Un petit engin servant à graver des motifs circulaires sur des plaques de cuivres ou de laitons, c'est la définition d'une rose-engine, nom que se sont donnés Yuri Stern et Barbara Wittmann pour accueillir Signalis.
Le motif de la rosace est omniprésent dans ce survival-horror retro. Plus qu'un simple symbole, c'est un guide qui oriente et décide de notre progression, tout comme le nombre 6, ainsi qu'une quantité non négligeable de références littéraires et picturales.
L’Allemagne, terre de l'unheimlich par excellence, se devait de pousser la porte de la SF pour y polir une telle perle. Exit les idées cyberpunks dopés aux stéroïdes des années Gibson, place à la froideur d'une république libre dont les scientifiques numérisent et dupliquent les meilleurs individus, espérant défaire un empire dont elle embrasse en filigrane tous les aspects, à commencer par le respect indéfectible d'une hiérarchie au pinacle "quasi divin", comme on peut le lire dans le descriptif des unités FKLR.
On peut trouver beaucoup de qualités à ce jeu, à commencer par sa narration morcelée, somme conséquente de documents dénichés tout au long de la progression, qui enflamme Reddit depuis deux ans. S'il est étonnant, en 2022, d'avoir encore à lire du texte dans un jeu pour en comprendre (?) l'histoire, la multiplication des notes de services, pages arrachées, dossiers, mails et consort reste étonnamment agréable à parcourir. Chacun de ces document ne dépasse pas en effet quelques lignes, et la variation des tons employés laisse toute la place à l'interprétation. Même si le risque de surcharge cognitive plane au milieu du jeu (le niveau du Protektorat est une véritable archive à ciel ouvert, à croire que les documents confidentiels n'ont de confidentiel que le nom ...), tout s'imbrique petit à petit. J'ai pris un réel plaisir à aller rechercher dans les premiers documents des informations venant préciser les derniers.
Plaisir par contre un peu gâché par ce que je nommerais le vortex Silent Hill.
Car passé l'exploitation minière et son ambiance plutôt réussie, on arrive à l'espace liminal, second volet du jeu : une prison/corps en décomposition, peuplé de créatures de type Pyramid Head en plus anecdotiques. Quelques péripéties plus loin, on voit revenir le gimmick éculé du "c'était un rêve", procédé qui permet d'introduire une seconde exploration ...
Concernant les emprunts, des clins d’œil plus que visibles jalonnent la progression :
Leng, pour le plateau éponyme de Lovecraft, berceau des pires abominations.
L'ombre du Roi en Jaune qui plane sur la santé mentale d'Elster dès le début de l'histoire.
Les nombreuses itérations du plus célèbre tableau de Böcklin.
Le lac des cygnes, et la dualité morbide de son égérie.
Le monte-charge de la mine, copie conforme de celui d'Akira qui mène lui aussi vers une horreur biopunk.
Major Kusanagi et ses multiples répliques (Replikats !), avec une scène directement reprise plan pour plan de Ghost In the Shell (l'arrachage de bras lors de l'ouverture de la soute).
Au delà des emprunts, et si le jeu brille par la symbolique qu'il déploie pour parler de la mort et de la répétition, je reste hélas éperdument sur ma fin concernant les thématiques qui émergeaient dans l'exploration de Sierpinski : la création d'une société idéale basée sur le contrôle mental d'humanoïdes synthétiques, les allusions carcérales qui se cachent derrière la propagande d'état, et l'opposition force collective/individualité.
En ce sens, j'aurais préféré que le jeu évite l'écueil des mondes inversés/miroirs/émanation de conscience dormantes. Contrairement au gameplay retro, bien travaillé quoiqu'un peu rigide, l'histoire n'arrive pas à insuffler un vrai renouveau dans le genre.