Axiome plateforme
En I, une analyse de la plateforme considérée sous l'angle physique et mécanique. En II, les notions plus fondamentales de rythme et de flux à travers le jeu d'action. En III, Super Mario 64 et la...
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le 8 juin 2015
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Il y a de cela plus d'un an, j'ai voulu me risquer à critiquer tous les Mario auxquels j'avais joué : du premier "Super Mario Bros" jusqu'à "Super Mario Odyssey". Et ils y sont tous rapidement passés : les trois épisodes NES, le fameux "Lost Levels", les deux "Super Mario World". Je me suis même permis quelques mots à l'égard de la compilation "Super Mario All Stars"...
Et puis est arrivé le moment de parler de ce "Super Mario 64"...
Et là ce fut l'arrêt brutal. La panne sèche. Le vertige.
Une étrange pression venait de me saisir.
Le moment était venu de parler d'un des jeux les plus marquants de mon parcours de joueur. Un fondamental. Une révolution. Peut-être même l'un des jeux les plus remarquables de l'Histoire du jeu vidéo.
Je ne pouvais pas parler de "Super Mario 64" à la légère.
Il fallait que je sache au moins dire ce qui a fait de ce jeu un Alpha et un Oméga au moment de sa sortie ; une pierre angulaire pour quiconque y est passé lors de ces temps glorieux de révolution.
Parce qu'elle est là la principale difficulté lorsqu'il s'agit d'aborder ce jeu aujourd'hui : prendre sa réelle mesure.
La chose m'est apparue d'autant plus clairement lorsque je me suis récemment retrouvé face à la critique de mon cher Matt le Chauve adoré.
Pour lui qui venait de découvrir et de parcourir ce titre plus de vingt ans après sa sortie, le constat était sans appel : certes il n'avait pas pris de déplaisir à parcourir ce titre, mais force lui fut néanmoins de reconnaître qu'il l'avait fait sans entrain ni passion. Tout cela lui paraissant au final comme fort convenu, classique, voire presque comme trop évident.
Et ce qui est terrible dans ce constat là c'est qu'il peut s'avérer tout aussi juste qu'également erroné.
Oui, c'est juste de dire que jouer aujourd'hui à "Super Mario 64" c'est jouer à un jeu auquel on a tous déjà joué cent fois : on commence dans un hub central qui nous donne accès à tous les niveaux du jeu, ces niveaux sont de banals mondes thématisés dans lesquels on a planqué des items qu'il faut collecter pour espérer passer aux niveaux suivants. Et dans ce contexte de ces niveaux, on retrouvera des épreuves récurrentes comme battre un boss, accomplir une course, réussir à explorer un recoin caché, etc...
Sur tous ces points, oui c'est vrai, "Super Mario 64" est un jeu très convenu, classique, évident...
Seulement voilà, il y a une chose qu'il faut saisir pour prendre conscience de toute la dimension de ce "Super Mario 64" : c'est que ces conventions, ces habitudes, ces évidences, c'est justement ce "Super Mario 64" qui les a installées.
Pour bien comprendre l'ampleur de la révolution posée ici par ce titre, je pense que le meilleur moyen reste encore de rappeler quelles étaient les autres références du genre sorties à la même époque en 1996.
Sur PlayStation on s'extasiait sur "Crash Bandicoot" tandis que sur Saturn on jouait à "Pandemonium". Et c'est la même année que sortit un autre grand classique - certes un peu plus éloigné du genre plate-forme 3D mais néanmoins plus ou moins régi par les mêmes problématiques de gameplay - j'ai nommé "Tomb Raider".
Prenons ces références de l'époque pour qu'ainsi on puisse cerner où en était le jeu vidéo en 1996.
D'un côté on avait deux jeux qui se contentaient de reproduire les mécaniques classiques du jeu de plate-formes 2D sans trop d'innovation : au mieux on avait un jeu qui savait donner un peu de profondeur à ses couloirs comme "Crash Bandicoot", au pire on avait un jeu pour qui la 3D n'était que purement esthétique comme "Pandemonium".
Au fond, celui qui avait poussé le plus loin la gestion de la 3D à cette époque c'était "Tomb Raider". Là pour le coup on prenait la peine de penser des cartes qui n'étaient pas linéaires ; là on savait penser en hauteur et en largeur ; là on devait apprendre à manipuler une caméra pour observer un espace vraiment en volume...
Eh bien prenez juste la peine de vous renseigner sur "Tomb Raider", histoire de vous faire une idée de ce qu'était le summum du jeu 3D en 1996. Mieux que ça : jouez-y. Jouez-y et constatez à quel point les espaces sont vides, les caméras hasardeuses, la jouabilité pénible, les enjeux de gameplay souvent réduits à buter des trucs en tournant sur soi-même ou bien à tirer des leviers à un bout d'une carte pour ouvrir une porte qui se trouvait à l'autre bout.
Et le pire c'est qu'à l'époque "Tomb Raider" c'était vraiment bien. Au moins ça tentait quelque chose ; ça explorait un concept ; ça offrait une perspective nouvelle de jeu...
Seulement "Tomb Raider" aujourd'hui c'est la préhistoire du jeu.
...Mais vraiment.
On y réjouerait aujourd'hui qu'on ne dirait certainement pas que ça reste plaisant quand bien même c'est convenu.
On dirait plutôt que c'est moche, mal gaulé, vide. Mais conscient alors du jeu dont on parle et du contexte dans lequel il a été produit, on corrigerait tout aussitôt en concluant poliment que "c'était une autre époque".
Or, le fait est que "Super Mario 64" ce n'est pas (encore) une autre époque.
Les hubs, collectibles, missions récurrentes et tout le reste sont encore les composantes de pas mal de jeux de 2020 (d'ailleurs qu'est-ce qu'un jeu en openworld si ce n'est un monde de "Super Mario 64" en plus grand et plus rempli ?).
Et si aujourd'hui tout cela apparaît comme banal et concenu - comme des évidences - en 1996 c'était juste une révolution.
Mettez-vous à la place de quelqu'un pour qui le jeu de plate-forme ne se limitait jusqu'à présent qu'à du "Crash Bandicoot" et imaginez ce que ça lui a fait d'être confronté pour la première fois au hub du château de Peach. Imaginez ce que ça a été d'entrer dans une pièce dans laquelle n'était attaché qu'un immense tableau, ne pas savoir ce que c'était et s'en approcher. Puis voir soudain la texture gondoler (une claque visuelle pour l'époque) et se risquer à s'y plonger dedans.
Surgissait alors un nouveau monde...
Mais ouaaaaah quoi !
Pareil, collecter des étoiles dans un petit monde en 3D vous semble bidon ?
Mais à cette époque là c'était tout une habitude de jeu qui volait en éclat !
Il ne s'agissait plus de seulement avancer d'un point A à un point B, il s'agissait de réfléchir au meilleur chemin à emprunter au regard des multiples possibilités. Il s'agissait à la fois de jouer de prudence et de dextérité. Et surtout il s'agissait de jouer avec la caméra. Car pour une fois le hardware s'y prêtait. A une époque où aucune console ne disposait de joystick sur ses manettes, la N64 en disposait d'un, le tout accompagné de quatre touches pour diriger la caméra.
Dans ce jeu on pouvait JOUER avec la caméra.
Non mais juste ça quoi !
D'une contrainte, Nintendo était parvenu à transformer ça en quelque chose de ludique !
Alors oui, c'est tellement évident aujourd'hui de manipuler le deuxième joystick d'une manette pour déplacer notre cadre visuel selon nos envies, mais à cette époque là c'etait une initiative qu'on n'avait jamais laissé au joueur ! Et ce que tous les autres studios avaient perçus jusqu'alors comme une contrainte qui devait être géré par le jeu lui-même - au risque de ne jamais vraiment y arriver - Nintendo a décidé de nous laisser jouer avec ça.
Il a créé ce personnage de Lakitu pour à la fois nous expliquer les règles mais aussi pour mieux nous faire conscientiser les contraintes.
Et puis ensuite il a créé les conditions pour qu'on ait envie de jouer avec. Il nous a créé des passages difficiles à traverser nous obligeant à mieux évaluer les perspectives et les distances, il nous a construit des mondes où l'orientation ne peut se faire qu'à l'observation, il nous a caché des items derrière des angles morts pour récompenser toute forme de malice.
Autant d'évidences aujourd'hui dont ce "Super Mario 64" est l'indiscutable pionnier.
Au fond, plus que le simple jeu avec la caméra, c'est tout ce gameplay à base de deux joysticks que "Super Mario 64" a su finalement inaugurer.
Et même si dans la pratique ce système se révèle plus que perfectible (la caméra bloque souvent contre les obstacles et pivote régulièrement lors des déplacements, ce qui rend toute action rapide vite dangereuse) il n'empêche qu'une fois de plus - à l'époque - celui-ci enterrait sans discussion possible toute la concurrence.
D'ailleurs, le simple fait que ce titre soit encore jouable aujourd'hui après vingt-cinq ans pour moi ça dit juste tout de la prouesse accomplie à ce moment là !
Et ce qui est dingue dans tout ça, c'est qu'on parle d'un jeu qui - excusez du peu - est en train d'explorer un genre totalement nouveau, en posant de nouveaux codes !
Parce que l'air de rien, cet épisode, c'est aussi celui qui pose toutes les bases de ce qui va devenir désormais la gamme de mouvements des Mario en 3D.
Sauts, triple-sauts, sauts en longueur, sauts en pivot, sauts contre les murs, attaques rodéos, plongées en avant...
Mais encore une fois mettez-vous à la place de celui qui découvre ça à l'époque de "Crash Bandicoot" et de "Tomb Raider" !
C'est un champ totalement nouveau de possibilités qui lui est donné.
C'est un horizon ludique inédit qu'on nous laisse explorer...
Combien de jeux peuvent aujourd'hui prétendre avoir offert ce genre d'expérience totalement nouvelle à une génération de joueurs ? Franchement !
Et il a fallu qu'en plus de tout ça "Super Mario 64" se paye le luxe de nous offrir une petite plâtrée de moments forts : l'exploration de la fosse marine avec sa murène géante et son galion qu'il faut sortir des eaux, ce pic givré où on se risque tout aussi bien à la glisse qu'au sauvetage de petit pingouin en détresse, cette pyramide et cette maison hantée qu'on explore, cette cité engloutie qu'on découvre et dans laquelle on apprend (déjà) à jouer du niveau des eaux...
Encore une fois autant de grands classiques aujourd'hui qui étaient de véritables claques de nouveauté pour l'époque...
Alors oui, forcément, parce qu'après lui personne n'a su faire du jeu de plate-formes autrement que comme ça, parce que deux ans plus tard "Ocarina of Time" est venu compléter cette révolution en déclinant les principes de ce jeu au service de l'action-RPG, mais aussi parce qu'avec le temps le progrès technique a permis une évolution de ce concept en jeux d'action en open-world, "Super Mario 64" apparaît comme commun et évident. Il donne aujourd'hui l'impression de s'être contenté de reproduire une simple base.
...Alors qu'en fait "Super Mario 64" ne s'est pas contenté de reproduire une simple base. Il l'a CRÉÉE.
Il l'a imposée.
Tout cela m'amène donc à vous poser une question.
Comment vous appeleriez, vous, un jeu qui a posé toutes les bases d'une bonne partie du jeu vidéo moderne pour au moins vingt-cinq ans ?
Comment vous appelleriez un jeu dont on a repris tous les modes de fonctionnement - jusqu'au hardware à base de deux joysticks (même si avec la N64 on n'y était pas encore totalement mais on se comprend) et cela essentiellement parce que personne n'a vraiment su comment faire mieux ?
Une référence ? Oui, ça c'est évident.
Un chef d'oeuvre ? Là aussi pour moi l'emploi de ce terme me semble difficilement discutable.
Un joyau inégalé et inégalable ? Pourquoi pas dans la mesure où plus rien désormais ne saura déloger et remplacer ce jeu de la place qu'il occupe dans l'Histoire du jeu video...
Mais malgré tous ces termes pleinement justifiés, moi je préfèrerais en employer un autre qui me paraît bien plus signifiant pour qualifier ce qu'est fondamentalement ce "Super Mario 64".
Et ce terme c'est monument.
Oui, pour moi, "Super Mario 64" est un monument parce qu'il se pose là, comme un témoignage de l'Histoire.
C'est un monument parce qu'on ne peut pas l'ignorer, on ne peut pas y toucher, il est au coeur de ce paysage qui nous est si familier.
Sans lui, le jeu vidéo ne serait soudainement plus le même. La place paraîtrait nue. Une identité paraîtrait perdue.
Donc oui, pour moi "Super Mario 64" c'est un monument.
Et plus que ça, du point de vue de mon histoire personnelle de joueur, j'aurais presque tendance à aller plus loin.
Pour moi "Super Mario 64" c'est bien plus qu'un monument.
Au fond, pour moi, "Super Mario 64" c'est quasiment LE monument.
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le 5 sept. 2020
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