Certains faits méritent d'être soulignés. Ils sont dotés d'une forme d'importance historique que l'on ne comprend pleinement qu'après avoir constaté leurs conséquences. Un esprit affuté sait les reconnaître, les classifier; en tirer les augures nécessaires à la compréhension du futur. À mon sens - et par la scrupuleuse utilisation des pouvoirs qui me sont conférés par l'ordre cosmogonique ambiant - il est assez important que vous vous rendiez compte que la Wii U peine à égaler les ventes de la PS Vita.
L'enthousiasme généré par les efforts répétés de Nintendo à tenter de comprendre le public moderne sont louables. Remarquables; même. Ils sont arrivés à nourrir toute une génération de joueurs inféodés à leurs productions en s'acquittant de l'effort le moins fructueux. Certains - sans-doute des futures mamans - parleraient de "période de contraction". Les adeptes de l'économie causeraient de décroissance. Le résultat reste le même : moins. Il est devenu très difficile à notre époque pour une seule compagnie de tenter d'égaler à elle seule un niveau de production égalable au reste de l'industrie dans laquelle elle s'active. Sega y arriva. Un temps. Nintendo le fit mieux. Jusqu'ici. Et maintenant la lente progression du système de production vidéoludique vient de rattraper la vénérable compagnie venue de Kyoto.
Quand les historiens écriront les pages Wii U du Grand Livre Nintendien ils seront obligés d'admettre que malgré les réserves déployées à l'époque par les plus blasés d'entre eux la qualité était au rendez-vous. Pas dans le hardware. Ni forcément dans la fraîcheur des idées apportées par les expériences tentées par le GamePad. Mais bel et bien dans le niveau de soin - celui d'un artisan forcé à s'aligner sur le rythme de l'industrie - parfois apporté à l'ouvrage. L'on pense à l'ébéniste traditionnel obligé d'exister dans un univers où les chaises s'achètent en kit. Ou au photographe spécialisé dans le portrait pour carte d'identité vivant à une époque où tout le monde sait ce qu'est un selfie. Telle est la lourde sensation de vivre à une époque où nul ne semble comprendre qu'il est possible de prendre le temps de faire les choses correctement. Face à pareil constat... que feriez-vous?
Si vous étiez Nintendo vous enchaîneriez les projets faciles à réaliser. Ceux qui sont aisément satisfaisants et ne nécessitent pas ces fameux excès d'ambitions qui firent leur chef-d'œuvres d'antan. Vous réaliseriez des compilations de minis-jeux de qualités diverses censées servir d'explication/de prétexte à l'utilisation des nouvelles fonctions de votre produit phare. Vous produiriez des versions un poil plus jolies des jeux de la génération précédente. Vous tenteriez de temporiser au maximum. En somme, l'idée est de ne pas laisser au public remarquer que faire un jeu Nintendo nécessite des années. Et que - pour faire simple - vous n'avez pas le temps nécessaire à investir dans ces jeux colossaux qui pourraient sauver votre empire. Tel l'artisan dépassé vous vous spécialiseriez dans le travail d'orfèvre vite réalisé tout en prétendant vous conformer à l'air du temps. Ce qui nous amène - six siècles plus tard - à parler de Splatoon.
Frais, coloré, conformiste : le titre à tout pour plaire. C'est un parfait petit jeu de massacre pour joueur Nintendien - et donc coupé du plus gros de la discipline - avide de combats colorés dans des arènes qui le sont tout autant. Fut un temps un titre pareil aurait été produit dans l'idée de servir quatre joueurs autour de la même machine. Mais ça; c'est le passé. Le futur est connecté. Chacun chez soi. Tout seul. Caché dans la peinture. C'est moderne. Un peu comme ce mécanisme vu partout ailleurs où vous collectez de l'argent pour pouvoir vous payer des baskets, t-shirts et autres bonus inesthétiques. En plus, si vous grindez vos stats assez longtemps peut-être que vous - oui, vous! - aurez la possibilité d'obtenir une arme susceptible de vous permettre de vous battre sur un pied d'égalité avec des enfants de douze ans. Tout ça tandis qu'un netcode un peu capricieux tente de réunir des joueurs issus des quatre continents afin de vous démontrer que si notre monde est certes petit... il n'est toujours pas connecté.
Dans un monde parfait Splatoon devrait être le signe avant-coureur d'un redressement des activités de Nintendo. C'est un titre réussi qui mérite d'être essayé. Et cela même s'il est certes assez inesthétique et définitivement réalisé sur un budget riquiqui par une équipe réduite. Son idée principale - celui de pouvoir se transformer en pieuvre espiègle qui peut se cacher dans ses propres couleurs - est d'une finesse tactique rare et permet de participer à un type d'épreuve que vous ne risquez pas de voir ailleurs. (C'est un trait de génie très Nintendien et l'on devrait féliciter ses créateurs - Yusuke Amano et Tsubasa Sakaguchi - d'avoir par ce simple mécanisme davantage contribué au jeu de combat en arène que l'intégralité de la série Unreal). Mais, à ce stade, n'est-il pas trop tard pour sauver la Wii U? Pire, la sortie de titres pareils comme principales attractions de la machine bâtie par Nintendoland ne sont-elles pas le clair signe de l'abandon du navire en faveur du prochain vaisseau? Trop tôt pour dire mais il est certain que ce titre rappelle les meilleurs moment de la Dreamcast et que quand on voit l'état actuel de Nintendo... ce n'est pas forcément une excellente chose.