ARTUNG! Ma critique concerne essentiellement l'acte final de l'œuvre de Rockstar. Attention, j'évoque des moments clés du jeu de façon floue, mais tout de même cela pourrait gâcher l'expérience de ceux qui n'ont pas encore joué à Red Dead Redemption. !ARTUNG
Dan Houser parlait pertinemment de recréer dans Red Dead Redemption un espace, ce qui a été fait à merveille avec la reproduction d'une faune dense et crédible, d'une flore, de paysages, d'ambiance... etc. Mais il y a dans Red Dead Redemption une dimension incontestablement historique et - de façon plus intéressante - politique ! 1910 - l'année où se situe l'action - est un moment assez tardif pour un western : les Etats-Unis ont amorcé la modernisation de l'Ouest en commençant à fournir des denrées primaires comme l'eau et l'électricité puis doucement mais sûrement un cadre. On assiste donc à la fin de l'Ouest sauvage. S'opposent, j'ajouterais même se mélangent un monde "civilisé" et un monde "sauvage". Chacun ont leurs codes et leurs valeurs ; d'un côté il y a une société urbanisée, industrialisée, éduquée mais mais qui fait face à de nouveaux problèmes de misère sociale et d'un autre une société rurale agricole quelque peu laxiste sur les mœurs de la civilisation (car elle les ignore). Cette cohabitation crée forcément une friction voir un rapport de force entre ces deux époques. Rockstar dépeint avec brio la déchirure que constitue ce passage à témoin.
Comme souvent chez Rockstar, tout passe par l'entremise du personnage principal. Là où se démarque Red Redemption c'est qu'il provoque une communauté de sentiment entre le joueur et le héros. On ressent en jouant à Red Dead une vraie empathie, on peut ressentir les troubles et déchirements internes du héros. Je me suis saisi, en arrivant pour la première fois à Blackwater, des angoisses du héros. La ville me faisait peur car elle m'était étrangère. Le glissement progressif de l'Ouest du Western classique au centre urbain (plus rare dans les films du genre) est très judicieux, il provoque tout autant que la mise en scène formidable, un fort sentiment d'empathie.
L'heure finale est audacieuse, la vieille relique du passé que nous sommes doit laisser place, malgré sa volonté de rédemption (voir de réformation), à quelque chose qu'il lui est autre. La scène presque finale démontre magistralement que les deux époques sont encore confondues. Le droit, la loi, la civilisation, le progrès, l'Homme triomphent du sauvage, du hors-la-loi, du terreux, du violent, par des moyens extra-légaux. Cette exécution, plus proche du guet-apens du « outlaw » de base que de l'acte coercitif, est la manifestation d'une Amérique en pleine transition. Le "progrès" n'est pas l'horizon de l'histoire ou le point que l'on vise universellement sans cesse, il est plutôt le produit d'un rapport de force. RDR dit explicitement qu'on ne fait pas d'omelette (pour les dominants attablés et affamés) sans casser des œufs (sortis du cul de la poule dominée).
En y repensant le jeu ne brille pas tant par son gameplay, sa superbe reconstitution de l'Ouest américain ou son ambiance mais plutôt par une remise en contexte spatio-temporelle brillante. Les propos de Dan Houser et consort sont d'une rare intelligence dans un jeu. Ils ont dénaturalisé les fondations de l'Amérique moderne, ils ont exposé à la face du joueur que non le "progrès" ne s'impose pas parce que c'est meilleur mais par un affrontement, idéologique mais aussi physique. La révolution industrielle sous-tend quelques frictions, et on le voit, on le vit dans Red Dead. Chapeau Rockstar. Plus qu'un simulateur de cow-boy ou un GTA au far west, RDR se paye le luxe de dire des choses pas trop idiotes de façon pas trop idiote.
Evidemment, le jeu souffre de quelques défauts. La relation père-fils et femme-mari sont ridiculement traitées par exemple. Mais ne boudons pas notre plaisir.
Je rêverais d'un jeu qui irait plus loin que RDR sur l'indépendance et la guerre d'Algérie. Un jeu qui balloterait le joueur de Paris à Alger dans les années 50-60. Mais celui-là, on est pas près de le voir !