Il est peu dire que lors de sa présentation à l’E3 2014, Splatoon m’a fait une très mauvaise impression : sorte de mini-jeu amélioré tout droit sorti de Mario Party (un classique où le vainqueur est celui qui a repeint le plus de surface avec son rouleau à peinture) couplé à quelques mécaniques de FPS/TPS en multi, le tout emballé par des couleurs toutes plus criardes les unes que les autres… Mouimouaisbof… Je pensais que Nintendo était totalement en train de s’égarer pour tenter de réanimer la Wii U et concilier les gamers et les kids avec un seul et même titre. Et que dire quand Nintendo of America présenta quelques mois plus tard Splatoon comme « le Mario Kart des jeux de tirs »… Présentation aussi racoleuse que suspecte…
Et puis vint le temps du premier « global testfire » (la bêta ouverte d’une heure début mai 2015, avant la sortie du jeu) et mon scepticisme se transforma en l’espace de 50 minutes en curiosité exacerbée. Incroyablement addictif avec son goût de reviens-y, j’ai ainsi enchaîné les parties de 3 minutes sans voir passer le temps… Difficile toutefois de ne pas craindre une certaine répétitivité…
J’ai donc acheté le jeu fin mai (le jeu ayant en plus le bon goût d’être à prix réduit…) avec une impatience non dissimulée. Force est de reconnaître que si Nintendo ne sait pas toujours bien communiquer autour de ses jeux, quand il s’agit de pondre un concept ravageur, ils savent y faire… MEA MAXIMA CULPA. Car si le mode solo est totalement anecdotique, le mode multi en ligne -qui constitue le cœur de l’expérience- est une véritable drogue. La jeune garde des développeurs de Nintendo s’est en effet accaparée les codes des FPS modernes comme Call of Duty (nervosité des affrontements, variété des armes, armes secondaires , options spéciales, points d’expérience, customisation des aptitudes…) pour les passer au mixeur psychédélique et aboutir à une expérience multijoueurs totalement unique à mi-chemin entre TPS et FPS, teintée de party-game avec le bon goût des batailles de bombes à eau que tout le monde a pu connaître dans son enfance.
Splatoon reprend en effet les codes des FPS multi (ou plutôt des TPS, puisque la vue est uniquement à la 3ème personne), à ce détail près que le but principal des matchs classiques (l’équivalent des matchs à mort par équipe chez la concurrence) n’est pas de multiplier les frags, même si cela participe de l’expérience globale. Non ici, les matchs voient s’affronter huit joueurs répartis en deux équipes de quatre dans des joutes de 3 minutes. L’équipe gagnante n’est pas ici celle qui a multiplié les tirs létaux mais celle qui, à l’expiration du chrono, a couvert un maximum de surface au sol avec la peinture de la couleur de son équipe grâce à un arsenal laissé au choix de chaque joueur (rouleau, sceau, fusil de sniper, mitrailleuse légère ou lourde…). Tout serait très simple s’il n’y avait pas l’équipe adverse qui, non contente de pouvoir passer derrière vous pour couvrir les surfaces que vous avez arpentées, peut également « tuer » vos joueurs à coup de peinture. Tuer un adversaire le fera ainsi disparaître dans une explosion de peinture de votre couleur… mais surtout le ramènera à sa base en lui faisant perdre une dizaine de secondes (plus, le temps de revenir dans une zone utile à couvrir de peinture). Éliminer un des quatre joueurs adverses permet ainsi de faire basculer le rapport de force en profitant de quelques secondes de supériorité numérique. À côté de ce principe de base se greffent de multiples subtilités : utilisation des armes secondaires (bombes, mines, missiles tornades…), bonus temporaires (bouclier, kraken invincible…) et surtout faculté de se transformer à tout moment en calamar pour naviguer en toute discrétion dans l’encre de sa couleur ou pour escalader les murs dûment aspergés.
À côté de ce mode principal se trouvent les « matchs pro » (pour les joueurs ayant atteint le niveau 10) avec à ce jour 3 modes alternatifs tout aussi récréatifs : « défense de zone » (il faut se ruer vers une zone spécifique à peinturlurer puis la protéger pendant une durée cumulée de 100 secondes), « expédition risquée » (ici, il s’agit de se précipiter sur une tourelle au centre de l’arène qui va alors se déplacer automatiquement vers votre base de départ… ou vers la base adverse si l’équipe adverse en prend le contrôle ; l’équipe victorieuse étant celle ayant réussi à ramener la tour dans sa base… ou à défaut au point le plus proche de celle-ci dans les 5 minutes que durent une partie) et enfin « mission bazookarpe » (il faut ici qu’un joueur de son équipe prenne le contrôle de cette arme légendaire et qu’il atteigne sous bonne escorte la base adverse). Ces modes alternatifs offrent ainsi des situations jubilatoires où les retournements de situation sont légion (a fortiori avec le système de « prolongations » lorsque l’équipe menée a le contrôle de la situation à la fin des 5 minutes).
De quoi vous amuser longtemps sur des maps souvent très originales et particulièrement bien conçues pour tenir compte de la verticalité du gameplay (Tours Girelles, Serre Goémon, Docks Hadock, Passage Turbot, Station Doucebrise, Skatepark Mako, Encrepôt, Centre Arowana, Lotissement Filament… outre une dernière map annoncée avec la mise à jour 2.0 du 6 août 2015).
Au-delà de son côté récréatif jubilatoire, la grande force de Splatoon vient également de l’incitation permanente du joueur à enchaîner les parties. Outre les points d’expérience pour monter en niveau, chaque partie rapporte en effet de l’argent, qu’elle soit gagnée ou perdue (sauf en match pro en cas de défaite avant la fin des 5 minutes). Argent qui permet d’acheter des items (vêtements, accessoires et chaussures) de différents niveaux (de 1 à 3 étoiles) offrant ainsi de 2 à 4 slots pour des bonus d’amélioration (augmentation de la vitesse, de la résistance, de la force de frappe, invisibilité en calamar…). Étant précisé que les items de niveau 1 peuvent être améliorés en achetant des slots grâce à des coquillages gagnés lors des « festivals » en ligne qui sont organisés certains week-ends (chaque joueur devant choisir un camp au début du festival puis combattre pour son équipe et lui faire engranger des points et prendre le meilleur sur l’équipe adverse en 24 heures).
Alors, Splatoon est-il vraiment digne de l’appellation « le Mario Kart des jeux de tir » ? Et bien pas tout à fait. En premier lieu, et aussi incroyable que cela puisse paraître, Nintendo n’a pas cru devoir prévoir un mode local en écran splitté (que cela soit à 2 ou à 4) pas plus que la possibilité de jouer à 2 en ligne avec un écran splitté. Seul un mode spécial peu convaincant (où le but est d’éclater un maximum de ballons) est disponible à 2 joueurs en local. Plus que la limitation technique (le mode ballons est très stable sans trop de concessions visibles), c’est manifestement l’utilisation -pourtant très discrète et peu utile !- du Gamepad qui a convaincu Nintendo de renoncer à cette fonctionnalité. Outre une carte qui permet de repérer immédiatement les zones qui restent à conquérir, le Gamepad permet également de se téléporter en quelques secondes en un point précis de la carte d’une simple pression tactile (tour que son équipe contrôle, zone défendue, ou encore balise que l’on aura préalablement posée si l’on dispose de l’aptitude adéquate). On aurait de loin préféré se passer de ces fonctionnalités asymétriques (ou les gérer en mettant le jeu en pause) pour profiter à plusieurs de la convivialité du titre en local ! La seule façon de faire découvrir le titre à des amis sera ainsi de leur passer le Gamepad… et de les regarder jouer ! Un choix à peine croyable de la part de Nintendo qui semblait se réclamer de la convivialité d’un Mario Kart…
De même, à l’heure actuelle, le choix des arènes jouables en ligne est toujours incroyablement contraignant. En effet, le libre choix du stage n’est pas à ce jour possible (à l’image de Mario Kart où chaque joueur vote pour le stage de son choix ou pour un stage aléatoire). Toutes les 4 heures, seulement 2 stages sont ainsi proposés aléatoirement en matchs classiques et en matchs pro (soit 4 au total pendant 4 heures). Bref, le calcul est vite fait : si on décide de jouer de longues sessions, on finit vite par tourner en rond… Le mieux est donc de revenir jouer plusieurs fois par jour pour de courtes sessions (encore faut-il pouvoir…). La rigidité du système est toutefois là encore incompréhensible… Pire, en matchs pro, le mode de jeu (défense de zone, expédition risquée, mission bazoocarpe…) est tout simplement imposé pour 4 heures. Le procédé permet certes d’éviter que certains modes soient désertés (comme dans les Call of Duty sur Wii U où seuls les matchs à mort par équipe sont jouables, faute d’un nombre suffisant de joueurs…), mais la méthode est là encore particulièrement rigide et discutable…
Au final, Splatoon s’impose incontestablement comme un des piliers du multijoueur en ligne sur Wii U aux côtés de Mario Kart 8 et Super Smash Bros., ce qui est en soi un bel exploit. Original, fun, nerveux et jubilatoire, Splatoon est donc un incontournable sur Wii U. Mais en l’état, et en dépit de son prix de vente très modéré, il fait toutefois plus figure de brouillon de luxe pour un 2ème épisode plus abouti. Outre le contenu qui a été mis à disposition au compte-goutte (le nombre de stages était vraiment rachitique au lancement…), l’absence de vrai mode multi en local et l’impossibilité de jouer en ligne à 2 joueurs sur une même console en font paradoxalement une expérience en ligne résolument solitaire (a fortiori en l’absence de chat vocal). Pas de quoi vous dissuader de l’acheter tant l’expérience est unique, mais de quoi empêcher Splatoon d’entrer-en l’état- au Panthéon des jeux en multijoueurs. Il n’en reste pas moins une des grosses surprises de l’année 2015 !