Sur la plage abandonnée, le naufrage d'une bande armée
J'aime la guerre. Le doux bruit des canons mélangé aux hurlements de mes victimes. Ces hordes de terroristes viet-cong soviétiques enturbannés que mon patriotisme et mon fusil mitrailleur réduisent définitivement au silence. Le sort funeste s'abattant sur les impudents opposés à ma force de frappe. Bref, je sauve régulièrement le monde, et j'aime ça. Trop occupé à dézinguer une énième menace à la sacro-sainte liberté occidentale, j'étais ainsi passé à côté de Spec Ops : The Line, un TPS militaire édité par 2K Games et sorti en 2012. Sur le conseil d'un ami, je profitai donc d'une réduction Steam pour mettre la main sur cette nouvelle occasion de faire montre de mes talents de pacificateur.
Le postulat de départ semblait tout à fait propice à ces aventures viriles que je chérissais : détaché par la Delta Force et accompagné de deux frères d'armes, le héros débarque dans un Dubai ravagé par des tempêtes de sable, à la recherche d'un héros de guerre et de sa troupe d'élite, que l'on pensait disparus lors d'une mission d'évacuation de civils quelques mois plus tôt. Ainsi lancée vers un destin héroïque, notre escouade est rapidement prise à partie par un groupe d'ennemis, que l'on s'empresse de rayer de la surface terrestre. Et c'est là que tout dérape. Les opposants ne portent pas la barbe et ne baragouinent pas un dialogue exotique. L'ennemi est entraîné, préparé, et curieusement habillé de manière très similaire à la nôtre. Comme vous, j'ai bien sûr d'abord pensé que de braves soldats américains tombés avec les honneurs avaient été dépouillés par des brigands. Mais bien vite, le doute n'est plus permis : plus l'aventure avance, plus on découvre que l'on se bat contre ce qui semble rester de ce fameux 33e bataillon que nous étions pourtant venus sauver. Pourquoi diable affronter des soldats de son propre camp ? Quelle absurdité peut bien pousser les forces du monde libre à se battre entre elles ? Pestant contre ces incohérences scénaristiques, j'accorde cependant une chance au jeu d'apporter une réponse qui éclairerait la situation et nous rassemblerait enfin contre un ennemi commun. Je continue donc ma progression dans ce paysage urbain dévasté, priant pour que ces sacrifices d'hommes de valeur ne soient pas vains. Mais plus j'avance, plus mon parcours se transforme en descente aux enfers. Je me révolte contre les horreurs que je découvre. Je refuse longtemps de céder face aux choix moraux déchirants que m'impose le jeu. J'enrage face à la cruauté des développeurs qui, des charniers aux effets terrifiants du phosphore blanc, n'épargnent rien au joueur. Je n'avais pas signé pour ça, moi ! Je n'avais pas demandé à devenir témoin des affres d'un conflit armé, encore moins à assumer la responsabilité de dégâts colatéraux. Tout ce que je souhaitais, c'était nettoyer des couloirs remplis d'ennemis avant de passer aux suivants, sans avoir à m'interroger sur la légitimité de mes actes. Je voulais suivre des ordres, rien de plus.
J'aime la guerre. Car, au-delà de la fascination morbide et malsaine qu'elle suscite auprès d'un public peu averti, elle provoque parfois aussi des réactions et des discours qui nous questionnent sur les fondements de la violence et sur notre rapport au conflit. Bien sûr, Spec Ops : The Line reste un jeu vidéo, un TPS classique pas dépourvu de défauts par ailleurs. Toutefois, il est trop rare qu'un jeu traite de la guerre sans prendre les joueurs pour des idiots en proposant un scénario travaillé et adulte pour ne pas être souligné. On pense à The Rock, on frissonne en entendant le Star Sprangled Banner de Hendrix et, surtout, on file se revoir Apocalypse Now. Vous pouvez en citer beaucoup, vous, des jeux qui renvoient à l'oeuvre de Coppola ?