Le joueur incarne le capitaine Walker, lâché au milieu du désert, avec deux soldats à ses côtés, le sergent Lugo et le lieutenant Adams. L'on découvre en même temps que ses soldats les événements qui ont eu lieu dans une ville de Dubaï complètement dévorée par les tempêtes de sable et la démence. Dubaï aussi vaste que la folie des Hommes. Aussi haute que le désir -autodestructeur - de vouloir se prendre pour Dieu. Dubaï assoiffée et aussi hargneuse qu'un chien affamé.
Une guerre civile fait rage, les soldats venus en aide aux civils font plus de mal que de bien à la population, les "chefs" disparaissent sans laisser de trace, la panique a depuis longtemps laissé place à la paranoïa lorsque le joueur arrive dans cette ville en perdition.
Ici, pas de manichéisme. Si l'on croit pendant la première heure de jeu que la campagne va se contenter, comme souvent, d'un "good cop bad cop" banal, la succession des chapitres (15 au total) va rapidement brouiller ces pistes et entraîner le joueur dans un flou éthique et un flot de questions ; sur le passé de cette ville, la morale des actes commis, le degré de confiance à accorder aux différentes figures croisées dans le jeu. etc.
Qui a raison ? Qui a tort ? Très vite, l'on se met à douter - non pas des intentions de notre cher Walker - mais en tout cas de ses actions, des ordres donnés et de la nécessité de ses actes, comme il semble se défendre tout au long des chapitres. La scission se crée au sein même de la petite escouade (sans en dire davantage). Au final, les successives tempêtes de sable essuyées par Walker et sa team sont autant de balayages de la raison, d'ensevelissement de l'entendement ; quand un des soldats (ou le joueur lui-même) soulève un embryon de posture morale ou de remise en question, c'est toute la ville qui soulève des tonnes de sable en guise de réponse. Ou de non-réponse. Et des non-réponses, il y en aura tout au long de la campagne, jusqu'au dernier chapitre, l'apothéose des questionnements.
On est spectateur de scènes horribles, on en commet également. La plupart du temps de manière involontaire, parce qu'on est perdu, parce qu'on nous ment, parce que les pistes sont brouillées par des personnages énigmatiques, invisibles, qui rentrent dans notre tête (la voix-off de la radio est une très bonne mécanique de jeu pour instaurer cette schizophrénie) qui nous induisent en erreur, qui nous confrontent au brouillard dans lequel on évolue, contre lequel on évolue. Et puis la folie qui asphyxiait toute la ville de Dubaï s'infiltre dans nos poumons, comme si la tonne de sable respirée depuis notre arrivée ne suffisait pas.
Walker se perd peu à peu dans ses actions et ses décisions, sans s'en rendre compte au début et sa double personnalité en quelque sorte finit par se voir physiquement. Si l'on prend un tout petit peu la peine de le regarder, on découvre qu'un côté de son visage a été brûlé légèrement (enfin légèrement...façon de parler) ; Walker arbore un visage divisé, comme son esprit, qui n'est pas sans rappeler Double-face.
Spec Ops : The Line est une très bonne descente aux enfers ; d'un petit groupe de soldats venu secourir les civils, et d'une ville toute entière. La folie gagne tout le monde.
(Gros SPOIL : les civils finissent par pendre Lugo, dans un décor de feu et de phosphore blanc, acte désespéré de soulager leur peine (soif, mort), causée par la présence de l'armée sur le sol des émirats.).
Spec Ops : The Line est aussi un relativement mauvais fps scripté ; Script script script à ne plus savoir qu'en faire, mais selon les situations (et les personnes), ça reste un bon moyen d'immerger le joueur.
- Le système de couverture est classique MAIS mal foutu. Il faut avoir le nez contre un muret ou un quelconque mobilier pour que la touche de couverture fonctionne. Sinon, le jeu considère le joueur comme trop éloigné et la touche de couverture servant à plusieurs actions (comme courir...) ça ne fait que provoquer la frustration du joueur. On meurt déjà assez souvent dans ce jeu, c'est pas vraiment la peine d'en rajouter avec des mécaniques mal finies.
- Sprinter ne sert à rien, ou alors tout droit....pour aller se planquer. Parce que la course du joueur est rigide, et c'est la mort assurée si vous vous mettez à courir au mauvais moment ou si la folie vous prend de vouloir tourner en sprintant.
- Les innombrables murs invisibles, si chers aux FPS mais qui, niveau immersion, sont aussi efficaces que du mercurochrome sur une fracture ouverte.
- Allant de paire avec les murs invisibles : l'absence de saut. On ne peut sauter que selon un script (avancée dans le chapitre) ou par-dessus un muret, une rambarde, etc. En résumé c'est un saut "esthétique" plus qu'un saut "pratique" ; ça fait film d'action quand on enjambe un muret en plein "fight", mais c'est tout.
- Certains passages demeurent (volontairement ?) "kéké" (j'ai pas d'autre terme ) ; le passage où l'on est accroché à un camion citerne et on l'on dégomme du vilain à coups de lance-grenade...
Mais Spec Ops : The Line c'est aussi :
- un contraste et un jeu de lumières et de couleurs magnifiques : ce jeu est un des rares shooters contemplatifs même si contempler la guerre et ses atrocités peut paraître fort mal placé.
- une opportunité de réflexion sur le "nerf" de la guerre, ce que ça implique, ce qui est invisible aux yeux des profanes en quelque sorte, ce qui est rarement mis en lumière, surtout qu'il s'agit d'une guerre civile (la panique, la soif,...)
- Ces 2 points s'assemblent grâce à un script parfois bienvenu ; à savoir les passages de marche forcée, si je puis dire, où le joueur est forcé de progresser lentement (parce qu'il est blessé, sonné, ou à cause d'une tempête de sable). Alors on regarde, on contemple, on pense, on parcourt des yeux ce qui nous entoure, ce que l'on doit enjamber et que l'on n'avait pas vu jusque là. On entend mieux, aussi, ce que les civils veulent nous dire, ou ce qu'ils murmurent dans leur agonie. On force le joueur à ralentir, ce qui lui permet aussi de souffler un peu, même si ce qu'il voit dans ces moments-là est encore plus choquant.
- une bande son très bien pensée (musique sortant d'amplis, morceaux de rock diffusés par une radio) et très immersive, bien plus qu'une bande-son d'accompagnement.
En bref, un FPS atrocement frustrant mais terriblement séduisant et atypique, avec un "twist" final pas si twist que ça mais qui n'est que logique après tout.