Bon, je m'y suis enfin attelé. L'une des plus grandes lacunes de ma culture interactive (surtout en matière de narration) a enfin été comblée.
Je ne vais pas m’échiner à développer les qualités narratives et esthétiques du jeu qui ont été déjà largement détaillées, que ce soit auprès de la communauté passionnée, de la presse spécialisée, voir même des milieux universitaires. Non le seul point de vue intéressant que je puisse vous apporter est la perception d'un joueur de 2020 découvrant ce titre tardivement et offrant ainsi un regard neuf sur la manière dont cette œuvre, universellement acclamé comme un chef d’œuvre, a supporté l'épreuve du temps.
Pour résumer simplement : le bougre a plutôt bien vieilli mais pas totalement non plus.
Il peut être bon de rappeler qu'à titre personnel, je considère que le jeu vidéo est un média subissant très rapidement les effets du temps et que cinq ans suffissent déjà à creuser un fossé entre certains jeux. Autrement dit, même une œuvre culte affronte ce vieillissement, pour ma part, lorsqu'il atteint vingt ans d'ancienneté.
Le principal écueil que je pourrais oser lui formuler concerne principalement la structure très pragmatique du Level Design, largement héritée de la formule des Resident Evil, obligeant le joueur à mémoriser la carte des environnements, les portes bloquées et autres clés à dénicher. Ce qui malheureusement me semble largement détonner avec la dimension psychanalytique de l’œuvre dont la notion de confusion mentale et de cauchemar incohérent semble prédominer à chaque instant.
Peut être ai je été trop influencé par la réputation du jeu et la manière dont l'imaginaire collectif se l'est réapproprié au fil des années mais je n'ai cessé pour ma part de regretter un certain pragmatisme tout au long de ma partie. Alors certes, la structure relativement réaliste du jeu permet justement de mettre en évidence les quelques moments de décalage qui seraient peut être passés davantage inaperçus dans un contexte plus fantaisiste. Pour autant, le déroulement du jeu m'a paradoxalement semblé manquer véritablement de folie, en dehors des dernières heures de son dénouement qui resteront clairement dans ma mémoire de joueur. Mais plutôt qu'un manque d'audace, je préfère y voir plutôt une marque de sobriété qui ne correspond peut être pas réellement aux espoirs que j'avais placés en ce titre.
Car la sobriété est finalement l'un des éléments qui caractérisent le plus ce Silent Hill 2. L'exemple le plus éloquent en la matière consiste dans le faible nombre de protagonistes puisque le jeu réussit l'exploit, assez remarquable, de véhiculer une histoire extrêmement dense par l'intermédiaire d'une poignée de personnages principaux. Des âmes en peine qui ne sont jamais une véritable source de réconfort et qui parviennent progressivement à devenir aussi inquiétants que les quelques créatures déformées errant sempiternellement dans la ville brumeuse, et dont la silhouette évoque encore vaguement celle d'un être humain. Et si au bout du compte, le bestiaire se révèle également relativement peu diversifié, chaque nouvelle créature semble pourtant trouver sa place dans le propos narratif.
Une sobriété qui se veut donc en réalité la garantie d'une cohésion de l'ensemble, très clairement l'aspect du jeu qui demeure encore le plus remarquable aujourd'hui. En effet, ce cauchemar interactif tournera principalement autour de deux thématiques entremêlées : la maladie (mentale ou physique) ainsi que la notion de culpabilité inavouée (et de la peur du châtiment qui en découle). Tous les décors du jeu sont ainsi le reflet de cette démarche créative, des murs décrépits et rongés par la pourriture dans des couloirs exigus et étouffants jusqu'au monde des ténèbres caractérisé par une sensation de confinement et de quarantaine, bien familière en ces temps épidémiques.
Une cohésion globale qui renforce d'ailleurs la principale caractéristique de ce Silent Hill 2 : le sentiment de malaise assez incroyable que le jeu parvient à véhiculer. En effet, il ne s'agit pas véritablement d'un jeu effrayant, dans la mesure où les Jump Scares sont heureusement aux abonnés absents et que la plupart des antagonistes rôdent littéralement au milieu du couloir, comme les habitants métamorphosés de cette cité crépusculaire. Mais la sensation d'étouffement dans ces décors exigus est tellement palpable qu'elle recommande de faire des pauses régulières pour ne pas laisser l'atmosphère étouffante du titre déborder de son cadre interactif.
Et pourtant, le jeu parvient dans le même temps à exercer une étrange fascination, donnant envie d'outrepasser la répulsion qu'il suscite en permanence. Ce fameux paradoxe entre fascination et répulsion, érotisme et morbidité, Eros et Thanatos, a depuis largement fait la renommée de ce Silent Hill 2 mais il faut bien reconnaître que sa réputation en la matière n'est pas usurpée. Malheureusement, je dois bien avouer que ma principale motivation à poursuivre cette macabre aventure était de ce fait davantage portée par l'envie de découvrir les trésors d'ambiance que le titre pouvait encore proposer que par la curiosité de découvrir ce qui allait advenir de ses personnages. En effet, l'un des derniers écueils que je pourrais formuler à l'encontre de ce Silent Hill 2, et non des moindres, consiste dans l'absence totale d'empathie que j'ai pu ressentir envers les personnages principaux. A l'exception d'Angela et Laura, dont les personnages ne font malheureusement que parsemer l'aventure, j'ai éprouvé énormément de difficultés à sympathiser avec les autres protagonistes, notamment le couple principal, ce qui a malheureusement malmené les quelques moments d'émotions que le récit tente de mettre en place.
Il serait certes possible de voir dans les archétypes très prononcés des protagonistes une caractérisation évoquant les sept pêchés capitaux (puisque le jeu est assez éloquent sur son analogie récurrente avec la Descente aux Enfers, notamment en évoquant régulièrement le mythe d'Orphée) mais même ce symbolisme éventuel ne légitime pas pour autant le manque d'implication émotionnelle auprès de ses rares protagonistes humains.
James Sutherland, le protagoniste jouable, est à ce titre particulièrement insipide et transparent. Et bien que son aspect impersonnel pourrait également se légitimer en ayant connaissance plus tard du dénouement final, son absence de personnalité propre m'est davantage apparue, à titre subjectif, comme une facilité narrative, surtout pour un titre qui est tout de même régulièrement cité dans les classements des meilleurs scénarios de jeux vidéos sur ce site.
Ce qui m'a laissé ainsi quelque peu dérouté lorsque le générique de fin a fait son apparition. Silent Hill 2 est bien un titre marquant mais davantage pour le poids étouffant de son atmosphère que les sentiments que son scénario peine parfois à véhiculer. Un titre qui restera indéniablement dans les mémoires pour la cohésion remarquable de son propos mais dont je ne suis pas certain, à titre personnel, que sa charge émotionnelle résistera véritablement à l'épreuve du temps.
Je pourrais par ailleurs également questionner, avec mon point de vue de 2020, à quel point la narration est fréquemment véhiculée par l'intermédiaire des cinématiques et de leur mise en scène inspirée, davantage que le gameplay à proprement parler. Je demeure à ce titre assez sceptique sur la manière dont les fins du jeu sont déblocables (l'une des plus grandes singularités interactives du titre), puisqu'elles m'apparaissent quelque peu hasardeuses dans leur obtention au lieu d'être le reflet des choix inconscients du joueur (même si en contrepartie, les dénouements ont le mérite d'être tous cohérents avec le propos tout en étant bien distincts les uns des autres).
En réalité, davantage qu'un bouleversement personnel dans ma perception du jeu vidéo (comme cela a sans doute été, probablement et légitimement, le cas pour de nombreux joueurs au début du nouveau millénaire), Silent Hill 2 a surtout suscité en moi l'envie de découvrir un Remake du titre, à la manière de la formidable revisite de Resident Evil 2 l'année dernière.
Et bien que je sois le premier à déplorer l'absence actuelle de créativité cinématographique, engluée dans les suites, remakes et autres reboots, le jeu vidéo a peut être atteint un stade d'ancienneté où la popularisation récente des Remakes pourrait effectivement se légitimer.
Car le temps passe inexorablement. Et il n'épargne jamais personne. Comme ce que James Sutherland comprend d'ailleurs lui même. Lorsqu'il ouvre enfin les yeux sur la réalité du présent en s'émancipant d'un passé trop souvent idéalisé.