-réalité ; certes, les plaisanteries grivoises dissimulaient mal son fond sexiste**. Mais la série avait le mérite d’associer dans un même geste une frénésie à la fois narrative et ludique.
Nous l’avons dit : un changement s’opère à partir de l’ère PS3, c’est-à-dire Opération Destruction. Les enjeux deviennent plus intimes et les péripéties plus graves, sans se départir d’une teinte comique. Mais la satire dégénère en parodie inoffensive, et les sujets de moqueries ne font qu’activer le même inlassable comique de caractère : la lâcheté du Capitaine Quark ou le racisme du docteur Nefarious envers les organiques. Rift Apart achève le processus en reléguant ses quelques traits à des personnages très secondaires qui n’entretiennent plus aucun lien avec le monde contemporain dont la série avait su, autrefois, croqué les travers. Ce nouvel épisode donne pourtant l’occasion de découvrir une dictature dirigée par le docteur Nefarious : dans le genre, il y avait matière à relier le réel. Mais le jeu se préoccupe davantage de tisser le développement psychologique de ses personnages, tous marqués par un événement traumatique qu’il faudra résoudre par le seul moyen connu de la série : un bonne fusillade en règle. Au-delà du caractère convenu du récit – rappelons que la saga n’a jamais brillé dans ce domaine – gameplay et narration semblent s’être définitivement disjoints ; et au joueur d’appuyer frénétiquement sur sa gâchette de tir pour réparer les traumatismes et les amitiés déçues. En sacrifiant la satire, Ratchet & Clank n’a pas seulement perdue sa cohérence, mais un peu de son énergie adolescente. Énergie qui attaquait tout, sans réserve, parfois sans profondeur, mais avec une agressivité réjouissante. Devenue mature, dans le pire sens possible, elle ne fait que rejouer son adolescence, mais avec la platitude d’un adulte qui n’y croit plus. Avec tout l’amour que l’on porte à la saga, il est peut-être temps pour elle de baisser les armes et, enfin, faire le deuil de son adolescence.
* À ne pas confondre avec l’effet atténuant de la caricature : le ridicule exagéré des ennemis, souvent mis en emphase par la bêtise des robots, sert moins une attaque critique qu’une légitimation de leur mort.
** Il suffira de se rappeler les références à la poitrine de Courtney Gears, parodie à peine cachée de Britney Spears. À ce titre, la grivoiserie des plaisanterie tient sans doute aux logiques de recrutement dans le monde du jeu vidéo. Un rapide coup d’œil sur les génériques des différents opus informera de la surreprésentation masculine dans l’équipe de développement.