Dilemme

Les gens qui me connaissent bien savent que je peux être très exigeant en matière de jeu vidéo, même si j'adore ce loisir. Je suis une espèce de Jacques Martin mâtiné de Simon Cowell, il m'arrive fréquemment d'adorer un titre plus que de raison, d'en rêver la nuit, de vouloir faire des bébés aux développeurs, et pourtant de ne lui mettre "que" 8/10, parce quand même, il y a quelques défauts hein, faut pas déconner. Bref, j'adore le jeu vidéo, mais je peux être un vrai chacal quand je note.

Les gens qui me connaissent bien sur Sens Critique savent aussi que je suis très difficile en matière de 10/10. À ce jour, seules six oeuvres ont obtenu la note parfaite à mes yeux (sur 3000 oeuvres cela représente tout de même 0,2% de ma collection, oui, je suis un vrai connard en fait). En matière de jeux vidéo, c'est encore plus simple : selon mes critères, seul un titre par décennie mériterait d'entrer au Panthéon. "Règle" tacite et hautement débile imposée bien malgré moi à l'envoûtant Link's Awakening (1993), au magnifique Resident Evil: Rebirth (2002), et au formidable Portal 2 (2011). Jusqu'ici tout allait bien, seulement voilà, je ne pensais pas que Rayman Origins arriverait si vite.

Car ce jeu a tout pour lui. Non, sérieusement. Clavier en mains, j'avais en tête plus d'un milliard d'arguments qui faisaient de ce Rayman un excellent titre et un digne successeur du tout premier, sorti il y a déjà 15 ans tout de même. Maintenant que je tape cette critique, les arguments sont toujours là, mais je doute de leur efficacité. Bien sûr que le jeu est somptueux (évidemment il faut apprécier l'esprit Marc du Pontavice qui se dégage du design), l'animation est à tomber par terre (du genre à faire pleurer de honte les gars de chez Vanillaware), l'ambiance sonore file une pêche d'enfer, mais cela vous le savez déjà si vous avez un tant soit peu suivi l'actualité du jeu (c'est même plus beau en jeu que dans les vidéos, merde). Je pourrais aussi vous dire que le gameplay tue la bite (ouais, j'ai envie d'être vulgaire), et que le titre raccourcira drastiquement votre capital sommeil, quand à 3h du matin vous serez victime du syndrome "Allez, encore un petit niveau et je vais me coucher". Mais tout cela importe peu finalement, car si Rayman Origins a une myriade de qualités, j'éprouve toutes les difficultés du monde à lui trouver ne serait-ce qu'un vrai défaut.

Ah si, tiens. On peut jouer jusqu'à quatre en coopération en local, mais pas en ligne malheureusement. Sauf que j'ai essayé de jouer avec trois autres participants, et le résultat était tellement fendard, tous sur le canapé à se coller des beignes dans le jeu et pour de vrai, que jamais je n'aurais pu retrouver les mêmes sensations avec trois autres personnes dispersées dans toute la France et un simple micro-casque comme moyen d'interaction sociale. Rayman Origins est de ces jeux où l'on chauffe le canapé, ne pensez même pas une seule seconde y trouver de l'intérêt avec des gens qui ne sont pas à côté de vous. Pire encore, le jeu est fédérateur en diable. Les gamins adorent, les vieux sont intrigués, et si vous le mettez dans la console lors d'une soirée entre potes c'est le succès garanti (si vos potes continuent de se foutre de votre gueule 10 minutes après avoir entamé la partie pour avoir mis un jeu de bébé, changez d'amis, vous valez bien mieux que cela).

Car Rayman Origins sait amuser le plus grand nombre. Les joueurs débutants seront contents d'avoir à gérer un nombre limité de commandes et d'actions. Les joueurs pépères seront ravis de ne pas avoir à s'inquiéter du nombre de vies à disposition ou de telle ou telle section un peu délicate. Les joueurs confirmés seront fiers de trouver tous les petits passages secrets ou d'interagir de manière totalement loufoque avec le décor ou les autres personnages. Enfin les joueurs les plus dingues pourront se faire des cheveux blancs en essayant de finir le titre à 100%. Par je ne sais quel miracle, Michel Ancel et son équipe ont trouvé l'alchimie parfaite entre accessibilité et challenge, de sorte que tout un chacun y trouve son compte, une fois la manette en main. Même les spectateurs s'amusent, c'est dire si ce jeu est une merveille.

En solo c'est aussi bien évidemment une belle réussite. Pour les joueurs qui ont grandi avec les jeux de plates-formes, Rayman Origins est une grande déclaration d'amour à ce genre vieille école, voire carrément rétrograde aujourd'hui (j'ai mal au cul de penser qu'à l'heure actuelle des jeunots ont grandi avec Call of Duty). Les niveaux sont courts, amusants, on a constamment envie d'y revenir pour explorer, découvrir des objets cachés, battre les défis de temps (vraiment pas faciles) ou de Lums. Il y a des niveaux de course bien dynamiques, des phases de shoot à dos de Moskito (qui pourtant n'est pas encore censé être ami avec Rayman, où j'ai raté quelque chose ?), des références à la pelle (Tetris, Angry Birds, Pac-Man, R-Type, Mr. Driller, Limbo...), et puis surtout il y a ces niveaux qui brisent la malédiction des séquences aquatiques qui frappait le médium depuis bien trop longtemps. Oui, il est enfin possible de se relaxer et de s'émerveiller en explorant les fonds sous-marins dans un jeu vidéo, il faut y jouer pour le croire. Et puis forcément il y a un monde secret pour les plus burnés, et le challenge des 100% est bien costaud (plus accessible que le premier Rayman, qui avait un petit côté sadique tout de même). Quand je lis des avis qui comparent le titre à un jeu flash, ou qui se plaignent de voir un platformer 2D vendu au prix fort, je remplis bien mes poumons et je rigole un bon coup. C'est peut-être une question de point de vue finalement, mais pour les gens nourris à Mario, Sonic, Ristar, Crash Bandicoot, Donkey Kong, Earthworm Jim, Rayman ou Klonoa, comme moi, la question ne se pose même pas, alors que les gens qui n'ont pas de goût réfléchiront surement deux fois avant d'envisager l'achat.

Bref, ce jeu est génial, le seul problème c'est qu'avec sa direction artistique splendide, son animation décoiffante, son gameplay simple et efficace, sa jouabilité précise, son ambiance sonore déjantée, ses musiques superbes, son level design aéré et aérien, sa durée de vie conséquente, j'ai bien peur qu'il boxe dans la même catégorie que Super Mario World 2 (qui est, on en conviendra, le meilleur jeu de plates-formes EVER). Et je suis encore plus effrayé à l'idée que ce bon Rayman mette des gros gnons à ce pauvre Yoshi avec son mode coopératif absolument génial. Pas au point de se coucher tout de même, car mon dinosaure préféré a de bonnes armes en main pour se défendre (des bosses épiques, pour commencer), mais vous comprendrez facilement mon malaise : je lui met combien, à ce jeu ? Je le met dans mon Top 10, oui mais où ? De quel jeu va-t-il prendre la place dans mon coeur ? Sérieusement, Rayman, je t'aime beaucoup, mais là tu fais chier à être aussi bon.