La saga Suikoden est l’adaptation libre de « Au bord de l’Eau », l’un des quatre grands romans fondateurs de la dynastie Ming aux cotés de « La Pérégrination vers l’Ouest » (dont nous avons pu voir l’adaptation/suite avec Black Myth Wukong), « l’Histoire des 3 Royaumes » (dont le manga Kingdom de Yasuhisa Hara s’inspire également) et enfin « Jin Ping Mei ».
Dans ce roman, le bandit Song Jiang va réunir 108 brigands afin de renverser un gouvernement corrompu. Cette histoire étant un récit transmis par tradition oral il est évidemment bien difficile de définir la part relevant du récit historique et celle de la fable pure et simple.
Quoi qu’il en soit c’est précisément cette base narrative qui servira de moule à chaque itération de la saga. Dans cette compilation nous retrouvons ainsi les deux premiers opus à savoir : Suikoden premier du nom qui a défini les nombreuses caractéristiques de la série, puis Suikoden II unanimement reconnu comme le chef d’œuvre de la saga.
La compilation : Gate Rune & Dunan Unification War
La compilation propose les deux jeux en français (pour la première fois pour Suikoden I). Quelques options de conforts ont été intégrées comme la possibilité d’accélérer les combats ou encore de bloquer le chrono du jeu (pour éviter de manquer un certain personnage qui demandait d’arriver à un endroit en moins de quelques heures…. Quelle idée horrible ! C’est peut être bien lui l’origine de mon FOMO vidéoludique !). Graphiquement le choix a été fait de retravailler les décors, les éclairages mais de laisser les personnages à l’état de pixel. Un choix des plus judicieux à mon sens tant ces modèles en pixel art et leurs animations avaient un charme fou. C’est très propre même si je pinaillerai sur certains choix pour les décors qui ont un coté un peu trop lisse parfois (les tonneaux, caisses etc qui font vraiment assets d’image sans âme). C’est une histoire de sensibilité, rien de bien grave. Je suis pour ma part pleinement convaincu par cette compilation qui laisse les jeux dans leur jus d’époque en ne modernisant que par légère touche pour un travail global respectueux. Puis c’est enfin l’occasion d’avoir ces jeux cultes sur nos consoles modernes à un tarif « correct » (en comparaison des versions originales qui valent un rein). Une bonne surprise donc, surtout de la part d’un Konami assez enclin à souiller par tous les moyens possible son catalogue (Le pachinko Metal Gear Solid…. Ni oubli ni pardon). Dernier détail, la version day one file un code qui nous octroie une quantité d’argent ainsi que des runes donnant plus d’xp / argent. Si le levelling n’était déjà pas nécessaire de base, la c’est encore plus le cas. Honnêtement si vous voulez les utiliser allez y car le jeu ne repose absolument pas sur ces aspects la, j’y reviendrai plus bas.
Maintenant que j’ai évoqué cette compilation en tant que telle, le moment est venu de rendre honneur à Suikoden II, indéboulonnable 5éme jeu de mon top 10 depuis 2002.
Lettre d’amour à Suikoden II
Suikoden II est un JRPG légendaire. Ceux qui l’ont fait vous confirmeront qu’il l’est par ses qualités. Ceux qui ont cherchés à l’acquérir vous le confirmeront par la côte folle d’un exemplaire PS1 en bon état (plusieurs centaines d’euros). Je l’ai eu. Je l’ai vendu. Je l’ai regrettu (la conjugaison sacrifiée sur l’autel de la rime…).
Dans Suikoden II vous incarnez Riou. Avec votre meilleur ami Jowy vous vous êtes enrôlés dans la brigade Licorne qui se compose des jeunes recrues de la nation et faisant parti des troupes d’Highland. La guerre vient de prendre fin suite à la signature d’un traité de paix entre l’empire d’Highland et la ville état de Jowston. La fin de ce conflit signifie donc que tout le monde va pouvoir rentrer chez lui. Pour vous et Jowy c’est donc un retour au village de Kyaro qui se profile enfin ainsi que des retrouvailles avec Nanami, votre sœur et 3éme membre de votre trio d’amis d’enfance. Mais comme dans tout RPG, rien ne se passe jamais comme prévu et un incendie est vite arrivé. C’est donc tout logiquement que durant la nuit votre campement est mis à feu et à sang. Il semblerait que Jowston ait rompu le traité de paix et attaque sournoisement quand la garde est baissée. Mais il faudra à peine quelques minutes pour comprendre que tout ceci n’est qu’un simulacre. Le prince Lucas Blight d’Highland a en réalité décidé de massacrer tous ces jeunes garçons (de son propre camps rappelons le) afin d’accuser Jowston de cet acte odieux qui justifierait une reprise de la guerre. Vous et Jowy ayant surpris cette supercherie, vous êtes pris en chasse et parvenez in extremis à vous enfuir en sautant du haut d’une falaise dans le fleuve en contrebas. Avant de plonger vous vous faites la promesse de vous retrouver en haut de cette falaise si vous veniez à être séparés…
Une introduction qui sera parfaitement représentative du ton de Suikoden II. Car ce qui fait la force de ce jeu c’est que derrière ces personnages en pixels mignons se cache en réalité un récit crève-cœur. La guerre y est montrée sans détour et vos personnages ne décimeront pas des unités entières à l’aide de superpouvoir digne d’un shonen bas de gamme. Les hommes ne sont pas des surhommes et ce sont pourtant eux qui écrivent les victoires, les défaites et donc par extension l’Histoire. Ce sont les stratégies, les coups bas, les remises en question et les relations politiques qui marqueront les étapes clés de ce conflit. La quête de pouvoir inhérente à tout JRPG et tout bon récit initiatique prendra ici la forme d’alliances avant toute autre chose. Si le scénario aborde bien une légère part magique/mystique via les runes, elles n’ont au final que bien peu de poids à l’échelle du conflit qui s’abat sur tout le continent. Vous n’affronterez pas dieu en guise de boss final, pas plus qu’un bad guy qui plane dans les airs hilare d’un pouvoir à même de détruire la planète. Antagoniste marquant par excellence, Luca Blight est une figure du mal telle qu’elle peut habiter l’homme conquérant, justifiant la fin par tous les moyens. Cruel, extrême, terrifiant… les qualificatifs ne manque pas et vous ne pourrez pas l’oublier. Vous ne vous battrez pas pour sauver le monde, mais pour enfin créer une paix pour tout à chacun. C’est précisément ce scénario à hauteur d’Hommes qui confère à Suikoden II son identité assez unique. Et c’est probablement aussi pour cela qu’on arrive à être autant touché par son écriture.
Une écriture qui fait mouche alors qu’elle fait pourtant dans l’économie de mots. Les informations sont directes et expédiées en quelques phrases. Une narration de son époque loin des tunnels narratifs que le JRPG moderne semble avoir du mal à lâcher. Comme si pour dire bien il fallait dire beaucoup. La preuve que non tant on est ému toutes les 3 heures dans Suikoden II. Quand nos personnages attendent à la sortie d’une ville le retour de l’un des leurs alors que le soleil se couche on attend avec eux, on espère, on partage leur tracas. Quand après notre fuite du début du jeu, l’opening en sépia sans dialogue nous montre l’enfance de nos trois personnages principaux, on comprend tout et on se surprend à trouver tout cela tres beau (merci à la superbe musique, une parmi tant d’autres).
Pourtant Suikoden II, tout RPG qu’il est ne s’embarrasse pas de systèmes profonds. Les combats sont au tour par tour mais n’ont rien de très tactique. Le levelling n’est absolument pas nécessaire à aucun moment et il est tout à fait faisable de finir sans mal l’aventure en ligne droite. Aucune quête annêxe si l’on met de coté la quête globale des 108 étoiles de la destinée.
D’ailleurs même ses batailles tactique en case par case à la Fire Emblem n’ont rien de profond, pas plus que les duels en 1V1 à base de pierre feuille ciseau (il faut déceler ce que va faire l’adversaire selon sa ligne de dialogue pour choisir Attaque / Défense / Attaque Spéciale en conséquence). Pourtant la tension est bien présente. Les batailles d’armées et leur musique grandiloquente appuie toute la dramaturgie qui se joue sous nos yeux.
Les personnages sont tres bien caractérisés surtout les principaux car avec un roster de 108 protagonistes il est évident qu’une grande partie n’est juste la que pour grossir les rangs ou occuper des fonctions précises. Pourtant il y a des petits détails qui font toute la différence. Prenez Vicky par exemple. C’est le personnage qui nous débloquera la teleportation d’un lieu à l’autre. Et bien elle débarque de nulle part alors qu’on explore une forêt. On comprend bien qu’elle est un chouya maladroite avec sa teleportation. Elle nous rejoint sans trop sourciller et nous n’aurons plus aucun dialogue avec elle. Cependant parfois quand vous choisirez un lieu où vous téléporter… elle se trompera et vous expédiera ailleurs ! Cela arrive une fois sur quarante mais ce petit détail la personnalise et fait écho à sa première apparition. C’est tout bête et pourtant ça marche mieux que cent lignes de dialogues interminables.
L’attrait du jeu est la, c’est collectionner ces personnages comme des démons de Shin Megami Tensei ou des Pokémon. On les essaye, on cherche les attaques combinées entre 2-3-4 ou 5 personnages. C’est probablement une part plus importante de l’aventure que les combats aléatoires inhérents au genre. Ici les combats aléatoires on les fait sans déplaisir mais il n’y a pas de pic de difficulté qui va vous demander de vous y acharner. Le levelling est plutôt calibré et un personnage en sous level se mettra au niveau des plus élevés en 4 ou 5 combats. Comme si les développeurs eux-mêmes vous le hurlez : « Suikoden n’est pas un jeu à systèmes, c’est une histoire, une aventure faite de rencontres et d’émotions. »
Faire grossir ses rangs c’est aussi l’occasion de voir grandir notre château, de voir la vie s’y développer. Certains personnages amènent avec eux des mini-jeux tels que celui sur la cuisine. D’autres ouvrent des échoppes alors que d’autres encore créé de nouvelles pièces. C’est un des plaisir de trouver un maximum de personnages, la sensation de se développer et de peser sur l’échiquier politique.
Au final il fait parti de ces JRPG dont la durée de vie ne s’embarrassait pas de superflus. Comptez une trentaine d’heures environ (le connaissant sur le bout des doigts j’en ai mis vingt six). Une durée de vie qui encourage la seconde partie des années plus tard ou immédiatement pour avoir la vraie fin…
Ton père il a volé toutes les étoiles de la destinée pour les mettre dans tes jeux.
Il faut que vous jouiez à Suikoden II. Si c’est la première fois que vous le faites, ne vous laissez pas intimider par cette histoire des 108 personnages. Ne faites pas le jeu avec un guide, ne les cherchez pas toutes pour avoir la « bonne fin ». Il est absolument vital que vous le fassiez à votre façon en faisant le deuil de réunir ces 108 personnages du premier coup, ce n’est pas possible et ce n’est pas grave en fait. Croyez moi la fin de base n’est pas mauvaise, elle est absolument parfaite. Elle va vous toucher en plein cœur et ce sera la et seulement la que vous aurez envie de faire la vraie fin. La quête des 108 personnages n’a de sens que si vous avez vécu la fin normale avant cela. Oubliez les injonctions completiste, vous avez l’opportunité de vivre quelque chose de vraiment grand émotionnellement, quelque chose que nous les vieux, on évoque encore avec la voix tremblante et les étoiles dans les yeux (108 exactement aha). Vous savez quoi, je ne l’avais jamais faite avant ce jour moi la vraie fin… J’ai attendu 20 ans pour ça et merde… ça fait vraiment quelque chose. Apres tout le roman de base ne s’appelle t-il pas « Au bord de l’eau ? ». Alors suivez le courant, ne luttez pas.
La boucle est bouclée. Les souvenirs n’avaient pas enjolivés la réalité. Suikoden II est bien un chef d’œuvre sur lequel le temps n’a aucune emprise.
Enfin un dernier mot sur le regretté Yoshitaka Murayama, créateur de la série qui nous a quitté le 06 Février 2024 à l’âge de 55 ans. Il avait entre temps relancé un Kickstarter couronné de succès pour Eiyuden Chronicles : Hundred Heroes, son Suikoden à lui sous l’égide de son nouveau studio Rabbit & Bears Studio. Il n’aura malheureusement pas pu connaitre le lancement de son dernier jeu.