La tendance actuelle du jeu vidéo consiste de plus en plus souvent à nous abreuver de sempiternelles suites de sagas dites à succès afin de prendre des risques plus mesurés et d'amortir les investissements pour cause de climat financier moribond. Pourtant, si un quatrième Uncharted aurait pu s'assurer de solides ventes avant même sa sortie, Naughty Dog nous a pris à contre-pied en se penchant sur The Last of Us, un titre tout aussi orienté action mais à la narration plus aboutie, plus intimiste, et s'appuyant une maîtrise technique qui force le superlatif. Réussir à émouvoir et rendre beau un monde post-apocalyptique gangrené par un virus était une gageure que l'équipe de Santa Monica réussit, disons-le de suite, brillamment. Mais malgré toutes ces qualités, le dernier-né est-il touché par la grâce divine en tout point ? Presque. En route pour Boston !

Noyeux Joel

Passer le cap de Nathan Drake n'aurait pas été aisé pour tout le monde, tant l'aventurier aux aventures explosives a marqué de son empreinte l'histoire de la PlayStation 3. Mais si le virage peut sembler moins radical qu'il n'y parait avec The Last of Us – jeu d'action/aventure oblige – il est plus marqué qu'on pourrait le penser grâce à un savant mélange des genres parfaitement équilibré entre action, infiltration, survival horror et, enfin, de bonnes notions de survie. En transcendant chacun de ces genres, on obtient un produit final complet, celui de la maturité. C'est un terme qui reviendra certainement souvent au cours de ce test, mais il n'en reste pas moins ô combien corrélatif de l'expérience proposée par Naughty Dog.

Il serait impensable de trop en dire sur le scénario du soft, c'est pourquoi nous nous contenterons du strict minimum. L'histoire débute en 2013 à Austin où l'on découvre un trentenaire, Joel, et sa fille, Sarah. On apprend qu'une infection due à un champignon, le Cordyceps, touche de plus en plus de monde et rend les personnes atteintes promptes à viser la jugulaire des vôtres. Décidant de quitter la ville à l'aide de son frère Tommy, père et fille auront quelques soucis. Après ce prologue qui ne laissera personne indifférent, nous voilà à Boston... 20 ans plus tard. La pandémie a touché presque toute la population, forçant les gens à vivre sous le joug d'une loi martiale et à tenter de survivre tant bien que mal entre les miliciens, les Lucioles, et les infectés.

A une époque où l'on veut mettre en avant l'émotion dans le jeu vidéo, parfois même en ne basant sa communication que sur cet aspect, les concepteurs nous proposent leurs histoires avec plus ou moins de brio. The Last of Us, c'est une fable contre-utopique où le trait n'est jamais forcé, où la maturité transpire des pores de chaque texture, de chaque dialogue, de chaque poil de barbe de Joel et de chaque syllabe d'Ellie. La force narrative y est aussi pour quelque chose et on voit que tout est assumé du début jusqu'à la fin, brisant des codes établis, la bienséance de certaines pensées, nous laissant toujours réfléchir sur certaines situations rencontrées dans le jeu et ce plus encore lorsque l'on coupe la console et que l'on vaque à d'autres occupations. Cette réflexion sur des cas de conscience prouve une fois de plus, sans extrapolation aucune, toute la portée que peut avoir la narration quasi-parfaite de l'aventure. On pourra peut-être y voir du Walking Dead, mais être l'acteur des événements renforce évidemment l'attrait et les traits.

Ellie portée

Techniquement, The Last of Us nous prouve à quel point la PS3 est une sinécure pour Naughty Dog. Maîtrisée grâce à Nathan Drake, on la découvre capable de nous proposer des environnements encore plus réalistes, des effets de lumière à tomber et une animation au poil, sans aucun ralentissement même lorsque l'action s'emballe. On peut pester sur un aliasing parfois présent ou sur des textures tardant parfois à s'afficher, mais exception faite de ces "détails", c'est une superbe composition que nous ont concoctée les petites mains de l'équipe de Christophe Balestra. On a rarement vu une barbe aussi bien modélisée, qualité il est vrai rehaussée par un excellent boulot de motion capture ou bien encore des yeux plein de vie et de pensées. En toute honnêteté, le rendu est bien plus frappant que ne le fut Heavy Rain en son temps, ce qui n'est pas pour nous déplaire nous qui aimons briser le quatrième mur du médium sur lequel nous passons du temps. Mentionnons également les environnements qui ne révolutionnent peut-être pas l'idée que l'on se fait d'un monde post-apocalyptique, mais qui ont le mérite de ne pas forcément tomber dans des couloirs trop dirigistes (des niveaux le sont, c'est sûr, mais ce n'est pas la norme). S'il faut bien avouer que l'on ne s'affranchit pas totalement des nombreuses références "pandémiques" de ces dernières années comme The Walking Dead sur ses multiples supports ou bien encore I Am a Legend, toujours est-il que The Last of Us garde une identité qui lui est propre grâce au fourmillement de détails dans la ville, les égouts et autres lieux visités.

Lors des premières heures de jeu, ce qui nous frappe d'emblée, ce n'est pas un ennemi, mais l'impression de lourdeur de notre héros. Exit le véloce et presque élastique Nathan Drake, ici nous avons un personnage qui porte le poids de ses années sur le dos et qui se meut comme vous et moi. Cela pourra désarçonner de prime abord, mais une fois de plus, la cohérence l'emporte. De cette inertie et des munitions limitées naît la nécessité de ne pas forcément privilégier l'action frontale, mais d'opter le plus souvent pour l'infiltration. Pour ce faire, Joel dispose d'un sens développé de détection des bruits environnants qui permet, grâce à une pression sur l'une des gâchettes, de voir si des ennemis sont en mouvement, si des claqueurs rôdent et donc s'il vaut mieux envisager un chemin alternatif. Selon le mode de difficulté choisi, ce sens sera plus ou moins efficace, et on vous conseille grandement un niveau élevé afin de profiter d'une immersion totale et de ne pas céder à la facilité que pourrait proposer une aventure trop télécommandée. De la même manière, le NewGame+, présent et jouable uniquement dans le mode de difficulté terminé initialement - sera une excellente occasion pour un second run plus poussé, encore plus sensé grâce à la double lecture des (mêmes) dialogues des héros mais restant avant tout divertissant. Ceci dit, grâce au système de couverture, au déplacement plus ou moins lent selon l'inclinaison du stick et à l'attaque discrète dans le dos, l'approche silencieuse n'en reste pas moins pleine d'action, de tension et d'intérêt.

L'une des particularités de Joel, c'est qu'il porte littéralement tout son attirail (et fait remarquable, il est visible) sur son dos et dans son sac. Adepte de la survie, il a appris au fil du temps à se muer en MacGyver de l'impossible, profitant des objets trouvés ici et là pour fabriquer quelque chose de plus en adéquation avec son propre intérêt, par exemple en couplant deux objets ensemble. Ainsi, il pourra confectionner des bandages qui le soigneront en cas de pépin, se fabriquer des surins pour tuer par derrière silencieusement, des bombes pour "étaler" la galerie ou pour se frayer un chemin dans un nuage de poussière et enfin il dégotera des "outils" pour améliorer ses armes lorsqu'il croisera un établi dans l'environnement, fait loin d'être récurrent.

De la même manière, Joel dispose d'un arbre de compétences que l'on peut améliorer grâce à l'absorption de gélules glanées dans le jeu et le plus souvent bien cachées dans les recoins. Celles-ci permettent de doper quelques-unes des capacités du barbu. Par exemple, se soigner prend du temps et il faut souvent bien juger l'hostilité des environs afin d'être sûr que l'on peut se bander sans risque. Il est ainsi possible de réduire le temps nécessaire au soin. Dans la même lignée, on peut augmenter la portée de l'ouïe afin de détecter plus efficacement les ennemis. On peut aussi logiquement augmenter sa barre de vie, réduire le recul causé par les tirs, etc. On est loin des RPG nippons, c'est évident, mais le but recherché n'est indéniablement pas le même.

Stalker Texas Ranger

Si le Cordyceps est un champignon mutagène, ne vous attendez cependant pas à retrouver des ennemis complètement “fou fou” comme dans un Resident Evil ou autre. On reste malgré tout dans quelque chose voulant garder la cohérence prônée depuis le début. Ainsi, le bestiaire se divise en cinq catégories : les survivants "lambda" non touchés, les coureurs, jeunes infectés véloces, les rôdeurs, infectés capables de vous suivre à la vue et à la trace, les claqueurs n'ayant plus la vue et se ruant vers le moindre bruit aussi léger soit-il, et enfin, les plus résistants, les colosses aux pieds d'argile mais au reste du corps recouvert de spores qu'il faut éliminer avant de pouvoir les tuer. Les claqueurs sont, malgré la perte du sens de la vision, ceux qui demeurent le plus à craindre car il est impossible de prime abord de les attaquer de front si l'on n'a aucune arme à feu. Capables de se jeter sur votre jugulaire en moins de temps qu'il n'en faut pour épeler votre prénom, ils seront le plus souvent ceux qui seront à l'origine de vos game over.

Cela nous amène à un point crucial du titre : l'intelligence artificielle. Indubitablement l'aspect le moins cohérent du titre de Naughty Dog. Lors de vos moments de cache-cache avec les ennemis, infectés ou non, il n'est pas rare que vous soyez détecté dès lors que vous sortez une fraction de seconde votre petite tête de votre terrier de fortune. Par contre, Ellie – ou tout autre PNJ – aura tout loisir de se balader ni vu ni connu alors qu'elle se trouve face à l'ennemi. C'est vraiment très flagrant et on regrette que cela n'ait pas été peaufiné car cela casse terriblement l'immersion. On aurait par exemple aimé qu'elle soit attaquée ou même juste poursuivie histoire de rajouter un peu de piment et de vraisemblance. Là, on se demande juste si on n'a pas affaire à un personnage mort que personne d'autre que nous ne voit. Frustrant !
Dans la même veine, vous disposez d'une lampe torche activable avec une pression sur R3. Là aussi, personne ne détectera le rai lumineux et les uns comme les autres continueront leur chemin sans vérifier ce qu'il se passe. C'est d'autant plus dommage que le reste est assez bien ficelé puisqu'il n'est pas rare de voir des adversaires nous contourner pour attaquer par derrière.

Boucler dans son intégralité The Last of Us vous prendra une bonne quinzaine d'heures dans son mode de difficulté basique. Précisons que cela inclut une progression lente, à la recherche de tous les outils, toutes les armes, quelques morts bien senties, mais surtout une aventure riche qui peut se revivre grâce au NewGame+. En effet, doubler cette durée de vie est assuré pour qui aime les défis puisque terminer le jeu en mode Survivant ne sera pas forcément une mince affaire et il faudra avoir le coeur accroché à chaque coin de couloir et ne pas avoir peur de se faire surprendre par les infectés. Cardiaques s'abstenir.

Qu'est-ce qu'un lépreux qui joue à la guitare ? Un steak haché !

Si l'on ne pourra qu'être happé par la qualité de la bande sonore de Gustavo Santaoalla (Lord of War, 21 grammes, Le secret de Brokeback Mountain) pleine de nuances dans les cordes et les vents, les dialogues et le doublage de très haute volée méritent également quelques louanges. Teintés de naturel – Ellie qui se met à siffler ou chanter de temps en temps – on est agréablement surpris par le ton très mature adopté, qui ne tombe pas obligatoirement dans le bienséant ou le cliché. Que ce soit en VO ou en VF – très bonne au demeurant -, il y a un véritable effort fourni sur le jeu d'acteur. En revanche, de nombreux soucis de spatialisation sont à mettre au débit de la piste DTS qui souffre aussi de temps de latence, si bien que l'on est obligés de mettre les sous-titres pour ne rien manquer. Même la mise à jour supposée corriger le problème ne l'a pas totalement résolu et le recours au texte reste indispensable. Dommage pour ceux qui sont équipés et qui auraient aimé profiter d'une immersion aussi bien narrative et visuelle que sonore.

Indispensable au cahier des charges en 2013, le mode multijoueur pourra séduire ceux qui apprécient l'action "mais pas trop". En effet, on reste loin du frag à tout-va sur des FPS ou même sur Uncharted 3 par exemple. Offrant la possibilité d'incarner soit les Survivants soit les Lucioles (un groupuscule faisant partie intégrante du scénario du solo), c'est sur l'une des sept maps tirées de l'aventure que vous en découdrez. On y retrouve tous les ingrédients du solo, à savoir le crafting, la survie et l'infiltration, sans oublier les munitions très limitées, et il vous faudra oeuvrer pour votre clan pendant 12 semaines avant de pouvoir changer de bord, chaque partie comptant comme une journée. Vous progresserez à chaque fin de journée en fonction de vos résultats, permettant d'augmenter vos aptitudes, votre réputation et votre collecte de trophées par la même occasion. Ce mode s'avère divertissant mais si l'on part dans l'optique que The Last of Us est avant toute chose un titre solo, le multijoueur n'en reste qu'un cadeau Bonux, certes de qualité, mais au final loin d'être aussi primordial que pour un FPS par exemple. Cela a au moins le mérite de rajouter de la durée de vie à la production de Naughy Dog.

Verdict : 9/10

Chant du cygne de la PlayStation 3 pour les uns, déclaration d'amour pour les autres, The Last of Us tutoie la perfection dans tous les domaines qu'il aborde. Grâce à une narration naturelle, mature, immersive et un gameplay qui mélange avec brio les genres, le titre nous emporte dans un tourbillon de plaisir qu'on ne peut et ne doit manquer. Rarement un jeu aura été aussi proche de la note parfaite et s'il ne la touche que du bout des doigts, nous imputerons la faute à une I.A. perfectible qui nous fait parfois décrocher. Mais ce n'est presque qu'un petit détail tant l'on se délecte de l'aventure en compagnie d'un binôme qui transpire la sincérité et l'empathie et qui nous fait aimer le jeu vidéo pour ce qu'il a de plus beau. Entre maîtrise technique et artistique, The Last of Us est peut-être déjà le premier jeu de la prochaine génération de console. De quoi forcer au superlatif.

On a aimé :

- pratiquement tout
- l'ambiance à tout point de vue
- le binôme Ellie/Joel
- la qualité narrative
- les émotions procurées
- le gameplay
- la musique
- pratiquement tout, on l'a déjà dit ?

On n'a pas aimé :

- l'I.A., parfois
- ne pas savoir apprendre à nager à Ellie

On s'en tape :

- du multi, même s'il est bien fun
Angel
10
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Créée

le 28 juin 2013

Modifiée

le 22 juil. 2013

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Angel

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