Imagine l'horreur. Tu te réveilles dans ton nouvel appartement, tu peines à te souvenir de ce que tu as fait la veille, tu marches jusqu'à la salle de bain pour te débarbouiller et là, tu pousses un cri d'effroi en réalisant... QU'IL N'Y A PAS DE DOUUUUBLE VAAAASQUE !
Et ouais les gens. Chacun ses problèmes les gens.
On ne peut pas tous courir après sa petite fille enlevée par un culte de cinglés, ou recevoir du courrier de la part de proches disparus.
Il n'empêche que la descente aux Enfers (littérale) d'Henri Townshend est peut-être la plus éprouvante, la plus malsaine et la plus perturbante de toutes. Tantôt pour de bonnes, et tantôt pour de mauvaises raisons, d'ailleurs, oscillant sans cesse entre fausses et vraies bonnes idées.
Oublié, le gameplay historique et raide comme un manche de pelle des Survival Horror, oubliée la lampe-torche, la radio, les cartes à chercher, cet épisode 4 se veut plus moderne, plus accessible, plus "actionner" (en anglais dans mon texte), poursuivant par-là même l'entreprise de déconstruction du mythe ludique entamé par le 3ème volet (les énigmes et les level designs tordus en feront les frais également). Certains auront poussé un long soupir de soulagement. D'autres, comme moi, auront argué que cela s'accommode mal des changements d'angle de caméra intempestifs - qui contribuent pourtant grandement à l'aspect cinématographique de l'aventure.
Plus dégourdi, notre protagoniste peut désormais esquiver, charger ses coups pour en augmenter la puissance, courir comme un cabri, changer d'arme d'une pression de la croix directionnelle. Autant dire qu'on se ballade et que l'absence de boss n'y est pas non plus étrangère. La possibilité de sauvegarder (et de régénérer son énergie, un crime !) tous les vingt mètres achève l'angoisse à coups de pioche - ou l'achèverait, si les créatures qui hantent ces couloirs déserts n'étaient pas explicitement repoussantes, et n'arrachaient pas au joueur des frissons de malaise.
Pour autant, ce ne sont pas là les plus gros points noirs de cet opus, qui introduit une nouvelle contrainte - mais de taille : un inventaire TRES limité, imposant des aller-retours incessants (et le mot n'est pas faible !) entre les univers parallèles visités et l'appartement qui sert de hub au jeu. On ne peut même pas jeter ce qui nous encombre une fois que nos poches sont pleines, et c'est là le drame, surtout quand on se trouve face à un objet clé dont on a besoin pour notre progression, et qu'on en arrive à vider un chargeur de revolver dans le vide juste pour ne pas avoir à retourner une énième fois sur nos pas. Dans un survival horror où chaque balle devrait compter. Cherchez l'erreur.
De gentiment agaçante, cette mécanique devient insupportable dans la deuxième partie du jeu, l'autre défaut majeur de cette production : ce n'est plus un spoil depuis des années, une fois arrivé au bout du chemin, le jeu vous imposera... de revisiter l'intégralité des mondes traversés, doublant artificiellement la durée de vie d'un titre qui ne commence vraiment qu'à mi-parcours.
Si jusque-là, celui-ci compensait (un peu) sa trop grande accessibilité par quelques fantômes à la vélocité redoutable, dont il est impossible de venir à bout et qui peuvent infliger des dégâts à distance, il n'en demeurait pas moins d'une facilité désarmante (et, ma foi, rassérénante), de sorte qu'on n'aura jusqu'à ce point utilisé qu'une ou deux potions maximum, et plus pour s'éviter un aller-retour que par réelle nécessité.
On comprend tardivement que tout était calculé, que cette première partie n'était qu'une longue introduction pour installer le joueur dans un sentiment de confort et d'invulnérabilité dont le jeu le dépouille ensuite comme on arrache un vieux sparadrap.
Vous voilà donc confronté à de nouvelles énigmes, flanqué d'un nouveau personnage à protéger, qu'il vous faudra attendre en permanence en mode Ico, qui ne peut évidemment ni grimper, ni descendre les échelles (ce serait trop facile), sans plus aucune possibilité de régénérer vos points de vie (ce qui implique : davantage de kit médicaux à trimbaler et donc, davantage de retours à l'appartement), dans des environnements que vous connaissez déjà presque par coeur.
Autant dire qu'on n'a qu'une envie : tracer la route en mode speedrun pour avoir le fin mot de l'histoire (ce qui est tout à fait possible, mais vous privera paradoxalement de la vraie fin).
Résultat : le jeu s'étire artificiellement sur une bonne dizaine d'heure, et ne tient en haleine que grâce à son scénario complexe, intrigant et bourré de références aux précédents épisodes, sans conteste l'un des tous meilleurs de la saga et des plus passionnants, au point qu'il porte le titre à bout de bras, avec l'aide de la bande sonore de Yamaoka, toujours aussi envoûtante.
Un homme, prisonnier de son appartement, qui trouve un trou dans sa salle de bain le menant dans des dimensions perverses, mais où ses actes auront des conséquences dans le monde "réel"... Rien que le pitch est imparable.
Le choix de délocaliser l'action en périphérie de Silent Hill est, également, d'une intelligence rare, évitant le sentiment de "déjà-joué" qui commençait à poindre avec l'épisode 3.
La vue à la première personne dans l'appartement renforce l'immersion, de même que les quelques interactions possibles au sein de celui-ci (regarder par la fenêtre, par le judas, ...), toutes étant particulièrement bien exploitées.
Difficile, donc, de trancher entre "je t'adore" et "je te déteste", tant cet épisode souffle constamment le chaud et le froid, tant il fascine autant qu'il décourage, tant il dégoûte autant qu'il transfigure.
Le genre qui vous happe de bout en bout, mais que vous êtes bien content de ranger dans sa boîte au bout du chemin.