de.li.cious sau.sa.ges

4 touches directionnelles et plus profond que Tears of the kingdom. Complexité n’est pas automatiquement synonyme de profondeur. Liberté de jeu la plus totale n’équivaut pas à expérimentation intelligente. Stephen Sausage Roll, c’est un principe dans les plus simples et idiots que vous pouvez imaginer, seulement , des niveaux réduits et fermés ; mais malgré cela, SSR atteint une élégance dans sa profondeur de jeu, très rarement atteinte.


Avant d’en venir au cœur du jeu, je tiens à m’excuser si cette critique paraît absconse, ou invoque gratuitement des principes généraux. Expliquer SSR, encore plus pour un public qui n’a jamais joué au jeu, est une tâche ardue. Ce jeu est tellement évident et profond, que pour se saisir véritablement de son génie, une très longue contextualisation est nécessaire. De plus, SSR peut être spoil, oui, et ce, d’une façon très violente. Je ne peux pas rentrer dans le détail du gameplay, car je vous gâcherais complètement le jeu. Néanmoins, je suis obligé de mettre des images du jeu pour être suivi. Je ne mettrais donc que des images du monde 1, et je préviendrais lorsque l’image en question est un niveau plus lointain du jeu. Vous pourrez quand même la regarder, pour avoir une idée de la façon dont le jeu gagne en complexité. Dans le cas ou vous décidez de cliquer pour les mondes après le 1(le jeu en possède 6), j’ai pris soin de choisir des niveaux, qui, d’apparence, en dévoilent le moins possible. Je vous déconseille aussi de vous renseigner ou chercher des informations sur le jeu, pour la curiosité.


Le principe de ce jeu est très simple. Vous atterrissez, par je ne sais quelle magie, sur une île inconnue, ou plusieurs saucisses ne demandent qu’à être grillées. Par le plus grand des hasards, cette île est quadrillée, vous vous y déplacez case par case. Vous incarnez Stephen et sa fidèle fourchette, ce qui fait que vous occupez deux cases. Il s’agira d’aller de niveaux en niveaux, pour griller des saucisses dans un espace restreint. Pour cela, il faudra déplacer Stephen, pour qu’il pousse les saucisses sur les grills. Une saucisse, occupe, comme Stephen, un espace de deux cases. Elle est verticale ou horizontale, sa rotation ne pourra être changée. Stephen se déplace de cases en cases. Il peut effectuer une rotation à 380°. Il déplace une saucisse avec son corps ou sa fourchette. Une saucisse doit être grillée sur toutes ses faces, ainsi elle dispose quatre faces à grillées. La saucisse ne peut être cuite deux fois de suite, sinon game over ; même chose si la saucisse tombe dans l’eau. Une fois la ou les saucisses grillées, Stephen doit revenir au point de départ du niveau, dans une position spécifique. Voici un exemple. Malgré sa simplicité apparente, essayez de le résoudre dans votre tête.


J’ai listé toutes les « règles » de SSR, tous les principes de base de ce jeu. Jusqu’à sa fin, SSR ne consistera qu’en l’application de ces principes. Mes explications paraissent probablement abstraites pour un œil profane. Pour vous aider à mieux comprendre le fonctionnement de SSR, imaginez un de ces fameux « sokoban », un jeu 2D, vue isométrique, ou le joueur déplace sur une grille, un personnage qui pousse des caisses. Maintenant, imaginez le même principe, en 3D, avec toutes les implications en terme de physique, d’un tel changement. Votre cerveau bouillonne-t-il ? N’ayez pas honte, car le passage de la 2D à la 3D isométrique, dans le cadre qui nous préoccupe, possède assez d’implications physiques, pour en oublier les plus évidentes. Sans être exhaustif, voici quelques conséquences de ce changement : la gravité, la verticalité du niveau, l’existence d’objets qui possèdent plusieurs surfaces...Voyez-vous tous ces principes de logique, répandus dans tout l’univers vidéoludique ? Ces principes sont élémentaires dans le paysage vidéoludique actuel, tout le monde les a acquis depuis longtemps, les Ocarina of Time, Mario 64, Half-Life et d’autres, ont popularisé ces jalons ; d’autant plus lorsque comme moi, né en 2000, les jeunes joueurs n’ont pas connu le passage de la 2D a la 3D. Avec SSR, j’ai eu la sensation de redécouvrir la 3D. Dans SSR, puisque le jeu s’en tient à ses fondamentaux, cités plus hauts, il sera question de jouer autour de ces interactions, de déduire les conséquences de vos mouvements, sur la progression du niveau. En regardant attentivement cette image, en vous concentrant sur mes explications, imaginez alors les choses suivantes : qu’est-ce qui se passe si je pousse une saucisse sur une autre ? De quelles façons puis-je griller les saucisses ? Comment faire pour écarter une saucisse du niveau, sans la faire tomber dans l’eau ? Tout ce que je dit paraît trivial, au point ou, il n’est pas rare d’avoir trouvé la clé de résolution du niveau, sans être capable de l’exécuter. Le jeu vous demande d’opérer autour de principes élémentaires, mais parce qu’il se concentre autant sur l’essentiel, la difficulté s’oriente autour des multiples conséquences du fonctionnement du jeu. SSR vous demande donc de décliner ses mécaniques à l’infini, de les utiliser de façon créative.


Ma comparaison avec Tears of the Kingdom n’était pas anodine : si j’étais dans une vidéo youtube essay, je dirais que SSR possède un gameplay émergent. J’imagine qu’en voyant cette image(monde 2), vous avez dû avoir la réaction suivante « Comment suis-je censé résoudre ce niveau ? Il me paraît impossible… » ; sur les 86 niveaux composant ce jeu, tous m’ont procuré cette sensation. Or chacun repose sur la capacité du joueur, à faire émerger une interaction particulière, grâce aux particularités du level design, pour résoudre le niveau. Au moment ou l’astuce est comprise, le niveau se résout de lui-même, sauf exceptions. Encore une fois cela paraît extrêmement abstrait, et je serais obligé de donner une solution pour que vous compreniez. Disons que sans trop en dire, l’introduction d’un seul bloc de mur (monde 2) ou d’une échelle (monde 3) va modifier profondément la résolution d’un niveau. Bien qu’un ajout de la sorte, puisse paraître aussi insignifiant, l’ajout d’un seul élément, bouleversera la progression d’un niveau. Vous jouerez toujours avec les mêmes contrôles. Les règles de base énoncées en haut seront, comme tout au long du jeu, le cœur de votre avancée. Mais l’ajout d’un seul bloc, poussera votre sens de la créativité jusqu’au bout ; au point ou bien plus tard dans le jeu, vous réalisez que tout était possible depuis le premier lancement du jeu, car chaque interaction n’est que la conséquence du moteur physique, c’est pourquoi, il vous sera possible d’utiliser, ou trouver accidentellement, des interactions de jeu qui vous seront utiles dans les mondes suivants. Pour ceux qui ont joué au jeu, un certain niveau du monde 3, que je ne montrerais pas, orchestrera potentiellement un accident, vous faisant découvrir une interaction, qui ne servira pas avant le monde 5. Comment ceci était-il possible ? En ajoutant simplement des limitations dans le level-design. La force de SSR, c’est d’amener le jeu a faire des déductions, transformant n’importe quel obstacle, l’empêchant de se mouvoir selon sa volonté, ou de griller la saucisse d’une façon souhaitée, en une clé de voûte qui rend facile, un puzzle visuellement impossible (monde 4). Ainsi, avec les mêmes règles, le même but, la même simplicité, vous faites émerger, intuitivement, une nouvelle façon de jouer, sans n’avoir jamais quitté une seule fois, le cadre limité que je décris depuis le début de cette critique. La fameuse pensée « out of the box » n’a jamais eu autant de sens qu’avec SSR. Le jeu reste fidèle à son principe jusqu’au bout. Vous ne ferez rien d’autre que de pousser des saucisses. Voilà un exemple d’une combinaison parfaite entre simplicité et profondeur.


Mon texte peut vous paraître très mécanique. SSR l’est beaucoup moins dans les faits. Avec le temps et les niveaux, le joueur développe une forme d’expertise, le rendant beaucoup plus efficace dans la résolution des niveaux. Plus haut je vous demandais de résoudre le niveau dans votre tête ; par habitude, le fonctionnement du jeu paraît tellement évident et intuitif, que la solution du niveau se dessinera dans votre tête, avant d’être mise en application. En effet, puisque tout n’est que logique la plus formelle, évidente, toutes les solutions de SSR demandent de transposer nos éléments physiques dans ce monde, construit de saucisses. Le joueur conscientise cela. Sa progression se fluidifie. En voyant certains motifs se répéter dans les niveaux, dès le début, le joueur aura envie, instinctivement, ou plutôt, mécaniquement, d’appliquer ce qui a fonctionné précédemment. Très souvent, ce procédé marchera ; il fera gagner du temps, dans le processus de résolution du niveau. Or le jeu SAIT que vous développez vos réflexes. Le joueur, persuadé que le niveau auquel il fait face, est simple, SSR lui balancera en pleine figure une difficulté inattendue, en pleine résolution du niveau(monde 5). Ce genre de twist, le jeu en possède beaucoup, au point où il vous fait relativiser sur votre degré de maîtrise. Vous n’oublierez jamais le nom de certains niveaux, qui ont complètement renversé, ce que vous croyiez acquis, depuis le début. À ce moment, le joueur réalise qu’il se conditionne lui-même. SSR, parce qu’il est intelligent, refuse de formater son joueur et de le mettre en mode automatique, pour la résolution de ses énigmes. Pour ceux qui ont joué au jeu, le fameux Crater en est l’incarnation même. Mais comme je ne peux parler de ces nombreux moments de joie, sans donner la solution du niveau, je me tente à une métaphore. Excusez son caractère très navrant. Imaginez être dehors, sous un soleil de plomb. Vous portez une casquette, pour éviter que le soleil ne vous éblouit le visage. Pour vous protéger du soleil, vous avez appris, vous-même, a toujours la porter d’une même façon, c’est-à-dire la visière en face. Maintenant, imaginez que le soleil décide de vous taper dans une autre direction, disons par-derrière. Vous vous buterez face à des rayons qui veulent votre mort, à force de se refléter sur votre nuque découverte. Or vous pouvez, vous en protégez, d’une façon très simple : qu’est-ce qui vous empêche de tourner votre casquette dans un autre sens (ici, la mettre à l’envers) pour que la visière puisse vous protéger de nouveau. SSR fonctionne sur le même principe. Il changera parfois un seul élément, ce qui est pourtant, suffisant, à changer l’exécution de votre logique. J’insiste sur l’idée que SSR poussera cette idée parfois très loin, tellement, que votre façon de résoudre l’énigme, en sera presque meta. Pour les personnes qui ont terminé le jeu, le dernier niveau du monde 5 et l’avant-dernier du jeu, en sont de parfaits exemples. De cette manière, SSR garde de l’intérêt toute sa durée.


Jusqu’à présent, j’ai fait de mon mieux pour évoquer les qualités de SSR, propres à ce dernier. J’espère que vous avez le nécessaire pour imaginer le fonctionnement de ce jeu. Toute cette contextualisation me servira a mieux appuyer mon propos sur SSR, en tant que jeu d’énigmes.


J’ai déjà évoqué ma vision des puzzle game, et ce qui me dérange dans leur exécution, dans ma critique de Void Stranger, je ne répéterais pas ici. À l’inverse, SSR a une courbe de difficulté linéaire, composé de petits pics réguliers. Le jeu ne possède donc aucun temps mort, puisque dès le début, toutes les énigmes se valent et sont intéressantes. SSR pour introduire de la complexité, ne procède que comme cité précédemment : en se contentant de modifier l’agencement du level-design, afin de créer les conditions pour modifier la façon de résoudre l’énigme. Par conséquent, le jeu se passe des poncifs à base de bloc de glace et autre, il n’empile pas la complexité à coup de nouveaux déplacements, nouveaux blocs ou autre. La complexité émerge naturellement, en modifiant les limites du cadre. Les repères du joueur se retrouvent constamment défiés, rendant ainsi la courbe de progression particulièrement grisante, du début à la fin. Rappelons également que s’attacher au principe de simplicité visuelle, épargne le joueur de ces fameuses énigmes a la Baba is you, ou, l’écran, trop surchargé à force d’empiler chacune des mécaniques du jeu, décourage l’énigme d’être résolu, le joueur ayant compris sa pénibilité. SSR est plutôt à l’image d’un Ocarina of Time, les temples se valent tous, Link voit son arsenal grandir sans décourager le joueur dans une surcouche d’éléments. Le miracle de tout ça ? SSR ne se répète jamais. Jusqu’à la toute fin, le jeu continuera de vous surprendre. Jusqu’à l’avant-dernière énigme, SSR continuera de vous montrer sous un autre angle, comment griller des saucisses.


SSR est alors une épiphanie. J’ai tenté d’en parler d’une façon « rationnelle », pour vous en expliquer le fonctionnement, pour vous faire comprendre pourquoi les gens qui ont apprécié ce jeu, sont aussi unanimes à son propos, lorsqu’il s’agit juste de griller des saucisses. Mais derrière mon texte assez froid, SSR m’aura procuré moult émotions. Derrière son apparence austère, ce sont des dizaines de moments eurêka, dont certains si intenses, qu’ils m’en ont fait rire de joie. SSR m’a fait sentir malin comme presque aucun jeu. Il m’a procuré un tas de sensations brutes, un plaisir de jeu incommensurable. Tout s’imbrique avec une tel raffinement, que l’allégresse est constante. SSR, bien que privé de narration, fabrique son histoire avec le joueur. En changeant de perspective, toutes les émotions que SSR parvient à créer chez le joueur (doute, joie, frustration, inspiration, surprise…) forment une narration propre au jeu. Le nombre de souvenirs crée, face à ces moments marquants, est tout simplement impressionnant. Au bout du compte, se forme une sorte de quête, ou le joueur apprend de ses erreurs et grandit. Lorsqu’on pense avoir tout vu, SSR repousse le sens de la créativité du joueur. Pire encore, le jeu finit par développer sa propre ambiance, lors d’un grand tour de force. Disons qu’a force de griller des saucisses, sans aucun but, sur cette île privée de vie, SSR tourne presque à l’horreur. Il y’a quelque chose de très absurde, à griller autant de saucisses, à ce rythme. Lorsque le joueur aura pris complètement ses marques, d’une façon plus ou moins (in)directe, SSR vous montrera qu’il y’a plus derrière ce jeu, il vous invitera à vous questionner sur la raison de vos actions, ou pire, sur les saucisses elles-mêmes. Il y arrive, non pas en agissant tel un « « « « indé » » » », à coup de moments pseudo-subversifs, de 4ème mur brisés, de phrases pompeuses. SSR choisi sobriété et discrétion. Il en fera appel à votre sens de l’interprétation, qu’a l’émotion imposée. Puis, il invitera à vous prendre un peu de recul, et en observant autour de vous, vous remarquerez que le jeu n’était pas aussi « vide » que vous l’avez prétendu. Vous resterez alors songeur, face à un univers, dont vous avez sous-estimé la mélancolie, à moins qu’elle vous habitait depuis le début. L’exploit de SSR ? Vivre une fin très émouvante, dans un jeu uniquement consisté de grillades. Tout ceci n’aurait jamais fonctionné, sans l’accumulation des niveaux précédents.

Dfez
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le 18 août 2024

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