Si je ne devais retenir qu’une seule chose de cette génération de consoles, ça serait sans aucun doute ma découverte de la série des Soulsborne. Bloodborne constitue l’une de mes plus grandes claques de ces dernières années, tant il a su, malgré sa narration nébuleuse, me happer dans son univers grâce à ses combats intenses, son ambiance extraordinaire, et son challenge sévère, mais toujours juste. Une découverte qui m’a poussé à enchainer avec la série des Souls, qui fut tout aussi réjouissante, même si je n’ai toujours pas eu le temps de lancer Dark Souls 2 au moment où j’écris ces lignes. Tout cela pour justifier le fait que Sekiro Shadow Dies Twice était, par voie de conséquence, le jeu que j’attendais le plus cette année. Voulu comme une toute nouvelle expérience par les équipes de Hidetaka Miyazaki malgré de réguliers emprunts aux Soulsborne ou à la série des Tenchu, ce houleux périple au cœur du Japon féodal m’aura toutefois moins convaincu qu’à l’accoutumée. Et pas forcément seulement pour cette fameuse difficulté qui a défrayé la chronique, mais plus pour d’autres raisons qui semblent pourtant ne pas avoir dérangé plus que cela.
Le loup est mort ce soir
Allez. Mettons tout de suite les pieds dans le plat, et parlons de cette difficulté qui a tant fait parler et qui fut carrément à l’origine d’une pétition pour réclamer un mode facile. Alors oui, le jeu est dur et impitoyable, au moins durant ses premières heures, et ce pour plusieurs raisons. En premier lieu, de par son système de jeu, finalement assez différent de l’habituelle recette des Souls. Le principal problème viendra ici du fait qu’il faudra rapidement assimiler que chaque ennemi, comme le joueur, a désormais deux types de barres de vies. Une jauge classique représentant les points de vie, et une autre appelée barre de posture. Cette dernière se remplira chaque fois que vous réussirez un contre parfait, mécanique clef de ce Sekiro comparable à ceux des Souls, mais avec un timing un peu moins serré. Une fois celle-ci pleine, vous serez en mesure de placer un coup fatal à votre adversaire, qui lui ôtera la totalité de sa barre de vie. Inutile de préciser que seuls les boss, pouvant en avoir jusqu’à trois, y résisteront. Un concept d’autant plus indispensable à assimiler que votre katana n’aura qu’une efficacité relative sur les points de vie de la majeure partie de vos assaillants, sans parler des esquives moins permissives qu’à l’accoutumée. Évidemment, cette incitation à la prise de risque perpétuelle vous mettra plus fréquemment à la merci des sévères punitions qu’impliqueront la moindre erreur de calcul ou de timing. Sachant qu’en début de partie, il faudra rarement plus d’un à trois coups pour voir notre héros, Loup, succomber, on s’habituera bien vite à voir les écrans de Mort se succéder les uns après les autres.
Mais le deuxième point important qui aura sans doute raison d’un certain nombre de joueurs, même parmi les habitués de la formule From Software, réside dans le fait que Sekiro n’est pas un RPG. Certes, il en garde quelques éléments, à l’image des points de compétences à dépenser dans les différents arbres prévus à cet effet, ou encore d’augmenter sa vie et sa puissance de frappe via des objets à récupérer majoritairement en triomphant de fortes oppositions. Mais impossible ici de se faciliter la vie en gagnant quelques niveaux d’XP ou en farmant une nouvelle arme. Seul le talent brut, la patience, et l’usage éventuel de quelques consommables aux effets très temporaires permettront de se sortir des combats les plus retors. Et les développeurs n’ont pas beaucoup cherché à adoucir le mélange, en criblant de mini-boss tout le début de l’aventure, ou en pénalisant la mort par la présence de la peste du dragon, une maladie pouvant nous priver d’une partie de notre XP et de notre argent à chaque défaite, ou infecter les PNJs bloquant du même coup l’accès à leurs missions annexes. Si la partie tutorial, plus présente que d’habitude (merci Activision), permet d’apprendre les bases du gameplay dans de bonnes conditions, elle ne prépare finalement qu’assez peu à une entrée en matière encore plus abrupte et impitoyable que dans les soulsborne. Les premiers mini-boss pourront demander aux moins aguerris plusieurs dizaines d’essais avant de les faire tomber, ce qui pourra se révéler assez décourageant pour un grand nombre de joueurs. Nombre d’entre eux s’y sont d’ailleurs suffisamment cassé les dents pour réclamer avec véhémence l’intégration d’un mode facile.
A mort la difficulté !
Alors, From Software a-t-il eu raison de rester fidèle à sa vision originelle, quitte à fermer la porte au nez d’un potentiel nouveau public ? Ou les développeurs auraient-ils dû consentir à quelques concessions pour permettre au plus maladroit des joueurs d’en profiter ? Pour ma part, je considère comme une bonne chose que Miyazaki et son équipe n’aient pas courbé l’échine. Entendons-nous bien. Oui, Sekiro est difficile, et son dosage me paraît moins juste que de coutume, à l’image de l’aberrant combat de milieu de jeu contre Genichiro, aux allures d’examen final bien plus exigeant que ce qui suivra, mis à part les derniers boss. Mais à une heure où la créativité s’uniformise de plus en plus, à vouloir correspondre à une idéologie commune, ou à vouloir satisfaire à tout prix des fans toujours plus nombreux quitte à voir l’identité des auteurs disparaître au profit du marketing, il est bon d’en voir certains savoir rester fidèles à leur personnalité.
Et proposer, entre autres, des jeux à challenge fait justement partie de l’ADN de From Software. Ce qui m’a précisément toujours plu dans les titres récents du développeur reste l’intensité qui se dégage de chaque combat. Un sentiment d’oppression constante en partie due à la capacité de chaque adversaire à varier son comportement et rester actif en permanence. Et c’est précisément ce caractère agressif et imprévisible qui rend ces titres difficiles. Un mode facile exigerait nécessairement de calmer un peu les ardeurs des IA ennemis et, du même coup, le rythme des affrontements. Nombre de joueurs optant pour cette expérience dénaturée risqueraient alors de rester sceptiques devant la soi-disant vivacité du jeu, eux qui n’auraient eu affaire qu’à des joutes posées face à une opposition plus ou moins statique. On pourrait toujours réduire la puissance des coups reçus ou augmenter celle des coups portés, mais cela ne changerait pas grand-chose dans la mesure où la mort mettrait simplement un peu plus de temps à venir punir la cause numéro un du problème : le manque de maîtrise.
Il est de bon ton aujourd’hui de demander que toute œuvre se destine à tous les publics, ce qui me paraît constituer une aberration totale. De la même façon qu’un GTA ne s’adresse pas aux enfants, un film d’horreur gore ne s’adresse pas aux âmes sensibles, tandis que les jeux From Software ne s’adressent que rarement aux joueurs hermétiques au Game Over. A l’heure où la production vidéo-ludique n’a jamais été aussi florissante, qu’a-t-on à gagner à demander aux créateurs qui souhaitent sortir du carcan habituel de rentrer dans le rang en proposant la même chose qu’ailleurs ? A nous de savoir accepter une œuvre pour la singularité de ce qu’elle propose, ce qui lui octroie une identité, ou de la refuser parce qu’elle ne nous correspond pas, et d’aller voir ailleurs. C’est à mon sens, ce qui permet de garantir une variété créative indispensable à tous les médias, et notamment au jeu vidéo. Disons simplement que je préfère largement savoir que des jeux comme Ghouls N’Ghosts ou Cuphead existent comme ils sont tout en me sachant incapable de les finir, que de voir des titres de cet acabit disparaître parce qu’un panel grandissant de joueurs insatiables veulent pouvoir jouer à tout ce qui sort, même si c’est humainement impossible.
De toute façon, avant même l’intégration d’un mode facile, Sekiro a quelques petits problèmes plus fondamentaux à régler afin d’éviter d’inhabituelles déconvenues, à commencer par la gestion des caméras et du ciblage. Si ces deux points n’ont jamais été la plus grande réussite des Soulsborne, le rythme assez posé, et la relative grande taille des zones, même en intérieur, permettait à From Software d’éviter en majeure partie les moments confus. Mais Loup est vif, très vif. Il peut sauter et virevolter dans tous les sens avec son grappin, tout comme bon nombre de ses opposants. Un aspect forcément positif tant il dynamise l’action, mais qui met régulièrement en PLS une caméra qui n’a, quant à elle, que peu évolué, et qui a bien du mal à tout suivre. Et il ne faudra pas compter sur une abondance d’environnements ouverts pour atténuer le souci, les développeurs ayant jugé bon de multiplier les combats en lieux exigus, où chaque pas un peu trop près d’un mur nous obligera carrément à combattre à l’aveugle. Sans être trop fréquentes, les morts dues à ces impairs restent assez inappropriées dans un titre aussi exigeant, et rendent les successions d’échecs parfois plus écœurantes que nécessaires. Alors oui, la pratique permettra de limiter les défaites hasardeuses, et les plus à l’aise avec la mécanique de contre pourront s’en sortir grâce à la précision du sound design, par ailleurs, très réussi. Mais cela n’en reste pas moins des défauts suffisamment gênants pour qu’on puisse se contenter de les ignorer.
Soul Blade
Un (trop ?) long passage sur la difficulté qui ne doit faire oublier bien d’autres aspects bien plus importants de ce Sekiro. A commencer par ses indéniables points forts qui auront longtemps plus compté pour moi que ses problèmes. Revenons d’abord sur ce gameplay plus dynamique qui donne beaucoup plus de pêche aux déplacements et aux affrontements. Pouvoir sauter instinctivement d’une simple pression sur une touche, jongler entre les points d’accroche afin de surprendre les ennemis, ou tout simplement s’infiltrer au milieu d’eux en marchant accroupi libère les habitudes un peu lourdes de la maison From Software, tant et si bien que revenir aux premier Souls pourra sembler difficile à certains. Dans le même ordre idée, si le système de contre pourra en décourager certains, il se révèlera particulièrement jouissif, pas juste à la suite d’un enchainement réussi, mais aussi et surtout parce qu’il permet des joutes au sabre comme peu de jeux vidéo ont su le faire avant lui, où les lames s’entrechoquent souvent et où chaque touche donne le sentiment de réellement blesser l’adversaire.
Sans être le plus beau jeu du monde, je ne peux pas dire que ma visite de ce Japon médiéval m’ait techniquement trop choqué. Il traine encore çà et là quelques textures immondes qui agaceront les plus pointilleux, mais cela reste à bien moindre échelle que dans un Bloodborne par exemple. Et la réussite artistique générale, proposant des décors de plus en plus incroyables jusqu’au feu d’artifice visuel du palais de la fontaine, éclipse assez facilement cette petite contrariété. L’aspect sonore n’est pas en reste, avec un sound design varié et précis, qui permet donc même de combattre au son en contrant les attaques tel un jeu de rythme une fois le pattern d’un boss assimilé. Mention également aux musiques qui, si elles ne vont pas chercher le caractère plus épique et grandiloquent si cher aux Souls, adoptent ici des sonorités plus asiatiques de circonstances, sans hésiter à venir habiller, cette fois-ci, les phases d’exploration. Tout juste pourra-t-on reprocher aux mélodies comme aux environnements leur manque de variété. Un problème pas si grave... Et puis zut ! Si, c’est un problème grave. Car ce recyclage éhonté se déverse sur tout le titre aussi sûrement que la peste du dragon sur le clan Ashina au fur et à mesure que les morts s’accumulent. Et combiné à des évolutions de gameplay assez timides tout au long de l’aventure, la répétitivité manifeste de l’ensemble a bien trop tôt tranché dans le vif mon enthousiasme.
« Tu m’as battu une fois, mais mes multiples vengeances seront terribles ! »
Je n’en ai, en effet, pas entendu parler tant que ça, mais même si j’ai globalement apprécié Sekiro Shadow Dies Twice, ce qui m’a le plus dérangé reste ces incessantes redîtes à la Nioh qui m’ont donné le sentiment de vivre une aventure bien plus longue que nécessaire. Et le titre en est gorgé jusqu’à la moelle. La découverte des premiers décors du jeu est visuellement assez plaisante, mais se taper les mêmes architectures en quasi permanence pendant presque la moitié de l’aventure lasse rapidement. Et ce ne sont pas les ennemis qui viendront égayer le tableau. Au moins, leur diversité restreinte simplifiera grandement l’exploration des zones, étant donné la vitesse à laquelle on intègre les dangers de chaque nouvelle région. Même les boss et mini-boss ne sont pas épargnés, à quelques exceptions près. On se retrouvera donc à un peu tiquer en tombant par hasard sur le troisième guerrier Shichimen, à vraiment s’agacer de devoir en découdre avec cinq (oui, cinq !) Sans-têtes, ou à être carrément consterné à l’heure de devoir combattre un clone de Jizo le Pochard ayant juste changé de nom pour la forme. Par ailleurs, on va se dire qu’il devait être très utile d’être obligé de se taper, entre autres, deux versions du singe sans tête ou de la Religieuse corrompue. Et coupons tout de suite court aux critiques qui se hasarderaient à croire que je proteste parce que c’était trop dur. Il ne m’a fallu qu’un seul essai pour me débarrasser des versions alternatives des adversaires précités. Mais j’aurais préféré mourir un peu plus face à de vraies nouvelles têtes que triompher sans péril de sparring-partners dont je connaissais déjà les patterns par cœur.
Une répétitivité malheureusement vite accentuée par un gameplay qui n’évoluera qu’assez peu au cours de l’aventure, la quasi-absence du côté RPG masquant assez maladroitement quelques failles de contenu. Car si ce changement de direction peut largement justifier la diminution du nombre d’éléments de personnalisation ou d’améliorations, en retrouver moins que dans un beat them all type Bayonetta sur un titre deux fois plus long a de quoi décevoir. Passe encore que Loup ne bénéficie d’aucun changement visuel, ne serait-ce que par de nouvelles tenues, tout au long de l’histoire. J’étais même près à accepter le parti-pris de devoir rester prisonnier d’une seule et même arme sans même la possibilité de la faire améliorer, plaçant tous mes espoirs dans les prometteurs outils de prothèses, armes secondaires se substituant au bras gauche coupé de notre héros. Premier problème : avoir limité l’utilisation des dîtes prothèses via l’utilisation d’emblèmes spirituels, nous obligeant à n’y recourir qu’à des moments triés sur le volet. Et encore moins si on a le malheur de vouloir utiliser certains arts de combats en réclamant eux-aussi l’usage. Parfait pour varier des joutes qui, recyclage précité oblige, peinent tout de même à se renouveler à terme. Second problème : il faut bien avouer que dans la plupart des cas, on est bien plus proche du gadget que du petit plus indispensable qui changera l’issue d’un âpre combat. Seule exception : les pétards qui resteront chez beaucoup l’unique outil digne d’intérêt, tant sa capacité à étourdir tous les types d’adversaires faciliteront la vie pour se soigner ou créer des ouvertures. D’autres pourront trouver leur heure de gloire lors de situations bien spécifiques, comme le tube de flamme ou la lance chargée, mais leur influence générale les rend tout à fait dispensables. Une nouveauté qui ne change donc pas la face du monde et qui porte un peu trop bien son statut d’arme secondaire.
J’y ai pourtant cru au début, notamment grâce à la mécanique de résurrection qui, loin de simplifier le challenge comme on pouvait le craindre au départ, peut même apporte une certaine dimension stratégique au moment de décider si se laisser mourir pour récupérer la moitié de sa vie ne vaut pas mieux que de gaspiller une précieuse dose de gourde. Et les très classiques arbres de compétences permettent de récupérer certaines compétences parfois indispensables comme le contre Mikiri, radical contre les attaques d’estoc. Mais ces apports clefs restent bien trop rares et bien trop circonscrits aux premières heures de jeu pour ne pas manquer sur le long terme. Et à l’instar des outils de prothèse, il ne faudra pas compter sur les nouveaux arbres à débloquer pour dépoussiérer tout cela, compte-tenu du travail nécessaire à l’obtention d’arts à l’utilité incertaine pour qui n’a pas l’intention de se lancer dans le New Game +, lui-même moins pertinent qu’auparavant. Certes, il est assez jouissif de pouvoir profiter d’un gameplay profond et maîtrisé comme celui de ce Sekiro. Mais le dernier né des studios de From Software cherche tellement peu à se renouveler ou à se perdre dans ses excès de répétition qu’il finit par tourner en rond. Et il est à mon sens bien plus problématique d’avoir du mal à finir un jeu par sentiment de lassitude que parce qu’on peine à trouver la motivation de relever un challenge corsé.
Le moins qu’on puisse dire c’est que Sekiro Shadow Dies Twice aura animé les débats. Sa difficulté exigeante et parfois rebutante aura suscité bien des griefs qui, passés quelques soucis de caméra et de ciblage, semblent finalement bien peu compatibles avec la philosophie From Software ou plus simplement, la diversité video-ludique. En ce qui me concerne, les problèmes les plus sérieux résideront plus dans une proposition qui peine à tenir la route sur le long terme, de par des évolutions de gameplay trop occasionnelles, ou un recyclage abusif à l’origine d’un sentiment de lassitude quelque peu prématuré. D’autant plus regrettable que l’aventure de Loup sait se rendre exceptionnelle à plus d’un titre, qu’il s’agisse de ses combats au sabre d’une intensité rare, du plaisir de contrôler un héros enfin mobile et dynamique, ou des vraies claques visuelles que savent infliger les plus beaux environnements. Un bilan sans doute un peu ingrat pour un bon jeu au demeurant, mais dont nombre de choix discutables le rendent pour moi bien moins intéressant que la série des Soulsborne. Mais si ma déception est plus ou moins proportionnelle à mes attentes, cela ne m’empêchera toutefois pas de recommander ce Sekiro à tous ceux pour qui la peur du challenge constitue le seul obstacle, tant il faut aussi reconnaître au dernier né du studio de Miyazaki une force de caractère qui saura largement les convaincre.