Si Uncharted 2 : Among Thieves est sans conteste le meilleur épisode de la saga, on est en droit de se demander quel intérêt il y avait à en sortir un remake HD alors que le remaster (très réussi) est sorti il y a à peine trois ans de ça ?
Oh, bien sûr, le petit coup de frais technique fait plaisir à voir, et le nouveau design de Nathan Drake, bien qu'un peu surprenant, est plutôt agréable à l'oeil, notamment au niveau de la poitrine et de la paire de fesses (j'avoue, je me suis surpris à plusieurs reprises en cours de jeu à questionner ma sexualité), mais le fond du jeu, lui, reste le même : perdu dans des montagnes encerclées de glaces éternelles, vous allez braver moults précipices et moults barbouzes fanatiques pour découvrir la source de la vie éternelle – rien que ça ! Heureusement, en chemin, vous pourrez compter sur l'aide de votre vieil ami Sully, sauf qu'il a pris vingt kilos, qu'il est devenu noir de peau et qu'il... comment ça, c'est pas Uncharted 2 ? Comment ça, c'est Rise of the Tomb Raider ? Mais enfin, je sais bien reconnaître Uncharted 2 quand je le vois ! C'est le même jeu ! Le même environnement principal ! Les mêmes mécaniques ! Le même scénario ! Les mêmes méchants !
Oui, bon, d'accord, ils ont rajouté un arc et c'est bien sympathique pour la jouer plus en finesse, c'est vrai, ça fait man versus wild, c'est plus écologique (même si bon, les flèches explosives, il va falloir m'expliquer comment ça se fabrique parce que là, c'est scientifiquement un peu flou). Et ok, l'utilisation de plusieurs accessoires durant les phases d'ascension les rend moins monotones et un peu plus vivantes, c'est sûr, ce n'était pas du luxe (dommage que Lara ait des chaussures magiques aimantées qui lui permettent de réceptionner à trente mètre sur des poutrelles de bois larges comme des allumettes, ça gâche un peu l'effort). Je veux bien que le crafting, c'est une nouveauté, mais enfin si cette nouveauté n'apporte rien, je ne vois pas bien l'intérêt non plus. Ah et puis les zones sont plus grandes avec plus d'objectifs secondaires et quelques quêtes fedex qui, comme d'habitude, explosent la narration plus sûrement qu'un baril de poudre abandonné par les ruskofs (ruskofs très négligents, vous le découvrirez en cours de route).
Parce que bon, c'est rien que du jeu vidéo, bien sûr, mais enfin quand des innocents se font massacrer par des mercenaires assoiffés de sang et que moi, pendant c'temps là, j'tournais la manivelle, et moi pendant, c'temps-là, je dansais dans les bois, lalalalala, lalalalala, et ben ça vous sort un peu du bouzin, et à plus forte raison quand vous pouvez vous téléporter d'un feu de camp à l'autre comme Son Goku.
Du coup, le jeu est sympa comme un Uncharted, vu... ben... que c'est un Uncharted (même les touches sont mappées à l'identique) : on s'amuse (relativement) bien et on ne s'ennuie pas (trop), cependant la copie peine en tous points à égaler son illustre inspirateur. Entre l'intelligence artificielle des ennemis qui s'est calée sur celle des anges de la téléréalité (« hé, c'est marrant, y'a Jean-Paul, il s'est endormi là d'un coup en plein milieu de notre conversation avec une flèche qui lui traverse le crâne. Quel blagueur ce Jean-Paul. Mais bon, c'est pas tout ça mais j'ai une ronde à faire, moi» - pour vous dire, les seuls ennemis vraiment dangereux dans ce Tomb Raider, boss final compris, ce sont les animaux sauvages. Ça vous donne une idée du niveau), des énigmes pas toujours très bien dosées (dans un sens ou dans l'autre), un level design qui pousse-le-bouchon-un-peu-loin-Maurice (a priori, en Sibérie, y'a que des yamakazis, personne est fichu de passer par les portes, faut toujours grimper un milliards de parois à mains nues pour accéder à la moindre cabane de pêcheur et ça tourne très vite au grotesque), faut le dire, on n'est pas forcément toujours à la fête. Et encore ne sont-ce pas là les plus gros défauts, qui sont au nombre de deux et ne sont pas des moindres :
D'abord, la direction artistique. Le jeu est beau, c'est clair, mais il l'est sans génie, de la façon la plus random et la plus mécaniste possible**. Pas de waow effect, on ne s'extasie pas, on ne s'émerveille jamais, on n'est que rarement surpris, on doit se forcer à appuyer sur la touche « share » pour faire quelques captures d'écran sans conviction.** Là où Uncharted 2, sur les bécanes de la gen' précédente, savait ménager ses effets grâce à la lumière, la mise en scène, une certaine variété et un sens du lyrisme inégalé, Rise of the Tomb Raider ne transmets à aucun moment l'appel de l'aventure censément au cœur de son propos. On traverse grottes et ruines avec un haussement d'épaules blasé, les temples et cités englouties ne nous arrachent pas davantage de frissons extatiques, on les visite comme on ferait ses courses un samedi à Franprix (enfin, un Franprix sur douze étages dont on aurait condamné la porte et dans lequel on aurait installé tout un système de poulies et de tonneaux explosifs complètement ridicule pour compenser). L'unité de lieu, aussi, concoure à alimenter ce sentiment de redondance. Ok, il neige, y'a de la glace, c'est tout rouillé, mais enfin on aimerait bien voir aussi autre chose de temps en temps, histoire de rompre la monotonie - et on va me dire que je suis de parti pris mais ça, Uncharted l'avait bien compris, LUI.
Le scénario (incidemment, les personnages), ensuite. Non content d'être un rip-off de celui d'Among the Thieves, donc, avec les mêmes enjeux, les mêmes bad guy et les mêmes
guerriers immortels en bout de course (sauf qu'eux se tombent en trois coups au contact, bonjour l'angoisse, houlala qu'est-ce que ça fait peur dites donc, je suis complètement... OH ! Des champignons ! Justement, il m'en manquait dans mon inventaire !)
, mais c'est un rip-off mal écrit, poussif, sans une once d'originalité ou de finesse. Là où Uncharted (toujours lui) sauvait son propos grâce à son humour, sa désinvolture et son second degré salutaire, Rise of the Tomb Raider s'enlise dans un sérieux d'autant plus embarrassant que l'ensemble est écrit au tractopelle par un analphabète et alcoolique notoire. Le seul twist à peu près sympa est balancé en tout début du jeu, contre toute logique scénaristique, après quoi les poncifs et lieux communs s'enchaînent de façon délayée, sans plus aucune surprise ni sursaut inspiré, façon bit lit, jusqu'au twist final post-générique qui est d'une ringardise à mourir de rire. Les dialogues tombent systématiquement à plat, les personnages sont tous plus insupportables les uns que les autres (si transparents et stéréotypés qu'on a envie de leur coller des bastos à chaque fois qu'ils ouvrent la bouche – Lara Croft en tête), les rebondissements sont paresseux et se voient venir à quinze mille bornes même par temps de brouillard. Non, vraiment, sur ce plan-là, c'est très mauvais, il n'y a rien à sauver, on finit assez rapidement par se facepalmer à chaque incohérence et chaque boulette cinématique qu'on nous inflige sans préavis. Ne parlons pas des documents à découvrir qui sont tous lus à voix haute par défaut (et pas très bien écrits non plus), ou du récit qui se délite par dictaphones interposés, miraculeusement disséminés au long des cartes par leurs négligents propriétaires (qui ignorent vraisemblablement qu'on peut changer les cassettes quand on a fini de s'enregistrer. Non. Ils préfèrent jeter leurs dictaphones et en « entamer un autre ». Quand je vous disais qu'ils n'étaient pas fûtés...). Mais le pire, dans tout ça, ou plutôt LA pire, c'est cette Lara Croft revisitée, qui est incontestablement le personnage féminin le plus calamiteux que nous ait offert l'industrie vidéoludique ces dernières années. A des lieues de son incarnation future sur PS1, cette Lara-là n'a rien de badass, rien de charismatique. Sous prétexte de nous présenter un personnage de femme « forte » (LOL) plus « réaliste » (RE-LOL), les scénaristes nous livrent une poupée geignarde, égotiste, dénuée de caractère, une potiche de luxe dont la force supposée n'est qu'une façade artificielle pour cacher une énième Princesse Peach au rabais, histoire de titiller la fibre protectrice du joueur et d'alimenter ses fantasmes. Ce qui resterait supportable, sans doute, si notre Lara next gen fermait sa gueule de temps en temps - mais non, on est dans un jeu moderne, destiné au joueur moderne, cet hyperactif forcené incapable de maintenir son attention s'il ne se passe ou dit pas un truc toutes les dix secondes. Du coup Lara PARLE TOUT LE PUTAIN DE TEMPS. Accrochée par une main à une corniche, elle parle. Avec six balles dans le corps et une grenade dans la bouche, elle parle. Je suis sûr qu'il arrive même à ses introspections d'avoir des introspections (parce que quand elle ne parle pas, elle pense. A VOIX HAUTE PUTAIN). Ce qui ajoute encore au ridicule ambiant, comme si on jouait la Shunrei de la série CDZ Abridge (les vrais savent). Lara Croft version 2015 est un pur produit de la génération millenial, qui se sent obligée de toujours faire du bruit avec sa bouche pour bien signifier au monde qu'elle existe, et qui se sent forcée de toujours commenter tout ce qu'elle voit ou vit, ou toujours exprimer ses moindres ressentis comme si le monde entier en avait quelque chose à foutre. « Et tandis que le froid s'empare de moi, je sens ma chair se paralyser peu à peu et la douleur envahir chaque parcelle de mon corps... » NO SHIT, SHERLOCK ? ! IL FAIT MOINS QUARANTE ET TU ES EN MARCEL, TU T'ATTENDAIS A QUOI, BORDEL ? ! (pardon mais ça fait vingt heures et quelques que j'ai envie de lui balancer ça). Encore un peu et elle va se plaindre que les flocons qui tombent relèvent de la microagression et lâcher le hashtag #pasdanslatoundra. « Et là, je repense à mon père et aux moments heureux que nous avons partagés tous les deux quand on allait faire les courses à Franprix et qu'on atteignait le quinzième étage... il n'y avait plus de sel au rayon électroménager alors il en avait fabriqué avec des vieux champignons hallucinogènes et des flèches explosives, qu'est-ce qu'on avait ri ce jour-là, avant que l'ours du rayon cosmétiques ne cherche à manger notre CB. Ça me rappelle quand oncle Bob nous emmenait au lac pour tourner la maniv... » TAIS-TOI ! PAR PITIE TAIS-TOI ! J'EN. PEUX. PLUS. NON, CE N'EST PAS CA, « ECRIRE UN PERSONNAGE ». OUI, JE VOIS BIEN QUE TU ES FIER DE TOI, SCENARISTE, MAIS TU NOUS AS FAIT DE LA MERDE, IL N'Y A PAS D'AUTRE MOT ! Bref, notre Lara version troisième millénaire est une femme forte, mais selon la définition qu'en donne l'ère des babtous fragiles. En l'état, elle est aussi forte que le Breysse Bleu. « Fin et fort » à la fois, mes fesses. Faut pas s'y connaître en fromages pour gober ces âneries.
Bon, je dégoise, je dégoise mais il n'est pas si mauvais, hein, ce Tomb Raider. Avec de l'indulgence et des boules quiès, il se parcoure même avec un peu de plaisir, jamais trop pour nous éviter les overdoses, mais toujours suffisamment pour nous pousser à aller jusqu'au bout. On se plaît à tendre des embuscades, explorer les tombeaux annexes, flinguer du puma au canon scié.
Mais comparé à son illustre inspirateur (il fallait bien y revenir), cet opus n'est qu'un de ces cassoulets en barquette à réchauffer au micro-ondes : sur la boîte, c'est joli, ça présente bien mais une fois dans l'assiette, ben y'a eu comme un downgrading post E3 – dans le meilleur des cas, ça manque de goût, le reste du temps c'est dégueulasse.
Dès lors, la question se pose pour de bon : pourquoi se lancer dans Rise of the Tomb raider, quand on peut se refaire Uncharted 2 ? !
Les fesses ?
Ha ouais, mince.
Les fesses.