Meat Boy un jour, Meat Boy pour toujours. C'est derrière ce slogan digne des plus mauvais sites de JV que se dévoile la plus grande promesse de ce nouvel épisode : une génération procédurale des niveaux qui permet en théorie un infini de possibilités. Dans les faits, chaque niveau se découpe en plusieurs segments fabriqués méticuleusement par main humaine, puis assemblés aléatoirement par un algorithme rarement pris à défaut. Et quand je dis aléatoirement, n'imaginez pas une foire à la saucisse où tout se mélange dans l'indigestion générale. Gageons que les développeurs ont suffisamment défini les contours de leur projet pour en garantir d'une part une évidente cohérence, et d'autre part la bonne tenue de la sacro-sainte courbe de progression.
Une idée fort intéressante qui même si elle n'est en vérité pas sans limites permet l'illusion de ne jamais jouer tout à fait au même jeu selon les parties, ce qui satisfera surtout les quelques personnes assez folles pour recommencer, ou les sadiques de l'internet qui aiment voir souffrir leurs streamers(euses) préféré(e)s.
La grande question derrière tout ça, c'est de savoir si les efforts consentis pour arriver à rendre ce pari possible n'était pas à certains égards une perte de temps. Et sans aller jusqu'à répondre par la positive, il n'est pas mal de penser que le travail abattu aurait pu être investi différemment. (Ou plus simplement converti en chèque sur le compte en banque de Danny Baranowsky, pour donner de vrais élans diaboliques à cette gigantesque symphonie du mal).
Derrière les plus de 7000 niveaux fièrement annoncés, seulement 5 mondes, très rapidement parcourus si vous ne tombez pas par mégarde dans une warp zone mal intentionnée. Pour chacun de ces mondes des mécaniques qui lui sont propre. Tantôt nouvelles, tantôt anciennes, c'est un savant mélange qui ne donne que rarement le temps de s'ennuyer. Reste que pour les voir dignement exploitées, il faudra concevoir un détour par le Dark World, et donc s'essayer au préalable au défi du contre la montre. Il est à comprendre que le jeu ne manque pas de contenu à qui veut bien s'en emparer, mais que peu importe les humeurs de la génération procédurale, les multiples segments élaborés tourne le plus souvent à la variation d'une même idée, plutôt qu'à l'ambition d'en explorer de nouvelles.
Mais qu'importe que vous soyez petit ou grand mangeur vous serez forcément repus quand vous sera servi la plus belle pièce de la bête : ses cinématiques ! Je l'avoue c'est un parti pris audacieux de tenir de tels propos quand on parle d'un plateformer, mais la production value de ces dernières et la quête vengeresse de l'écureuil le plus badass du média ne viendront pas me contredire. Impossible de ne pas fondre devant la progéniture de nos deux héros, star s'il en faut de cet épisode, démon déguisé en ange (ou plutôt en lapin), subtilement appelée Nugget, comme pour nous rappeler qu'en dessous de la panure se cache souvent de bien viles surprises. Regrettons toutefois un casting moins explosif en ce qui concerne les personnages jouables, tous issus de l'univers SMB. Et aussi la terrible disparition du Tofu Boy, décision particulièrement audacieuse en cette année 2020 placé sous le signe de la bien-pensance, qui donnera du grain à moudre à tous les petaphiles susceptibles de passer par là.
Mais le plus drôle dans tout ça c'est que j'ai réussi à vous parler du casting et des cinématiques avant même d'évoquer le mot qui fâche. RUNNER ! Je me permets de le mettre en majuscule pour tester son pouvoir de dissuasion. Parait-il qu'à sa simple évocation certaines personnes sont prises d'une folle envie de courir le plus vite possible loin de leur écran.
Mais n'en déplaise aux gourmets, ce n'est pas parce que la viande cours toute seule qu'elle est forcément avariée. Si tenté que l'on accepte son postulat, SMB Forever se révèle être une suite relativement honorable à son illustre ainé. Indéniablement moins marquant certes, mais pas non plus détestable au point de la jeter en pâtures à la première vue d'une scie sauteuse.
Reste que l'on ne retrouve pas dans cette nouvelle recette le petit ingrédient qui faisait tout le sel de SMB. Le flow, le fun, l'agent d'addiction, das spielgefühl appelez ça comme voulez, mais quand bien même l'aventure se laisse parcourir sans grand déplaisir, il n'est pas aussi évident d'y revenir que sur les grands de ce genre. Le revers du runner, c'est bien entendu l'absence de contrôle du personnage. C'est une castration de la liberté de mouvement, un bistournage de la solution inattendue, le passage difficile du "fais ce que tu veux (peux)" au "fais ce que je te dis". Terminé la viande qui glisse sur son propre jus pour nous envoyer repeindre les recoins les plus insondables du tableau, il est ici question d'adopter une rythmique finement étudiée, bien qu'il soit toujours possible d'y glisser quelques fausses notes. Toujours malin, le level design n'atteint jamais la folie des plus grandes heures du génie du mal Edmund McMillen, et se heurte surtout avec plus de fracas encore à la dureté du die & retry. Une limite parfaitement symbolisée par des combats de boss au demeurant très réussis si l'on s'en tient à leur parfaite exploitation des mécaniques en présence, mais qui ne sont finalement que des leçons à apprendre par cœur jusqu'à réussite du test.
Ce n'est pas foncièrement mal, mais c'est différent. Si l'on connait un tant soit peu les antécédents de la Team Meat et la difficulté du développement, il est surement préférable de saluer l'initiative de ne pas bêtement sortir un SMB2, plutôt que de fustiger une proposition discutable qui finira fatalement par faire tourner les pouces des possesseurs de smartphones. Reste à savoir si le mets peut être à votre faim, mais ce n'est pas à votre humble serveur de juger de vos préférences quant à la cuisson de votre steak.