Après sept heures de calvaire vidéoludique passées à botter les fesses de créatures qui n'en avaient pas, je suis en état de choc, littéralement.
Je viens de tomber le dernier boss de Silent Hill Origins.
A LA MITRAILLETTE.
De toutes les perspectives borderline que cette série a su ouvrir au fil du temps, l'image rémanente d'un routier bourru courant en flinguant tout ce qui bouge sera peut-être la plus dérangeante du lot, tant elle va à l'encontre de l'esprit de la licence.
Le studio Climax fait pourtant son possible pour lui rester fidèle, s'appropriant avec application (non sans intelligence) tous les éléments qui la caractérisent - jusqu'aux bruitages, beaucoup plus dans le ton que ceux de l'épisode 4. La ville, le brouillard, les rues-hommages aux grands anciens de la littérature de genre, les amas de chair boursouflés qui suintent comme à Babou un jour de Soldes, les PNJ cramés du cigare, le monde inversé des amoureux du tétanos, toutes les cases du cahier de charges sont cochées. L'envie de bien faire est évidente, l'amour du sujet également, d'où cette note franchement gonflée à la bienveillance fanboyesque.
Parce qu'il faut appeler un chat un chat, quelles que soient les excroissances bizarres qui en dépassent : Silent Hill Origins ne manque pas de bonnes idées, c'est certain, pour tirer des frissons à ses joueurs, mais ce qu'il a de plus effroyable en réserve, ce ne sont ni ses boss poisseux, ni son scénario cathartique, ni ses cris dans le noir, mais son game design charlotte-aux-fraises - qui réussit l'exploit de louper absolument TOUT ce qu'il entreprend, sans exception, au point qu'on ne résistera pas à l'envie malsaine de dresser la liste de ces loupés, histoire d'évacuer la frustration :
La fatigue : Travis, notre routier sympa, peut perdre haleine s'il produit trop d'efforts - c'est-à-dire s'il court plus de dix mètres en ligne droite. Pour une armoire à glace qui se frite du golem de chair à mains nues, c'est un peu décevant. M'enfin, sans doute que s'il n'était pas cleptomane et ne fourrait pas dans son sac toutes les plantes en pot et les tabourets qu'il trouve sur son passage, il n'aurait pas les jambes qui tombent à chaque coin de rue. Sérieux. Le mec, on dirait moi à Akihabara.
Le combat : Travis, notre routier sympa-mais-faut-pas-le-chercher-non-plus, n'est pas une de ces chiffes molles efféminées qui s'égaraient jusqu'à présent dans la ville au brouillard. Lui, il voit une infirmière sans visage qui se dandine avec un scalpel à la main dans un couloir bouffé par la rouille, il ne se planque pas comme ces babtous de Harry Mason ou James Sunderland, non. Il leur saute sur le râble pour leur défoncer la face à coups de bourre-pifs (qu'elles n'ont pas, mais il n'est pas homme à s'arrêter à ce genre de détails !). HULK SMASH-style. Le sentiment de vulnérabilité en prend un sacré coup dans l'aile, et c'est sans doute Travis qui le lui a collé par inadvertance.
Les armes : pour essayer de contrebalancer, les développeurs ont eu une idée "géniale" : les armes DESTRUCTIBLES. Ha ha, tu fais moins le fier, Travis, avec ton fer à souder en polystyrène expans... comment ça, tu t'en fous, tu préfères les bourre-pifs, ils sont pas destructibles ? Non parce que pour le coup, les concepteurs ont pris le terme au pied de la lettre, hein. A savoir que les armes standard (barre à mine, marteaux, etc...) pètent en quatre ou cinq coups, c'est-à-dire que si on se démerde mal (c'est-à-dire : si on loupe le "coup fatal", qui sort une fois sur dix mille quand on a de la chance tellement il est mal programmé), on peut bousiller deux ou trois armes sur un même adversaire, ce qui rend les combats aussi laborieux que frustrants. Du coup, on privilégie la fuite en zig-zag et les armes à feu - ainsi que les bourre-pifs, of course, parce que rien de tel que de bloquer un monstre dans un coin et de lui bourriner la tronche jusqu'à plus de tronche. C'est long, oui, mais au moins, on n'a pas à retenir le timing des coups d'un truc qui va péter en moins de deux, et on risque moins de se prendre une rouste en retour. Ne parlons pas des armes à usage unique, notre Routier sympa-mais-un-peu-limité ne trouvant rien de mieux que d'embarquer avec lui des téléviseurs, des machines à écrire ou des grilles-pain (je ne plaisante pas), pour les balancer sur ce qui croise son chemin. Mais ouais ! C'est tellement pratique et pas encombrant du tout ! Mon Travis, à la fin du jeu, quand tu regardes dans son sac, t'as l'impression d'entrer dans un Cash Converters.
la lampe torche : l'obscurité ça fait peur, et Silent Hill il faut que ça fasse peur. Seulement voilà : comment tu veux avoir peur si tu as une lampe de poche pour éclairer l'obscurité ? C'est contradictoire, il faut y remédier grâce à cette innovation technique issue de la recherche spatiale : la lampe de poche qui n'éclaire pas. Comme ça, plus de problème, on a tout les inconvénients de l'obscurité, sans les avantages de la lumière. Résultat : on ne voit rien, jamais. De mémoire de joueur, je n'ai jamais vu (c'est le cas de l'écrire) un survival horror aussi peu lisible, j'ai dû prendre rendez-vous chez mon ophtalmo dès le deuxième lieu exploré, et j'ai fini par acheter des lunettes de visées à vision nocturne chez mon fournisseur d'Airsoft. En vain. Résultat : mon Travis a embrassé plus de murs que moi de filles dans toute ma vie. Mais genre un million de fois plus.
les monstres : parce qu'ils n'effraieront pas les habitués de la série ou les fans de Cyril Hanouna tant ils sont de facture classique (exception faites des ombres et des marionnettes, très réussies), on n'a qu'à en coller partout et par paquets, histoire de bien rendre la gestion des armes destructibles encore plus pénible. Les fans de Street of Rage seront aux anges - à condition d'être nyctalopes. Comme disaient les Début de Soirée : et tu tapes, tapes, tapes, c'est ta façon d'aimer. Le reste n'est que littérature.
le level design : pouvoir passer à volonté du monde de brume au monde de ténèbres était une grande idée, qui permet de renouveler le gameplay de la série en proposant une nouvelle façon de progresser, obligeant le joueur à choisir délibérément d'entrer dans le cauchemar pour pouvoir contourner les obstacles dressés sur sa route. Hélas, cela rend également la progression plus lente, plus tortueuse et par-là même, plus laborieuse, étirant chaque "niveau" au-delà de ce que peut tolérer la patience du routier moyen. Sans compter que finalement, le monde inversé n'est pas plus effrayant que le monde à l'endroit, vu que le quota de monstres au centimètre carré reste le même. A cela s'ajoutent des énigmes sympathiques, vraiment, mais complètement artificielles et vite résolues (à l'exception de l'une d'entre elle, foirée dans les grandes largeurs - en ce sens qu'elle induira en erreur les habitués du genre et les fera tourner en bourrique un moment, alors qu'ils auraient pu trouver du premier coup si les concepteurs avaient fait leur boulot.
Parce que ouais, chez moi, le seul mois qui fait 29 jours, c'est février. Les vrais comprendront !
). Quant aux déplacements dans la ville, ils seraient réussis si leur tracé n'était pas si artificiel, lui aussi : à savoir que quel que soit l'endroit où vous devez vous rendre (pourquoi ? chut, on sait pas, faut pas poser la question), il se trouvera systématiquement à l'autre bout de la carte, et COMME PAR HASARD, toutes les routes qui y mèneront seront coupées tôt ou tard (ce qui rend les trajets à effectuer d'autant plus faciles à deviner).
l'histoire et les pnj : à l'image du design des personnages (insipides), le récit et les interactions humaines se réduisent à leur plus simple expression. Plutôt que de jouer la carte du fan-service érudit, le scénario n'ose qu'à peine effleurer les "origines" revendiquées dans le titre, s'en tenant à distance comme s'il craignait de se prendre un bourre-pif ou une balle perdue ; si bien qu'on se demande longtemps ce qui motive Travis à courir d'un grille-pain à l'autre. Genre le mec, il trouve un ticket de théâtre qui n'a rien à voir avec l'intrigue, au lieu de se dire "bon, ras-le-bol, je suis trop vieux pour ces conneries, je retourne à mon camion, lui au moins il l'aime", il décide de s'y rendre "au cas où" (et heureusement que je ne fais pas pareil à chaque fois que je trouve des coupons de réduction Mac Do par terre). Sans parler de son stoïcisme désarmant face aux créatures (désarmées) qu'il affronte. Son credo, c'est : "tape donc, tu te poseras des questions ensuite. PEUT-ETRE". Alors quand sur la fin, il s'écrie "this can't be happening" (ou un truc dans le genre), on a envie de le secouer très fort et de gueuler "*MAIS P*TAIN, C'EST QUOI TON PROBLÈME ! CA FAIT SIX HEURES QU'ON TIRE SUR DES FLANS AUX OEUFS !*". Pour compléter le tableau, il ne manque que Red(neck) Pyramid - et encore n'est-ce même pas tout à fait vrai. Parce que c'est finalement de ça qu'il s'agit : un Silent Hill en mode redneck. Avec un dernier boss qu'on dézingue à la mitrailleuse.
les caméras : comme Silent Hill 4, cet épisode adopte le type de contrôle "arcade", plus adapté à son orientation "action"... sauf qu'il compte parmi les caméras les plus mal placées de l'histoire de l'humanité (même celle dans la piscine du Loft était mieux située, c'est dire), au point que plusieurs passages tournent à la blague non-euclidienne. Vous voulez aller à droite, vous appuyez donc sur "droite", sauf que tout à coup, l'angle de caméra s'inverse et vous repartez vers la gauche, vous appuyez donc sur gauche pour partir à droite, mais trop tard, vous êtes repassé dans l'angle de caméra précédent, vous partez donc à gauche avant d'appuyer sur droite à nouveau, de repartir à droite jusqu'au moment où la caméra change à nouveau et où vous repartez à gauche. Hilarant, mais je ne suis pas sûr que ça ait été le but.
la lenteur : que ce soit pour faire courir Travis, sauvegarder ou ne serait-ce que consulter la carte, tout est leeeeennnnt, mais leeeeennnnnt, à croire que le jeu vient de courir dix mètres et qu'il doit reprendre son souffle à cause des haltères dans son sac. Seul le menu des items s'affiche au quart de tour, dans sa version simplifiée, sauf qu'on s'en fout parce qu'on n'a pas que ça à faire, de balancer une TV dans la tête d'un boucher snaguinaire.
la fin : bonne nouvelle, bande de noobs, pour une fois, vous êtes assurés d'obtenir la bonne fin du premier coup. Si vous voulez voir la mauvaise fin, par contre, il faudra tenter le new game +. Alors je ne sais pas, je suis peut-être trop conventionnel, comme gars, mais ça ne devrait pas être l'inverse ? Depuis quand la mauvaise fin est une récompense ? Non, vraiment, je crois que je ne comprendrai jamais ce jeu - et à vrai dire, je n'essaierai même pas.
la localisation : au bout d'une heure, j'ai passé le jeu en anglais tellement je n'en pouvais plus des traductions google, plus massacrées encore que les victimes de Travis.
Peut-être tout cela fonctionnait-il mieux sur PSP, peut-être la PS2 n'était-elle pas vraiment adaptée au portage, que sais-je ? Seulement voilà, malgré toute la bonne volonté et la fanboyitude du monde, impossible de s'enthousiasmer pour un mauvais jeu d'action "à l'aveugle" dans lequel il vaut mieux fuir, mais dix mètres par dix mètres et en faisant bien attention à sa droite et sa gauche.
S'il se joue bien et a ses bons moments, il reste une expérience pénible, d'un amateurisme rédhibitoire, et ses sept heures s'étirent dans la douleur. Comme quoi le jeu atteint son but, mais pas comme il voudrait.
Il n'en reste pas moins un vrai Silent Hill et, à ce titre, mérite de figurer dans la ludothèque des amateurs exigeants - qui, s'ils ne le sont pas trop, y trouveront leur compte.