Se construire doucement pour mieux nous toucher

Mes premières impressions concernant The Last of US furent ... mitigées. Pas facile d'avoir entre les mains un jeu adulé, encensé par la critique, 4ème au Top 111 au moment où j'écris ces lignes, et ayant reçu la distinction de jeu de la génération sur le site Gamekult. Pas facile ... On en attend tout, et donc nécessairement trop. On se demande comment cette expérience va transcender notre vision du jeu vidéo, quelle est la recette de cette révolution, comment cette vérité va nous frapper au visage durant l'ensemble de notre aventure. Et l'on est pris entre cette impatience de découvrir un titre si "parfait" et la crainte d'être déçu au cas où l'on ne percevrait pas cette "perfection".

C'est le corollaire de jouer aux jeux plus d'un an après leur sortie. On les vit non pas avec un esprit vierge et réceptif, mais dans la continuité de tout ce qu'on en a entendu : un espèce de jeu réel après un jeu par procuration ...

Pourtant, le prologue de l'aventure se montre à la hauteur des attentes : une mise en scène terriblement efficace, avec suffisamment de technique pour nous en mettre un peu dans les mirettes, mais qui ne verse pas non plus dans le too much. En tout cas, une introduction - pour le coup - parfaite pour nous immerger dans l'aventure et nous faire découvrir un monde ravagé par une infection inconnue transformant tout le monde en zombie (et oui, encore une à classer dans notre répertoire des infections à zombie), tendance agressif.

On entre ensuite dans le corps véritable de l'aventure. Le pitch est maintenant bien connu : vous incarnez Joel, l'un des survivants de l'épidémie, dans une des zones de quarantaine aménagées suite aux événements, et qui va se retrouver contraint à un éprouvant voyage en compagnie d'une jeune fille qu'il apprendra à connaître : Ellie.

Le voyage ne sera pas aisé, car il faudra composer avec différentes races d'infectés (trois pour être précis), qui nécessiteront chacun une approche différente. Mais comme vous l'apprendrez dès le début du jeu, la plus grande menace pour votre survie (ainsi que pour la survie de la civilisation telle que nous la connaissons) ne sera pas nécessairement les infectés mais bien les autres survivants de ce monde de désespoir, de destruction et de folie.

Impression mitigée, donc (et oui, je reprends mon idées d'il y a quelques lignes), car passé ce prologue percutant, on se retrouve dans une aventure sympathique mais finalement plutôt convenue et assez lente. Alors oui, c'est beau, mais j'avoue avoir été relativement insensible au fameux volet technique du plus beau jeu de la génération ; ça doit être une question de sensibilité ... En tout cas, The Last of Us parvient assez bien à nous retranscrire un monde apocalyptique, revenu à son état sauvage, et où l'on ressent encore, 20 ans plus tard, les stigmates de ces premières heures de l'infection, celle où le monde a sombré dans le chaos.

Et c'est à ce moment de ce texte que je vais vous parler de la comparaison qui a souvent été faite entre ce titre et Uncharted. Elle n'est selon moi pas tout à fait pertinente (vous le comprendrez plus loin), mais parfaitement compréhensible. En effet, dans la première partie de l'aventure, on retrouve un rythme assez comparable aux pérégrinations de Nathan Drake. La faute, principalement, au système d'autosave du jeu, qui permet de redémarrer très rapidement après chaque échec. On avance, on avance, sans vraiment appréhender nos éventuelles erreurs vu que, si on clamse, on ne revient que quelques minutes en arrière.

Du coup, on enchaîne assez facilement les différentes phases de jeu qui ont le défaut d'être particulièrement identifiables : phase de narration avec dialogues entre les personnages, puis phases d'exploration tout court avec séance de crafting pour fabriquer quelques objets utiles, puis séance d'infiltration/action, avec des infectés, puis avec des pilleurs, puis de nouveau un passage narratif, ...

Dans la série des petits reproches, on pourra également mentionner la faible variation des phases action / infiltration qui laissent souvent peu de choix dans leur mise en oeuvre. Au départ, on se retrouve bien souvent à devoir trouver l'ordre dans lequel on va tuer avec discrétion nos adversaires, un peu comme dans un puzzle game, puis dans la deuxième moitié, une fois les armes amassées, beaucoup de scènes se finissent en gun fight, avec des ennemis qui ne tentent pas plus que ça de vous piéger dans les coins ou de vous prendre à revers (je pense principalement au dernier chapitre du jeu où j'ai surtout fait du snipe).

Mais The Last of Us est au final trompeur, un peu comme ce texte qui ressemble jusqu'à ce moment précis à un réquisitoire morose d'un joueur passablement déçu par un jeu finalement commun. Car oui ! The Last of Us est un jeu qui prend son temps. Qui enchaîne des phases de jeu finalement déjà connues. Mais si le jeu prend son temps, au point que l'on en vient à se demander ce qui a entraîner de telles éloges, c'est parce que, à côté, il prend le temps de poser un décors cohérent et imprégnant, et d'y développer un jeu de personnage bien plus subtile et complexe qu'il n'y paraît.

A l'exemple de ce que l'on a pu éprouver dans la Saison 1 de The Walking Dead, le jeu se construit autour du rapport entre Joel et Ellie. Ils se trouvent, s'observent, se rapprochent, se lient. Cette relation, au départ un peu forcée, se retrouve marquée du sceau d'un destin souvent bien sombre, notamment pour cette jeune fille qui nous paraîtra si mure à la fin du jeu ...

Et c'est l'une des grandes forces de The Last of Us : parvenir, ce qui est finalement pas si commun dans les jeux vidéos, notamment les AAA modernes, à construire une vraie émotion et une relation étroite entre le joueur et les personnages qu'il incarne. Le dernier quart du jeu révèle parfaitement, selon moi, cette situation. On est saisi par le monde qui nous entoure : le chaos, la solitude des personnages, ces hommes devenus hostiles - bien plus que les infectés - nous sautent à la figure.

On soulignera tout particulièrement la qualité de réalisation des personnages du jeu, et à titre principal le duo de premiers rôles. Les traits d'Ellie sont ceux d'une jeunesse brisée dans un monde livré à lui-même alors que ceux de Joel représentent un homme endurci par la survie. La très grande qualité des doublages est également à mettre en avant.

(C'est ici que vous trouverez le seul petit spoil du jeu)
Vers la fin de l'aventure, j'ai été particulièrement marqué par la scène des girafes. D'habitude, on tend l’élastique avant de le lâcher. Dans TLoU, c'est l'inverse : on a ici un moment où l'on relâche complètement la pression, un moment d'innocence, de contemplation, qui viendra ensuite se briser sur une fin finalement assez ouverte, mais acéré comme les lames que vous utiliserez sur les infectés.
(Fin du paragraphe)

Et c'est en conclusion cela que l'on retiendra de The Last of Us : d'avoir été bien plus qu'une version zombie de Uncharted, d'être - plus que le jeu de la génération - une espèce de synthèse de tout ce qui a été tendance en matière de jeu vidéo pendant la 7ème génération. Le gameplay est sympathique mais finalement déjà vu, le contexte est connu et reconnu, mais c'est surtout la densité des personnages, la montée en puissance du titre tout au long de l'aventure, l'attachement qu'on a envers les personnages, et une conclusion brillante, qui laisseront dans nos mémoires un souvenir fort de ce moment de jeu vidéo.

Avec le temps, je me dirais peut-être que j'ai surnoté The Last of Us. Car il n'y a finalement pas grand chose de révolutionnaire dans ce titre. Mais il réussit, notamment à la fin, l'essentiel : nous toucher !

Créée

le 15 janv. 2014

Modifiée

le 25 févr. 2014

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Red13

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