Labyrinthique, énigmatique, dépourvu de toutes aides et à la proposition si vaste qu’il était difficile de réaliser toutes les possibilités pour l’époque, System Shock à sa sortie en 1994 a bousculé le jeu vidéo, propulsant le genre immersive sim sur une autre planète, en l'occurrence ici Saturne et sa station spatiale en orbite autour d’elle, Citadel (non pas celle de Mass Effect).
Quand Nightdive s’est lancé dans le chantier de “remaker” le premier épisode de cette franchise cultisme, mais peu joué (moi le premier), ils ne s'attendaient certainement pas à ce que cela dure sept longues années. En passant par un kickstarter, de multiples reboot du développement et le changement de personnes à sa tête, la gestation a été mouvementée.
Mais début 2023 le mythe est de retour, sous une forme que beaucoup n'espéraient plus. Construire une œuvre fidèle à celle de 1994 issue d’une ère ou Windows 95 n’existait pas encore, donne conscience de l’étendue du travail à effectuer.
Mais près de 23 heures plus tard sur mon compteur Steam, le néophyte que je suis de la série, mais amateur d’immersive sim, a peut-être passé ici l'une des aventures les plus “immersive”, justement, que j’ai eu l’occasion de faire.
N’ayant donc pas fait l’original (pas encore assez de cheveux gris), il me sera difficile de dire si System Shock 2023 est un bon remake ou non, mais les informations glanées à droite et à gauche, laissent penser qu'il s’agit non pas d’une réinterprétation complète, mais plus d’un lifting ++ gardant le squelette du jeu de 94. Je jugerai cependant ce dernier pour ce qu’il est, un jeu de 2023.
L’entrée dans System Shock ne se fait pas sans efforts de la part du joueur. Sans aucune indication ou presque de ce que vous devez accomplir, vous êtes lâchés dans la station avec comme seules informations autre que la courte introduction et le fait que vous sortez d’un sommeil cryogénique prolongé.
Dans la peau d'un hacker, on se rend rapidement compte que quelque chose ne tourne pas rond et que nous sommes la seule personne à bord à pouvoir y mettre un terme.
Prenez donc votre plus beau bloc-notes, votre stylo adoré et vous voilà embarqué pour une aventure qui va mettre à rude épreuve vos sens.
En effet, System Shock ne vous tendra à aucun moment la main. Cette base spatiale, vaste, se décompose en une dizaine d’étages/zones et à contrario de Prey de 2017, l’ensemble ou presque est accessible dès le début de l’aventure. Il sera bien entendu très compliqué de progresser sans accros avec l’équipement récupéré dans les premières heures de jeu, si vous décidez de monter les étages sans raison.
Point important à noter, le jeu ne possède aucun écran noir. Chaque chargement s’effectuera de manière cachée, via un ascenseur ou une autre transition.
Cela donne réellement le sentiment d'évoluer dans une sorte de monde ouvert, sans limites autres que nos propres explorations de chaque étage.
En parallèle d’un objectif que l’on essaye difficilement de dessiner dans notre tête, on découvrira nombre de choses plus ou moins étranges pour nous aider à constituer un schéma mental des lieux ainsi que des événements qui ont découlé sur cette IA devenue folle, nommée Shodan.
System Shock est certes un immersive sim, mais il ne l’est pas nécessairement de la même façon que les autres représentant du genre que sont, pour les plus connus, Deus Ex, Dishonored ou Prey, encore lui. Le jeu est structuré et il n’y aura qu’une seule manière de reconstituer le fil des événements pour arriver à la fin.
Cependant, il est sans aucun doute celui qui vous aidera le moins, en plaçant le joueur dans la tête d’un parfait inconnu à la station. Imaginez vous être largué dans un immense vaisseau spatial sans aucune raison, tout en étant seul. Que feriez-vous ?
Vais-je à droite ? Non à gauche plutôt. Je monte ou je descends ? Est-ce que cela me sera utile ? Que veut dire cette personne via cet audiolog ? Peut-être devrais-je noter ça sur un bout de papier.
Bref, vous comprenez que la vraie liberté se situe ici, vous êtes maître de vos actions, mais l’objectif final sera le même pour tout le monde.
Cette “linéarité” des événements n’est pas vraiment un souci en soi, le jeu étant déjà extrêmement complexe, si celui-ci possédait plusieurs manières d’en voir le bout, cela aurait mené possiblement à quelques explosions de neurones. Mais System Shock n’est jamais labyrinthique en ayant pour seul but de piéger le joueur. C'est avant tout un excellent level design mis au service de la variété, et uniquement cela. Certains étages de la station sont très étendus, mais il est toujours facile de retrouver son chemin.
Il n'empêche que je serai curieux de voir le Prey d’Arkane Studio et ses possibilités de “casser” le jeu, avec la même volonté de laisser le joueur libre que procure System Shock. On tiendrait peut-être là l’immersive sim ultime, en attendant les deux sont complémentaires quant à l'approche de la formule.
L’exploration reste passionnante et procure son lot de moments grisant de satisfaction comme nul autre jeux peuvent le faire. La résolution d’un événement ou d’un puzzle permettant d'accéder à une zone verrouillée, découle souvent sur un instant jubilatoire.
Néanmoins, System Shock n'accomplit pas tout parfaitement sur ce point et je pense sincèrement qu’il y avait quelques ajouts mineurs possibles pour donner une meilleure fluidité à l’ensemble.
Le joueur ne pouvant se fier que sur les informations trouvées au cours de son exploration de chaque étage, il aurait été par exemple intéressant de pouvoir annoter la carte autre que via l’unique “ajouter un marqueur” disponible. Donner plusieurs couleurs au choix pour trier les découvertes ou même le droit d’écrire quelques mots directement sur la carte, pour noter des lieux, n’étaient pas des modifications compliquées.
La possibilité de trier les audiologs entre ceux inutiles et ceux que l’on juge importants, par supposition, aurait grandement facilité la recherche d’une information que l’on se rappelle avoir vue, mais que l'on ne retrouve plus parmi la centaine de pièces audio.
Tout ceci aurait pu éviter quelques heures “perdues” en allers-retours au sein de la station pour retrouver des choses parfois croisées, mais nécessaires plusieurs heures après.
Ce n’est pas un gros problème en soi, néanmoins cela peut mener à quelques moments de frustration qui auraient pu être facilement effacés sans en aucun cas dénaturer l'œuvre de 1994. Je conseillerai donc de noter tout ce que vous pensez sortir de l’ordinaire sur une feuille ou un document sur PC.
On notera que j’ai eu quelques bugs avec l'icône de l'ascenseur sur la carte, m'obligeant à regarder sur le fandom pour retrouver son emplacement.
System Shock Remake ne serait rien sans une refonte complète de son moteur graphique et de son gameplay.
On ne le remarque pas nécessairement au premier coup d'œil, mais System Shock est bel et bien un jeu que l’on pourrait catégoriser de Pixel Art. En effet, derrière son moteur sous UE4, System Shock a trouvé une manière toute particulière de créer des environnements 3D. Dès que le joueur s’approchera d’un mur ou prendra le temps d’observer tout objet, il remarquera que tout est constitué de pixels assez grossiers qui collent parfaitement avec l’idée que l’on se fait d’un remake d’un jeu de 1994.
Ce côté old school donne au jeu un aspect proche de quelques jeux indépendants comme Prodeus, mais ici cela va plus loin, car les environnements fourmillent de détails et l'éclairage qui est par contre lui tout à fait moderne, donnent bout à bout une œuvre à la direction artistique unique.
Cela n’apporte que des points positifs au projet. Développement simplifié, plus de variété pour un coût moindre, un jeu qui est facilement accessible même sur PC peu puissant et une charte graphique qui mise à côté de l'épisode de 1994, semble comme une évolution naturelle.
System Shock se renouvelle plutôt correctement tout au long de notre avancée dans les étages, cependant qui dit Espace dit une certaine logique qui se répète. Il est certain qu’il n’y aura pas un étage avec de la neige et un autre avec des couloirs de sable. Du coup il est vrai qu'après plus d’une vingtaine d'heures à errer dans ses couloirs de métal, une certaine lassitude, toute relative, peut s’installer.
C’est sans compter sur le gameplay au petit oignon que nous ont concocté Nightdive.
Via une difficulté parfaitement dosée et entièrement paramétrable en début de partie concernant les puzzles et combats, System Shock nous met face à de nombreux types d’ennemis plus ou moins coriaces, avec un arsenal aussi riche qu’un Quake ou Unreal.
On est souvent amené à jongler entre les différentes armes pour économiser les munitions respectives et trouver la meilleure combinaison. Il sera impossible de tout transporter au vu de l’inventaire très étriqué disponible, il faudra faire des choix.
Tout comme le reste, ça sera au joueur de se débrouiller pour mettre la main sur les armes, certaines étant plus ou moins cachées, de même que pour les améliorations de notre personnage. Le jeu propose en effet quelques possibilités de booster nos compétences en fixant des modules à notre combinaison. Rien de bien nouveau ici et si cela ne changera pas fondamentalement l'expérience, certains de ces modules permettront de faciliter l’exploration ou les combats, mais je vous laisse le plaisir de découvrir cela.
Les escarmouches peuvent être abordées de manière silencieuse ou brutale, System Shock donnant la possibilité de se faufiler dans les couloirs et jeter un œil en se penchant dans les coins, cette approche est souvent récompensée, en particulier si on a choisi d’avoir des combats plus corsés. Le “gun feeling” est démentiel, Nightdive étant familier de remettre au goût du jour des boomer shooter, on sent qu’ils ont été animés par la volonté de donner aux joueurs des sensations parfaites souris en main. La combinaison avec l’audio découle sur un résultat proche de ce que Half Life 2 a fait en son temps, je n’ai pas peur de le dire. Même notre première arme procure un sentiment de satisfaction qui ne fera que grandir au fur et à mesure de nos découvertes. Tout comme le reste abordé plus haut les armes pourront être améliorées, mais cette fois-ci, il faudra passer par un système de kiosque ou on vous demandera d'insérer de la monnaie. La monnaie étant trouvable de différentes manières, pièces, cartes de crédit sur les cadavres de l’équipage, recyclage d’objets de l'environnement.
En somme, je ne trouve quasi rien à redire sur le gameplay en général, donnant le sentiment qu’il était difficile de faire autrement tout en gardant l'ADN intacte de System Shock.
Moderniser cette partie tout en implémentant cela dans un level design presque inchangé en comparaison à 94, relève du tour de force et Nightdive à parfaitement réussi.
La plus grosse refonte repose sur les phases dans le cyberespace, forcément très sommaire en 1994. Mais comme souvent, je suis persuadé qu’il sera plus intéressant de découvrir cela par vous-même plutôt qu’une explication longue ne pouvant décemment décrire ce point, un indice, on se rapproche d’un SHUMP sur trois dimensions.
Quelques mots sur l’histoire qui a forcément vieilli plus que le reste, mais reste tout à fait valable aujourd'hui.
Une IA qui devient folle et tue tout le monde ce n’est pas de première fraîcheur, mais la manière dont Shodan se développe au cours du récit ainsi que sa brutalité sans aucune limite qui s’exprime au travers de ses actes et paroles, n’est pas nécessairement une chose que l'on voit ailleurs.
Il n’y aura pas de surprises et vous n’y réfléchirez sûrement pas pendant des jours, mais le scénario est suffisamment efficace pour que cela fonctionne et tient en haleine le joueur jusqu’au couperet final.
Si vous connaissez l’histoire de l’IA Tay de Microsoft devenue folle sur Twitter, imaginez cela mais celle-ci est consciente et s’amuse avec des cobayes humains.
Et comme souvent, j’aime conclure avec un dernier mot sur la partie sonore du titre.
Exemplaire, c’est le mot qui me vient immédiatement à l’esprit.
Le doublage, les bruitages tout comme les musiques, Nightdive nous livre là une partition presque parfaite.
La voix de Shodan est revenue en studio pour nous offrir quelques nouvelles séquences effrayantes par ses mots et ses glitch sonores,"Your flesh is an insult to the perfection of the digital."
Anecdotique, peut-être, j’aimerais souligner que la musique du générique, au style synthwave, est particulièrement exceptionnelle et donne envie de rester jusqu'au bout, son titre “What you want, what you get” résume bien le résultat délivré par Nightdive avec ce remake.
Alors pourquoi pas un 9 ? Difficile d’attribuer tout le mérite à Nightdive, ces derniers se reposant pour beaucoup sur l’œuvre de 1994.
Cependant, System Shock Remake est sans aucune once de doute une réussite avec à de très rares instants des accrocs dus à un développement long et tumultueux. Il n'empêche que j’ai adoré l'expérience d’être complètement libre de mes actions avec comme seule arme ma tête et mon bloc-notes virtuel.
System Shock à 30 ans, mais il lui suffisait simplement d'une cure de jouvence pour repartir pour trente belles années devant lui. Le bilan frôle l’exemplarité et on espère voir un jour un remake de sa suite.
Voir ce jeu avec seulement quelques dizaines de notes sur SensCritique me brise le cœur, donnez lui une chance.