L'ère de la gamecube parlera à beaucoup de joueurs comme une période charnière pour Nintendo, où les tentatives de s'aligner sur un marché résolument tourné vers la "génération MTV" a résulté dans des réinventions audacieuses de franchises établies. On pourrait notamment penser à l'itération de Mario Kart de la console, Double Dash, qui ajoute à la formule de karting familial un rythme effréné, plus proche d'un jeu de combat que de racing. Mais si l'audace de Double Dash représente l'une des plus belles réussites de la série, il est difficile d'en dire autant pour Super Mario Sunshine (MS par la suite), tant le génial de l'innovation se heurte à une formule qui ne lui convient pas.
Si la tentation de réduire MS à un ressenti est grande, il me semble préférable ici de se pencher sur la cohésion des aspects du titre, et ainsi éliminer la question polémique du "Mario Sunshine est-il un mauvais jeu ?". Car malgré une expérience mitigée pour ma part, alternant entre impression de perfection et frustration extrême; il n'en reste pas moins que le rapport quasi-intime à un jeu ne peut donner lieu à un jugement de valeur, qui invaliderait l'expérience ressentie par d'autres joueurs.
Dès le début du jeu, il semble que Nintendo affirme sa rupture avec l'héritage de la franchise : si l'univers cartoon est toujours présent avec ses couleurs saturées, rien dans le monde qui est présenté au joueur n'apparait familier (à l'exception, peut-être, des pièces et des tuyaux, bien maigre reliquats). Exit les goombas, les toads et la vallée champignon; MS plonge son plombier sur une île touristique, avec son village à mi-chemin entre les Caraïbes et l'Italie. Même au niveau de son synopsis, l'introduction joue la carte de l'inconnu. Mario est captif au lieu de la princesse (qui est, d'ailleurs, une bien mauvaise diplomate), alors qu'un mystérieux jumeau, tout d'encre dégoulinante vêtu, remplace Bowser et pollue l'île (comme un naufrage BP humain).
Plus que de simples gimmicks, ces choix visuels et scénaristiques sont ici la clé pour motiver le joueur à explorer de fond en combles les univers qui lui sont proposés. A ce titre, le monde principal offre tous les éléments d'un bac à sable, où les obstacles sont autant de manières de suggérer une utilisation astucieuse des compétences de gymnaste de Mario, renforcées par son hydro-propulseur animé. Si courir, sauter et plonger sont toujours de rigueur, le jeu innove par des combos réactifs, permettant également de tournoyer dans les airs ou de rebondir comme un pingouin sur un toboggan, sans jamais que la difficulté de parcours ne force à maitriser tous ces éléments.
Bon ou mauvais, ce choix s'aligne avec la dimension quasi-touristique des niveaux, où la linéarité de chaque objectif est compensée par la multitude de chemins disponibles pour l'atteindre. Il s'agit alors de se balader dans des mondes aux thèmes nouveaux et variés (le parc d'attraction, le port,...), mais toujours en accord avec le contexte balnéaire de la station de vacances. En ce sens, il me semble important de souligner que le manque de diversité d'environnement (au sens large) est compensé par une diversité thématique, accentuée par des graphismes raffinés (que je préfère personnellement à ceux de Super Mario Galaxy).
En arrêtant cette petite analyse ici, on pourrait imaginer MS comme le précurseur des jeux à monde ouvert, où la priorité est mise sur l'inventivité du joueur pour relever les défis proposés. Pourtant, il est de notoriété publique que ce n'est pas entièrement le cas, et que bien souvent cette prémisse est considérée comme dérisoire face aux problèmes du jeu.
D'ores et déjà, il faut admettre un drôle de paradoxe : malgré la maniabilité riche, rapide et précise de Mario est à son meilleur (et de loin), elle est utilisée dans des environnements à la physique variable et souvent imprévisible. C'est notamment le cas de la gestion des pentes, sur lesquelles Mario peut glisser ou tomber selon des règles qui varient en fonction des besoins du jeu : un niveau de plateforme pénalisera immédiatement un saut sur une pente par un rebond fatal, alors qu'un niveau d'exploration fera glisser Mario en laissant le temps d'un saut salvateur. Frustrante, l'inconsistance de la physique du jeu apparait davantage comme une variable de difficulté qu'un simple bug de collision, qui met le joueur en porte-à-faux quel que soit son niveau de précision.
Plus encore, toute la nouveauté du contexte de circuit touristique se perd dans les niveaux de chaque monde, dont les objectifs ne se prêtent pas toujours à ce nouveau gameplay. Si l'on retrouve évidemment des Boss à affronter dans des arènes plus ou moins fermées, on doit également faire face à des objectifs de plateformes, contenus dans des environnements secrets, au style visuel à l'opposé de celui du jeu. Souvent cités comme les meilleurs ou les pires du jeu, ces niveaux (dont j'ai déjà mentionné la physique punitive) donnent l'impression d'une volonté de rattacher le gameplay aux niveaux de son prédécesseur, comme-ci Nintendo voulait atténuer le désarroi des joueurs qui attendaient Sunshine comme un exercice continu de sauts périlleux. Si l'idée en elle-même ne semble pas préjudiciable, le fait d'avoir l'obligation de compléter ces niveaux pour continuer l'exploration des mondes limite l'ouverture apparente du jeu : puisqu'il n'y a que 7 mondes (dont la collecte des Etoiles est obligatoirement chronologique), il arrive souvent un stade où l'on se retrouve bloqué à répéter jusqu'à l'apprentissage ces niveaux en course d'obstacle. A l'inverse, il est facile d'imaginer que l'adrénaline de ces niveaux retombe vite lorsqu'un joueur orienté plateforme doive de nouveau remplir des objectifs sans réelle difficulté.
Ainsi, Super Mario Sunshine apparait comme un jeu novateur et perfectionné, où l’investissement de tout l’univers du jeu dans une idée nouvelle se fait au prix de concessions qui ramènent l’expérience sur des rails plus linéaires. Si chacun perçoit l’équilibre entre le neuf et le vieux à sa manière, il n’en reste pas moins que l’écart entre les deux extrêmes de gameplay ne peuvent que diviser, puisqu’il est difficile de vouloir de l’exploration détente dans un contexte de parcours d’obstacle ardus et réciproquement. C’est en un sens ce qui reflète la note attribuée, tant je ne peux moi-même décider dans quel camp je me trouve, tant le jeu jongle avec ses objectifs et sa difficulté.