Note: les spoilers sont signalés

The Last of Us est sûrement le jeu que j'attendais le plus cette année (GTA V est tout juste derrière). Naughty Dog m'avait subjugué avec Uncharted, proposant une saga forte, renouant avec ce que j'aime dans un jeu: une histoire présente, des personnages attachants et un fun indéniable. En plus de ça, le jeu se targue d'avoir des liens très forts avec la saga Indiana Jones (le troisième Uncharted emprunte d'ailleurs énormément de concepts au troisième film). The Last of Us était une sorte de consécration, un message pour prouver au monde qu'avec une écriture aussi poussée que sur les Uncharted (c'est le cas, mais dans un contexte différent) dans un univers beaucoup plus pessimiste, les Dogs pouvaient aussi faire quelque chose d'adulte avec une nouvelle licence. Un pari risqué. Mais devinez quoi? Le pari est gagné, et haut la main!

Le jeu débute 20 ans après le début d'une épidémie qui a ravagé le monde en transformant les infectés en des monstres sanguinaires traquant les survivants. Joel fait partie de ceux-là, et va devoir traverser les Etats-Unis pour protéger une adolescente de 14 ans nommée Ellie. Je n'en dis pas plus, le jeu réserve bien des surprises. C'est d'ailleurs une des forces du jeu au niveau de son histoire. Celle-ci n'est pas follement originale, on a vu beaucoup de films qui tirait partie de cet univers et qui en faisait un road movie (Le Livre d'Eli, La Route, Les Fils de l'Homme) et dans les jeux, on a déja parlé du lien qui unissait un homme et une fille, et même très récemment avec le jeu Walking Dead. Pour autant, l'approche choisie par Naught Dog, même si elle peut paraître classique, est extrêmement maligne. Le jeu se sert de son approche narrative et de son gameplay pour véhiculer un lien spécial entre les deux héros. Mais j'y reviendrais.

Le gameplay quand à lui, est un jeu d'aventure en apparence assez proche d'Uncharted. Il utilise le même moteur graphique, se sert de structure similaires (accompagnement d'alliés, interactions avec le décor pour progresser), mais ça s'arrête là. Là où Uncharted allait dans le vif du sujet en laissant Drake se dépatouiller avec des dizaines d'ennemis (le jeu ne s'embaraissait pas de réalisme, et c'est une des raisons de son efficacité), TLOU est beaucoup plus lent, posé, viscéral. J'avoue avoir été surpris par la première fois (et même les suivantes) où j'ai affronté des ennemis humains. C'est assez rare de voir à quel point les ennemis sont aussi humains: ils stressent autant que nous, ils parlent entre eux pour tenter de nous contourner, et nous supplient même de les épargner lorsqu'on les cible après les avoir mis à terre au corps à corps. Les adversaires ont une vraie émotion dans leur gestuelle et leur comportement, et c'est d'autant plus dur que Joel est là pour survivre, et nous aussi. Les ennemis font mal, les attaques au corps à corps sont incroyablement violent et épique, et cela donne des joutes assez incroyables pour ma part.

J'ai rarement été aussi stressé lorsque je me réfugiais derrière un comptoir de bar, avec deux balles dans le flingue tandis que deux ennemis approchaient de chaque côté, ou encore quand j'étrangles un gars en priant le ciel pour que son pote juste à côté ne me voit pas et me flingue avec son fusil à pompe. On doit réagir très vite, se préparer au combat, créer des objets pour se défendre coûte que coûte et être aussi agressif tout en réfléchissant à la structure des niveaux (parfait, au passage) afin de contourner les ennemis qui peuvent ne plus vous voir et vous chercher au dernier endroit connu (à la Splinter Cell Conviction). Je crois que c'est la première fois dans un jeu que je vérifiais entre chaque combat que chaque arme en ma possession était bien chargé avant d'avancer, c'est pour dire. Tout ça couplée à l'envie de continuer à voyager, de découvrir ce qui va leur arriver et à protéger cette gamine contre tous ces dingues, le jeu possède une force de caractère, un enjeu réellement présent qui nous pousse à avancer.

On a les phases avec les infectés, qui sont tout aussi stressantes, puisque certaines de ces saletés (les Claqueurs) qui sont aveugles se repèrent au bruit que vous faites et vous tuent instantanément s'ils vous chopent. Associés aux infectés classiques qui eux, peuvent vous voir et poussent un cri de tous les diables dès que vous êtes repérés, ce qui attirent évidemment tous les Claqueurs du coin. De vraies saloperies, qui nécessitent beaucoup de discrétion et de doigté. On soulève dès à présent LE point noir du jeu (pour moi le seul qui a une vraie importance), l'IA des allié qui, même s'ils se démmerdent pas mal en combat, ont tendance à courir un peu partout dans les phases d'infiltration. Et vu que le jeu a décidé de les rendre invisibles pour éviter les bourdes, ça casse parfois l'immersion. Enfin ça ne m'a pas gêné outre mesure, mais le problème est présent. Le jeu enchaîne les moments de pause avec des séquences d'infiltrations ou d'actions. Certains reprochent au jeu de trop segmenter les phases de jeu, personnellement, l'ambiance est tellement bonne que ce rythme fonctionne parfaitement. Surtout que le jeu monte la sauce au fur et à mesure et se révèle totalement après deux-trois heures de jeu.

D'une manière générale, le gameplay n'a rien de transcendant. C'est même un parfait condensé des meilleurs choses qu'on a vues sur cette génération de console: de l'action mâtiné d'infiltration dans des décors ouverts permettant plusieurs approches (Splinter Cell, Batman), du shoot troisième personne derrière des abris mâtiné de corps à corps (Uncharted, Gears of War). Sauf que ce qu'il fait, il le fait foutrement bien. De part la tension éprouvée lors des combats, de l'ambiance sonore absolument superbe (jamais vu des pétoires avec autant de patate) grâce à une spatialisation étonnante et un level design de fou furieux, allié à des graphismes absolument ahurissants, qui réussissent à ne pas paraître ridicule quelques jours seulement après l'E3 et sa next gen. Le jeu n'est pas open world, il est même assez linéaire, mais en profite pour mettre le joueur face à une histoire fort qu'il serait difficile de raconter dans un monde plus ouvert (State of Decay sorti récemment est une preuve supplémentaire). Le jeu ne propose pas de chasser, ne prend pas en compte la faim des personnages, il raconte une histoire. Certains le voient comme un défaut, mais c'est tellement rare de voir un jeu accorder autant de place à l'histoire qu'au gameplay que ça fait plaisir à voir. Et ça permet de s'attacher encore plus aux héros en leur accordant une liberté sur le joueur durant les cinématiques ou leurs dialogues, ça permet de se sentir proches d'eux, de les accompagner au quotidien.

Le jeu ne possède jamais de pauses (pas de loading, pas de menus annexes). Le fait de laisser le jeu continuer pendant les confections ou autre actions avec son sac à dos est un moyen de renforcer cet aspect "au coeur du jeu", près des personnages, sans interrompre l'action par des menus tout bêtes. A chaque instant, les personnages vivent, parlent, réagissent. Jamais le jeu ne viendra interrompre ça, et c'est indirectement une de ses grandes forces. D'autres jeux comme Dead Space tentent aussi cette approche, mais les loadings sont quand même présents. C'est cet état d'alerte constant qui fait que le jeu propose quelque chose d'aussi fort, d'aussi réussi. Une plongée sans concession dans un monde en ruines en proie au désespoir d'une humanité qui a déja laissé tomber depuis un moment.







DEBUT SPOILER

Mais la force du jeu, ce sont ces deux personnages. The Last of Us vous place dans la peau de Joel, un homme bourru, vieux, qui n'a plus la force de ses vingt ans et ça se sent dans le gameplay (il n'est pas invulnérable, titube à chaque bastos reçue et n'est pas aussi agile qu'un Nate). Lorsqu'on prend le contrôle de Joel, c'est un homme brisé, rompu par la survie, et les retrouvailles avec son frère font bien comprendre que c'est un homme qui est mué par le désir de survivre, coûte que coûte, quitte à emporter ceux qui sont sur son passage. L'intro est une claque monumentale et sert de point de départ à Joel. La mort de sa fille superbement mis en scène est directe, froide et régira toute la relation avec Ellie. Le prologue en lui-même est une véritable merveille de mise en scène, laissant le contrôle au joueur juste ce qu'il faut (le timing des premières minutes où l'on dirige la petite est ahurissant), et se permet même d'avoir sa séquence Les fils de l'Homme lorsqu'elle est dans la voiture, en jouant de façon intelligente le concept du plan séquence qui fonctionnait dans le film.

Vingt ans après, on constate l'effet du côté impitoyable de ce nouveau monde. Lorsque Tess abat froidement Robert au début du jeu, Joel regardant sans broncher, j'ai été surpris par ce côté "couillu" de Naughty Dog, et qui continue par la suite. Le mannichéisme a complètement disparu. Il reste seulement ceux qui volent les autres qui doivent alors se défendre. Joel n'est plus qu'un survivant, et sa rencontre avec Ellie va changer pas mal de choses. Mais l'écriture est maligne et l'histoire ne lance pas la relation trop facilement. Au début, Ellie n'est qu'un paquet à livrer. Lorsque Tess meurt, laissant Ellie à Joel, celui-ci n'y voit qu'un poids, qui pourrait le faire tuer si elle ne réagit pas comme il faut. C'est assez fou de voir à quel point on s'attache à la même vitesse que Joel à Ellie. Ce n'est jamais de façon directe, et ce sont ces petits dialogues qui font sourire et qui font doucement grandir la relation entre les deux héros. C'est cette discussion dans la voiture après la ville de Bill, c'est la découverte de ce comic qui envahit de bonheur Ellie qui fonctionne, c'est cette scène éblouissante avec les girafes où l'on peut laisser Joel et Ellie regarder le paysage le temps qu'on veut. Naughty Dog prend son temps, installe ses personnages, et joue à merveille avec cette relation, mais jamais dans la facilité.

Lorsque les deux commencent peu à peu à se connaître, le jeu nous met face à Henry et son frère Sam, un des passages forts du jeu. Faisant écho directement à Joel et Ellie, les deux nous accompagneront un petit moment, Ellie trouvant un compagnon de jeu, Joel un ami, même si les débuts sont difficiles et que la survie reprend vite le dessus (lorsque Henry abandonne Joel dans une situation dangereuse). Joel se rend compte du lien fort entre Henry et Sam et s'y retrouve avec Ellie. D'ailleurs, le jeu continue ses petits moments de grâce lorsque Ellie et Sam s'émerveillent devant le camion de glaces ou jouent aux fléchettes dans une maison abandonnée. Ce sont ces petits scénettes qui font une sacré différence dans le jeu. Après tous ces combats poignants et viscéraux, ce léger répit permet d'approfondir les personnages, de les rendre humain. D'avoir ce petit soubresaut de joie un court instant. Avant ce douloureux retour à la réalité lorsque Henry doit abattre Sam en train de se transformer avant de retourner l'arme contre lui. Joel, comme pour Tess, enferme ce souvenir à jamais et le fait savoir à Ellie. Une scène forte, bien écrite et qui est incroyablement douloureuse après les avoir accompagnés aussi longtemps. Une manière de montrer ce qui arriverait à Joel s'il arriverait quelque chose à Ellie, et de montrer à quel point elle est importante pour lui, et pour le joueur.

Leur relation deviendra encore plus tendu dans l'acte Automne, où Joel arrivera à ce qu'il semble être la fin du chemin, et qui permettra aux deux personnages de mettre cartes sur table. Ellie a trouvé un ami proche, un être cher, mais ne veut pas être la remplaçante de la fille de Joel. Celui-ci fera un choix décisif, à travers des scènes cinématiques superbement interprétés et la présence de son frère, unique témoin du drame qui a eu lieu vingt ans plus tôt. C'est ce mélange qui donne cette particularité au jeu: utiliser le gameplay pour renforcer les liens entre les personnages. Ce sont les séquences où Ellie découvre le monde d'autrefois, où Joel doit compter sur la petite lorsqu'il est gravement blessé.C'est tout l'acte Hiver, absolument mémorable, où l'on prend le contrôle d'Ellie pendant que Joel souffre le martyr et que celle-ci se fait capturer par des cannibales et son chef, David, personnage ignoble dans tous les sens du termes. Diriger le personnage d'Ellie puis intervertir les rôles avec Joel permet d'avoir de véritables enjeux. Ce n'est plus seulement désamorcer des bombes, sécuriser une zone ou sauver un simple personnage, c'est partir à la rescousse du personnage qui vous a accompagné depuis tout ce temps, qui vous a redonné goût à la vie humaine, qui était avec vous dans les pires moments et qui vous a protégé au péril de sa vie quand vous étiez blessé. La fin de cet acte marquera Ellie à jamais et scellera définitivement la relation entre les deux personnages ainsi que leur destin dans le dernier acte.

Ce passage final à l'hôpital est la conclusion de toute cette aventure. Marlène ne laisse pas le choix à Joel: pour sauver l'humanité, Ellie doit être sacrifiée afin de produire le vaccin qui pourrait sauver tout le monde. Joel réagit de manière impulsive et on le comprend: après toute cette aventure, après avoir passé un an près d'elle en la protégeant, il ne peut pas laisser faire ça et la libère de l'hôpital. La toute fin avec Marlène est fantastique, car elle insiste sur un point qu'on oublie souvent dans les jeux et même dans les histoires en général: Joel est humain, égoïste, déchirée. Son choix avait déja été fait depuis longtemps, c'est pourquoi Naughty Dog ne donne pas le choix au joueur: sauver l'humanité ne sauvera pas l'être qu'il chérit le plus à ce moment, Ellie. Il décide de sacrifier l'humanité pour la sauver, pour vivre auprès d'elle. Il se fiche de ce monde qu'il a appris à connaître durant vingt ans et décide même de cacher ça à Ellie et d'emporter avec lui cette vérité pour pouvoir vivre avec elle. Une fin pragmatique, ni bonne ni mauvaise, bien écrite et résolument ambigüe, à l'image du jeu tout entier.

C'est d'ailleurs un choix de Naughty Dog. Le jeu ne vous fait pas vivre votre histoire mais celle de Joel qui rencontre Ellie. Durant tout le jeu, Naughty Dog opère un contrôle permanent pour vous guider là où ils veulent, même pendant le gameplay. C'est d'ailleurs assez flippant de voir comment on réussit à trouver son chemin sans repères de gameplay mais juste en surlignant subtilement le chemin à prendre, ce qui rend le jeu moins linéaire qu'un Uncharted par exemple, une illusion de liberté. Ils vont même à créer des pièces ou des endroits où il n'y a rien à faire juste pour renforcer cette crédibilité. Et ils continuent à nous guider même sur les personnages. Si le jeu nous oblige à tuer les chirurgiens lors de la séquence finale pour pouvoir sauver Ellie, c'est uniquement parce que le jeu considère que vous êtes dans le même état d'esprit que Joel à ce moment: prêt à tout pour sauver l'adolescente. Ça marche ou ça marche pas, toujours est-il que c'est représentatif de la volonté d'en faire avant tout un jeu narratif. Sans perdre la notion de jeu.

FIN SPOILER







The Last of Us est un jeu somme. Un jeu sur l'humanité, sur deux personnages que tout oppose mais que tout va rapprocher. Un jeu sur un homme qui a tout perdu mais qui va croire, l'espace d'un an dans le jeu, que tout n'est pas perdu. Quand on voit l'univers impitoyable du jeu, avec toutes ces personnes prêt à tout pour survivre, on veut plus que tout protéger cette adolescente touchante et vraie. Et Naughty Dog nous propose une aventure incroyable, un vrai road movie comme j'en ai rarement vécu dans ma vie de joueur, où je retrouve ce plaisir de jeu allié à une histoire prenante, ce plaisir de poser la manette durant une cinématique pour profiter des personnages sans être perturbé par un QTE. Où l'on prend son temps à explorer les décors, où les personnages parlent sans cesse pour faire part de leur état d'âme, pour prouver qu'ils sont bien vivants et qu'ils ont des choses à raconter. Je ne parlerai pas du multi, malgré le fait qu'il soit aussi super chouette grâce à quelques idées de leveling très bien senties, mais déja rien que pour le solo, le jeu est une sacré pépite qui ne faut surtout pas louper. Une véritable aventure où je me suis senti plus proche d'Ellie que d'Elizabeth dans Infinite qui était déja très bien. Une épopée dramatique qui marquera le joueur grâce à des séquences fortes, un jeu qui a tout compris de sa place dans le média et qui réussi à utiliser toutes les ficelles propre au jeu vidéo pour proposer une aventure riche et intense. Un jeu réfléchi, marquant, malin, intelligent et subtil. Et je dis chapeau Naughty Dog.
Cronos
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le 24 juin 2013

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