On entend tout et son contraire au sujet du nouveau titre édité par Capcom. D'après les uns, le gameplay serait inintéressant et, à quoi bon s'appeler jeu vidéo quand on ne peut procurer aucun plaisir ludique ? D'après les autres, le scénario taperait dans du gros cliché et, malgré l'univers bien branlé et l'identité visuelle impeccable du titre, on ne dépasserait finalement que de très peu les standards du médium en terme de narration.
Voilà, on la retrouve, cette lancinante rengaine du narratif VS. ludologique...
Ce à quoi je réponds : pensez personnage. Le personnage, au croisement des interactivités et de l'histoire, est le véhicule parfait pour profiter d'un jeu comme Remember Me, et à mon grand soulagement, les développeurs ont vraisemblablement pensé la même chose puisque c'est strictement le regard de l'héroïne que le joueur est amené à partager et, je dirais même plus, à explorer. Oubliez donc les grandes promesses du Néo-Paris touristique, de l'univers d'anticipation ultra-fouillé, vous ne partagerez qu'une seule et unique journée de l'emploi du temps extrêmement chargé de Nilin. Tout ce qui se réfère en détail à l'univers de Néo-Paris et de ses corporations ne sont malheureusement qu'esquissés dans quelques paragraphes optionnels d'un sous-menu dédié. Le jeu voltige ainsi en permanence entre un parcours intimiste et une mise en scène qui bascule parfois drastiquement dans le cahier des charges du spectacle hollywoodien. Courses poursuites souterraines et jeux du chat et de la souris côtoient sans transition drames humains et monologues introspectifs. Difficile, face à ce simple constat, de ne pas signaler une certaine maladresse dans la structure du récit. Et en ce sens, il faut reconnaître que Remember Me ne parvient pas à s'émanciper de certains canons du JV d'action occidental, plutôt efficaces mais non moins envahissants.
Comme il a été dis par toute la presse, et peut être plus encore, la représentation de l'univers est certainement le point fort du titre. Au travers du regard de Nilin, l'interface graphique se construit à mesure que l'on frôle le décor ou que l'on explore la mémoire de nos alliés et ennemis à la recherche d'indices permettant aussi bien la progression, que la simple construction d'un édifice dont on ne doute que très rarement de l'authenticité. En de rares occasions, on trouve encore des murs invisibles blindés par des accessoires et PNJs inamovibles ou encore des surfaces vraisemblablement accueillantes mais dépourvus de potentiel interactif. On n'échappe pas non plus aux arènes bien vastes qui hurlent "ICI BASTON" avant même que l'on y fasse un pas. Mais ces faiblesses de level design ne doivent pas voiler le travail constant de mise en scène qui accompagne chaque phase d'exploration ou de "plateforme", ou la fluidité (tardive mais réelle) des affrontements qui, malheureusement, ne deviennent vraiment intéressants que dans les 3 derniers chapitres de l'aventure (mode de difficulté max obligatoire pour ressentir le petit frisson, passé le premier boss frustrant).
On en vient donc au problème fondamental du jeu, qui est pour moi d'ordre narratif, et qui je pense peut se résumer en une petite formule un brin déprimante : le dictat des graphistes. Lorsque le projet s'appelait encore Adrift, DontNod communiquait pas mal sur la participation d'Alain Damasio à l'écriture, avant que le projet ne mue et ne passe sous la houlette de Capcom. Aussi positif que ce contrat a pu être pour le studio, il a tout de même mené le projet, très prometteur sur le plan artistique, à subir des compromis. Et c'est l'histoire qui a pris, c'est évident. S'il faut des arguments pour s'en convaincre, il suffit de lire le discours amer (mais courtois) de l'auteur de La Horde du Contrevent face à une industrie qui a tendance à prendre ses joueurs pour des idiots profonds, incapables de concilier des activités intellectuelles et intuitives sans se perdre en cours de route : http://ragemag.fr/alain-damasio-remember-me-est-un-miroir-des-technos-intrusives-30172/
Résultat, l'instance créative qui parvient le mieux à raconter des histoires est musicale, et ça tout le monde l'a remarqué. Olivier Derivière a vraisemblablement jouit d'une latitude inédite, profité d'un véritable orchestre pour mieux jouer avec ses sons, en faire quelque chose d'hors du commun et surtout qui réagit aux actions du joueur pour fournir un feedback crucial lors des affrontements, fréquentant de très près des questionnements habituellement réservées aux sound designers.
Voilà, Remember Me est un jeu lacunaire sur bien des points. Une franche déception même, aux vues de ses ambitions premières. Sa fraîcheur ne réside donc absolument pas dans sa formule, mais dans sa forme et sa finition et dans la justesse de son registre et de ses références.