En 2015, les jeux narratifs à choix moraux connaissent un certain engouement. Le marché est alors tenu par deux studios phares : Quantic Dream, et Telltale Games, dont le The Walking Dead a redéfini les attentes du genre. Sans crier gare, un petit studio français nommé Dontnod décide de s'aventurer sur le terrain, et accouche d'un jeu qui fera date : Life is Strange.
Porté par une écriture efficace, des personnages forts et une ambiance inoubliable, le jeu propose des mécaniques simples mais pertinentes au service d'une histoire indéniablement prenante.
Cinq ans plus tard, Dontnod, qui a fait depuis du jeu narratif à choix moraux sa spécialité, nous offre Tell Me Why. Reprenant quasiment point par point la recette de Life is Strange, ce nouveau venu réussira-t-il à rivaliser avec son illustre grand frère ? La réponse est non.


Constituée spécialement pour ce jeu, l'équipe derrière Tell Me Why, au sein de Dontnod, n'est pas la même que celle à qui on doit Life is Strange. Et ça se sent. Et pourtant, dieu sait qu'ils ont envie de faire comme Life is Strange. Tout y est : les personnages un peu marginaux, l'ambiance qui oscille entre le cosy et la nature sauvage, les discours progressistes, les accents folk, l'Amérique comme toile de fond et les relations familiales compliquées. Mais là où la licence Life is Strange réussit à mélanger ces éléments en une alchimie délicate qui fonctionne, Tell Me Why se plante à peu près sur tous les points.


Les personnages charismatiques portés par un background fort ont laissé place à des protagonistes lisses, dont l'histoire personnelle est bien plus assenée à grands coups de dialogues graves et pompeux que distillée à travers le décor et les sous-entendus.
Les ambiances sont fades ; nous proposant de traverser des environnements quasi-vides de la moindre identité, on est baladé d'un lieu à l'autre dont on se dépêche de faire le tour pour interagir avec tout ce qu'il est possible. Confondant contemplation et lenteur, le jeu oblige le joueur à des instants suspendus tellement artificiels qu'ils viennent davantage casser le rythme que le ponctuer.
Quant à la bande originale, elle est tellement secondaire et inopérante que je mets au défi quiconque de s'en souvenir.


Mais le plus gros point faible du jeu provient incontestablement de son histoire. Non pas qu'elle soit totalement inintéressante (quoique ça serait à débattre), c'est surtout la façon dont elle est développée qui ruine toute immersion. Ne réussissant jamais à injecter de véritables enjeux, le scénario nous balade de conversation en conversation, toutes plus banales les unes que les autres, et dont les "choix" qui ponctuent très sporadiquement la progression semblent aussi inconséquents qu'inintéressants. En résulte une trèèèèèès longue balade dont la finalité est plus proche d'une saga de l'été de TF1 que d'un film à suspense.
Et ça n'est pas le gameplay qui viendra sauver l'affaire. L'unique mécanique "originale" de Tell Me Why consistant grosso modo à appuyer sur une touche pour voir se révéler devant nos yeux des souvenirs, à des points bien définis et signalés par le jeu.
Cette absence quasi-intégrale de challenge, que ça soit par l'exploration ou les choix moraux, finit par lasser, dès lors qu'on comprend que la proposition va être d'être le spectateur passif d'une histoire aux intrications franchement peu palpitantes.


Pour couronner le tout, Tell Me Why joue la carte du progressisme forcené à un niveau gênant. Qu'il s'agisse du personnage principal, Tyler, qui est un homme transgenre, du sidekick sympa, Michael, forcément gay et qui lui fait du rentre dedans, ou de tous les moments de malaise autour de la transidentité de Tyler avec des protagonistes qui ne l'ont plus vu depuis l'époque où il était une gamine, Tell Me Why enchaîne les appels du pied à la communauté LGBT+ sans jamais servir le moindre propos. Ca ne serait pas un problème si ces éléments étaient simplement secondaires et anecdotiques, contribuant ainsi à leur insertion sociale visible dans une jeu (ce que d'autres font remarquablement, coucou Naughty Dog). Sauf que Tell Me Why en fait clairement un élément à part entière de l'histoire, pour au final n'avoir rien du tout à dire ou raconter sur le sujet. Je ne peux pas m'empêcher de voir dans cette démarche un opportunisme assez sale de la part de Dontnod pour caresser dans le sens du poil ce qui est certainement une partie de sa communauté.


Pour autant, Tell Me Why n'est pas un mauvais jeu. Il a des intentions respectables, un fond de drame familial qui tente de raconter quelque chose de touchant, et une patte atypique propre aux productions de Dontnod. Mais largement en-deçà de ce qu'il a su proposer par le passé, et accablée par un manque d'intelligence flagrant, cette proposition fait tâche dans l'histoire du studio français.

ANOZER
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le 19 sept. 2020

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