We are such stuff
As dreams are made on,
— William Shakespeare's The Tempest


Ce n'est un secret pour personne que les jeux d'aventure ont toujours été produits en masse au Japon. Le genre a d'ailleurs mis un certain temps à sortir de l'archipel ; et encore, c'est bien plus souvent sous forme de fantrad que de localisation officielle qu'ils ne deviennent accessible aux joueurs occidentaux. Son public reste cependant relativement large, et n'a fait que s'élargir depuis ces dernières années. Il faut dire que les jeux d'aventure japonais forment véritablement un monde à part, visual novel comme textuels... même s'il ne s'agit pas là de nier la qualité de nombre de titres occidentaux, bien sûr, mais plutôt de souligner ce qui caractérise le jeu d'aventure comme il s'est développé au Japon. Son trait distinctif principal reste le style manga, étant donné qu'il s'agit là du style d'expression graphique populaire au Japon. C'est probablement en partie de cela que découle la relative absence de jeux se déroulant dans un contexte moins cartoonesque et plus réaliste, froid, terre-à-terre, "historique" ; il faut bien avouer que, entre les harems de moeblobs d'un Clannad et les péripéties cyberpunk d'un Snatcher, on est effectivement loin de l'univers d'un jeu comme Myst.

Doit-on en conclure que ce genre d'ambiance n'a pas d'audience pas au Japon ? Pas vraiment. Myst y a d'ailleurs été édité plusieurs fois (la version PlayStation est même sortie plus d'un an avant les autres, en 1995), et Kemco s'est chargé d'éditer les version Famicom des également cultes Déjà Vu et Uninvited d'ICOM Simulations à la fin des années 80. Cela dit, il faut bien avouer que c'est moins risqué (autant artistiquement que commercialement) de produire un jeu qui aura forcément sa niche d'otakus qu'un truc qui risque d'être un peu perçu comme "étranger" par rapport à ce qui marche en général. De fait, peu voire presque pas de studios japonais ne se sont lancés dans la production d'un jeu d'aventure qui sort de l'esthétique anime.

Ou peut-être que si ? En effet, il semblerait que Sony ait été soucieux de tenter d'introduire ce "genre" dans le marché Japonais. C'est pour cette raison qu'ils ont formé une équipe de développement pour créer un de ces jeux d'aventure "à l'occidentale" pour le public japonais. Constituée en partie de mecs issus de leur studio ARC Entertainment (The Granstream Saga, Arc the Lad II & III) et dirigée par un certain Takashi Kobayashi, elle accueille bon nombre de participants occidentaux regroupés sous le nom "Waterworks" (probablement un studio maintenu l'espace du jeu). C'est de cette initiative que THE BOOK OF WATERMARKS est né, en 1999, sur PlayStation et donc uniquement au Japon.

Le jeu s'ouvre sur une citation issue de la pièce La Tempête de William Shakespeare, sur laquelle le jeu semble (très) vaguement se baser. L'intrigue se dévoile effectivement de manière très concise dans la FMV d'intro qui suit... Hé oui, une FMV. En live action, qui plus est. Dans un jeu d'aventure japonais. Et avec un acteur américain, de surcroît ! C'est Jack Donner, qui a joué dans des séries comme Star Trek et Mission: Impossible ou encore dans le film J. Edgar plus récemment, qui est le narrateur de l'histoire. Et figurez-vous que... le jeu est entièrement en anglais ! Il n'y a pour ainsi dire pas de textes in-game, mais les FMV qui ponctuent votre progression sont toutes doublées (et sous-titrées en japonais). Pas besoin de traduction de quelque manière, donc ; le jeu est aussi jouable pour un japonais que pour un anglophone !

Le narrateur en question est Prospero, le Duc de Milan déchu par son frère usurpateur Antonio et exilé sur un île déserte. Selon la pièce, Prospero use du pouvoir magique de ses livres pour amener le conspirateur sur l'île et le punir ; se retrouvent aussi impliqués le Roi de Naples Alonso, complice du frère de Prospero, et son fils le Prince de Naples Ferdinand. Les personnages d'Antonio et d'Alonso sont cependant complètement absents ; vous jouez le rôle de Ferdinand, et vous explorez l'île de Ceres à la recherche des 13 tomes magiques de Prospero. Ce n'est par contre pas au cours du jeu en lui-même et de son environnement tout en CG et sans le moindre texte que vous découvrirez le scénario. Il n'y par ailleurs aucun développement psychologique des personnages, et Ferdinand reste tout à fait muet en se contentant de répondre à vos commandes. L'intérêt scénaristique du jeu repose plutôt dans le background historique et culturel de chacun des tomes expliqué au cours des FMV : Le thème principal de l'aventure reste la connaissance humaine, et Prospero vous parlera autant d'astrologie que de cuisine. Il y a plus d'une vingtaine de ces petits clips vidéo, et le jeu tient d'ailleurs sur 2 CD en conséquence.

Mais qu'en est-il du gameplay ? Il s'agit après tout de l'essentiel. Hé bien... Il faut bien dire qu'il n'a strictement rien d'exceptionnel. On sent cependant une très forte influence de Myst : À la manière de l'œuvre culte de Cyan, le jeu est constitué de plans fixes vus à la première personne. Ce qui le démarque dudit Myst, cependant, c'est que les déplacements sont eux animés (bien qu'automatisés contrairement à realMyst) ; et si c'est relativement mieux autant pour l'immersion que pour la maniabilité (vu l'absence de souris), ça rend aussi la progression assez lente. En effet, Ferdinand n'est pas pressé, et il prend bien son temps quand il est question de se déplacer. Ce n'est pas dramatique, mais ça peut être gonflant lorsqu'on a un certain chemin à parcourir. Les différentes commandes sont elles simples et efficaces : Les boutons multidirectionnels gauche et droit pour tourner sur soi-même, haut pour avancer ou se rapprocher d'un élément du décor et bas pour quitter cette vue rapprochée ; les quatre boutons pour les actions diverses (qui ont souvent le même effet, mais pas toujours) et ramasser des objets ; et la touche select pour sortir l'inventaire. Et le contenu du jeu est aussi un peu à l'image de ce panel d'actions simpliste...

L'aventure est effectivement linéaire, les énigmes sont plutôt classiques et la progression n'est pas forcément riche en rebondissements. Vu l'absence de texte, tout reste ancré dans le visuel, et c'est donc l'observation qui vous permettra de surmonter vos obstacles. Les puzzles ne sont pas spécialement durs, mais il est facile de se retrouver bloqué si on a pas bien exploré ses environs. La courbe de progression reste par ailleurs tout à fait régulière, avec un nouvel objet en début de chaque chapitre qui vous permettra de vous frayer un chemin à travers celui-ci. Même si le jeu n'est pas désagréable en lui-même, ça reste relativement fade et peu inventif. Trouver une clé, un objet à placer, une combinaison de lettres ou l'issue d'un labyrinthe, ce n'est pas vraiment du génie expérimental... C'est un peu dommage pour un jeu qui était censé amener une œuvre dans la veine de Myst au public japonais, ce dernier étant connu pour la complexité parfois traumatisante de ses énigmes. Ce qui est complètement à jeter, par contre, c'est le système de sauvegarde : Il n'y a qu'un point de sauvegarde sur toute l'île, et qui plus est seulement dans la partie de l'île du CD1... Heureusement, le jeu se boucle en quelques heures, donc vous n'en aurez peut-être même pas besoin.

Approchons-nous maintenant de ce qui est peut-être l'aspect le plus important du jeu étant donné son objectif : L'esthétique. En effet... Ni lycée pour fille, ni armada de mechas ici ! Et pas question de synthpop non plus... L'équipe occidentale s'est chargée d'apporter l'architecture méditerranéenne des immenses bibliothèques de l'île de Ceres. Quand on apprend qu'il s'agit de CG vieilles de plus de 10 ans, présentées en widescreen, on prend vite peur... et ce légitimement. Cela dit, si le jeu est évidemment dépassé graphiquement, ça reste franchement acceptable voire pas si mal que ça pour l'époque. Et si ça reste limité, on a parfois à de sympathiques décors, certainement moins dégueulasses que ceux de l'ancêtre Myst. Quant aux musiques, elles sont séparées en deux groupes distincts : Les tracks d'ambiance et les musiques originale en elle-même. Les sonorités ambiantes (qui ont toutes été produites par l'équipe japonaise) restent simples, avec des cris d'oiseaux à l'extérieur ou de soudains accords de violon et des échos dans les couloirs, mais elles sont crédibles et servent plutôt bien l'ambiance. L'OST en elle-même, qui joue lors des FMV, a elle par contre demandé une production bien plus poussée. En effet, pas mal d'artistes différents ont pris part à cette OST qui mélange des sonorités orchestrales avec un certain côté rock, et les vocaux ont même été contribués par Máire Brennan, célèbre chanteuse de folk irlandais ! Si les morceaux restent plutôt classiques eux aussi, on ne peut pas nier la qualité de leur production, et on ne s'attend pas vraiment à entendre ça dans un jeu comme celui-ci.

Au final, que penser de THE BOOK OF WATERMARKS ? Certes, ce n'est pas le jeu d'aventure du siècle, et il n'a rien de légendaire quand on le compare à une œuvre qui a fait l'histoire comme Myst. Mais il a au moins le mérite d'avoir été la concrétisation d'une volonté respectable de présenter au public japonais une œuvre différente issue d'un autre contexte ludo-culturel, et qui était en déphase avec la dominante anime qui forme le paysage du jeu d'aventure dans l'archipel, aussi excellents certains de ceux-là peuvent-ils être. Malheureusement, vu l'absence de réitération, ça n'a probablement pas super bien marché... Cela dit, la saga Kyle Hyde de CiNG sur Nintendo DS est un bon exemple moderne de combien le mélange de codes culturels peut donner de très bons résultats ; sans oublier que le visual novel Katawa Shoujo, sorti en 2011, a été en grande partie développé par des Occidentaux. Le jeu d'aventure nous réserve sans le moindre doute encore bien des surprises !
lowenergyidol
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le 16 mai 2012

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