Xenogears ou la cristallisation du conflit entre ludologie et narratologie.
Scindé en deux Disques, l'aventure de Xenogears commence son chemin tranquillement après une introduction pourtant radicale, enchaînant à la pelle ce que sont devenus les poncifs du genre : héros amnésique, désert, séparation brutale avec le groupe de personnages, égouts... bref, insupportable pour un joueur de 2013 ayant un minimum de bagage et affectionnant le genre. Ajoutez à cela un système d'affrontement peu évolutif et une interface vraiment pas accueillante et ça y est, je me force à jouer. Je me force car bon sang, il jouit tout de même d'une sacrée réputation, mais ça n'est définitivement pas une attitude agréable.
J'ai donc logiquement fini par arrêter. J'ai fait un break de plusieurs mois. J'en avais simplement marre. Le rythme du jeu est typique du genre, c'est à dire que pour une révélation mineure qui assure la promesse d'un développement intéressant, il y a deux heures de jeu auparavant. J'aime les J-RPGs donc ça n'aurait pas dû me poser de problème. Seulement, compte tenu du calvaire ludique et visuel (égout/désert/désert/caverne/désertRAhsfqsfga !) qui nous est imposé entre chacune de ces petites récompenses, ma patience (pourtant franchement éprouvée) a trouvé une limite. Ma petite hypothèse concernant la mise au silence de ce début infernal réside dans l'exploitation des "Gears" (les méchas) qui se fait relativement tôt. Ainsi, si vous êtes un aficionado de cette spécificité nippone, il y a des chances pour que tous les défauts sus-cités vous passent sous le nez face au plaisir immédiat que vous procurera la possibilité parfaitement novatrice de faire monter ou descendre chacun des trois personnages de votre groupe de leur engin de métal et de les faire combattre. En plus de ce détail (qui fait la différence, j'insiste), la démesure de certains événements ponctuels octroyant une place de choix aux Gears dans des séquences en 3D intégrale retiens l'attention, et l'on se dit vite que si à 6h de jeu nous avons affaire à ce type de séquence, les 30h+ ont de fortes chances d'être épiques.
Tiens justement, 30h c'est à peu près le temps d'investissement nécessaire pour boucler le Disque 1. Mais en réalité, il ne faut pas attendre jusque là pour que cela devienne intéressant, en tous cas, pas de mon point de vue. Je dirais à titre personnel qu'il faut s'accrocher pendant une grosse vingtaine d'heure; le dernier tiers du premier Disque étant indéniablement une réussite. C'est d'ailleurs la partie du jeu la plus aboutie dans une pure optique de genre. Les donjons y sont intéressants (malgré des bizarreries plateformesques malvenues de mon humble opinion), la mise en scène s'y fait plus soignée, les éléments d'intrigues y sont enfin consistants (et non plus sporadiques à quelques exceptions près), et les premiers masques tombent. On sent toutefois que les développeurs sont parfois mal à l'aise avec la 3D intégrale (avec une caméra en mouvement à disposition) qui rend des situations spatiales paradoxalement moins précises qu'avec la 3D pré-calculée observée chez les Final Fantasy de la même compagnie. M'enfin, comparer ces deux jeux serait abscons passer le simple constat de l'efficacité du dispositif visuel à l'échelle des personnages.
Arrive donc ce Disque 2 sous les meilleurs auspices et là, surprise : on abandonne purement et simplement le jeu au profit quasi-intégral de la narration. Résultat, tout s'enchaîne à une allure frénétique et un dispositif très singulier est mis en place afin de constituer une expérience littéraire qui n'a rien à voir avec la lecture traditionnelle. Le challenge disparaît du jeu pendant plusieurs heures, le temps de rattraper la conclusion qui revient à quelque chose d'un peu plus conventionnel dans sa forme. Pendant ces quelques heures, la mise en scène est... particulièrement soignée...
Bon en fait, ça enterre presque tout ce qui s'est fait auparavant, et notamment sur ce support. Le jeu développe de belles idées en bâtissant son discours sur un équilibre délicatement maintenu par les personnages, eux-mêmes très habilement construits, et le récit se complexifie à un point critique. Ca n'est pas que le jeu est difficile à comprendre, ses plus beaux moments d'humanité reposent au contraire sur des principes d'écriture d'une simplicité réellement touchante. C'est qu'il sonne juste en mettant en relation des instances thématiques que l'on n'a pourtant pas l'habitude de faire fonctionner ensemble dans une oeuvre de divertissement, pour ne pas dire qu'on les oppose instinctivement, même aujourd'hui, 15 ans après. En cela, Xenogears est hors du commun.
Aussi, pendant que je faisais ce deuxième Disque, je n'ai pas pu m'empêcher d'imaginer ce qu'il se serait passé si j'avais fait le jeu dans ma pré-adolescence; une période de ma vie que, contrairement à ce que l'usage courant semble attester, je ne renie pas le moins du monde. Le fait est que le jeu de Takahashi aborde des sujets sur lesquels je me sensibilisais quand j'étais petiot (comme beaucoup de monde je présume), et que des œuvres comme Evangelion ou FF7 nourrissaient alors considérablement dans ma réflexion. Toutefois sa façon d'aborder des univers mythologiques de référence s'oppose radicalement à la méthode de ces oeuvres pop', et notamment à celle d'Evangelion. Dans Xenogears, il n'y a au final, pas grand chose qui est laissé en suspens. Le récit se veut tellement maîtrisé qu'il en devient presque autonome. Tout est justifié et le contre-coup, c'est qu'il n'y a plus beaucoup de place pour l'interprétation. Le regard du joueur se noie dans une densité informative dont ne peuvent finalement résulter que la fascination, le désintérêt ou le scepticisme. Dans tous les cas, l'expérience se doit d'être vécue pour tout amateur de J-RPG.