Attention, la critique sera sujette à de nombreux spoils tant la teneur narrative du titre est partie intégrante de son appréciation.
Avant-propos
Balayons d’abord tout la polémique abjecte qui a entouré la sortie du titre, celle-ci étant issue d’une pensée archaïque d’une partie de la communauté qui n’a par ailleurs pas joué au jeu, et qui se sentent attaqués par la mention d’une sexualité qui n’est pas la leur, quand bien même celle-ci n’aurait aucun impact sur le scénario et son message. C’est atterrant, mais pas si surprenant, ça se saurait si l’ouverture d’esprit des masses était acquise.
Si The Last of Us premier du nom a fait date dans l’histoire du medium, ce n’est pas par sa thématique zombie déjà surexploitée en 2013, mais bien une maestria certaine dans sa narration, sa réalisation, et l’immersion qu’il parvenait à proposer. Et force est de constater que sept ans plus tard, ce sont ces mêmes points qui font la force du soft. Ici on vous parlera de vengeance (là encore, on est en terrain connu), mais on le fait bien, et on parvient à profiter des spécificités du jeu vidéo pour étayer le tout (nous y reviendrons plus tard). Dans ce sens, cette Part II est dans la droite lignée de son aîné, et on y retrouvera les mêmes forces et faiblesses qu’à l’époque.
Ce qui frappe d’abord lorsque l’on lance le jeu, c’est bien qu’il est magnifique. D’emblée on est subjugué par les décors, avec cette balade à cheval au soleil couchant dans la peau de Joel. Et les différents décors et ambiances que l’on retrouvera au cours du jeu seront de la même trempe, des pluies de Seattle à la chaleur suffocante de Santa Barbara, de l’épouvante d’un hôpital délabré aux neiges du Wyoming, on se surprendra souvent à traverser ces décors au pas pour mieux s’en imprégner. Et si le mot d’ordre de la duologie est immersion, les graphismes en sont un des porte-étendards. Si l’on adjoint une techniques irréprochable (un bug d’affichage de trois secondes sur trente heures de jeu) à ce splendide écrin, il devient difficile de ne pas se plonger corps et âmes dans cet univers.
Là où le bât blesse, comme pour dans le premier opus, c’est sur le gameplay. On notera pas mal de petites améliorations, comme le fait de pouvoir s’allonger, passer dans les hautes herbes, ou de manière générale un lissage plus accentué sur toutes les actions que l’on effectuera. De même, la présence de zone plus ouverte, dont une proche du Madagascar d’Uncharted 4 ou du hub central de Lost Legacy, est des plus appréciables et le plaisir de l’exploration de toutes ces petites zones annexes n’en est que accru. Tout ça c’est bien, mais ça n’empêche pas une certaine redondance des boucles de gameplays : zones d’infectés - zone calme - zone humaine - fuite - zone calme - zone humaine - zone infectée - et ainsi de suite pendant trente heures. Une certaine lassitude peut se faire sentir. Heureusement, celle-ci est en partie contrebalancée par un level design efficace, et encore une fois : l’immersion. Car entre les différentes ambiances que l’on traversera, l’ajout de dialogues entre les ennemis les humanisant (on y reviendra également plus tard) et les sifflements oppressants des Scars, on est une fois de plus plongé en plein dedans. Cela n’enlève pas la répétitivité des séquences, et l’étirement parfois trop long de certains chapitres, mais ça en atténue néanmoins l’impact dans l’expérience globale.
Viens alors le gros morceau : le scénario. Attention, ça va spoiler sec. La vengeance, c’est un thème qu’on connaît bien : des justiciers du Far West à la trilogie de Park Chan-Wook, des tragédies grecques à Dumas, de God of War à Assassin’s Creed, on a été bercé dedans, et on nous a bien fait comprendre que c’était pas forcément sain. Mais tout comme Ellie, on la veut cette vengeance, vu la brutalité avec laquelle Joel a été mis à mort par ces étrangers venus de nulle part. Non pas qu’on ne s’y attendait pas, ça lui pendait au nez vu le nombre d’exactions qu’il a pu commettre par le passé: massacre des Fireflies, des années de banditisme à assassiner et voler des innocents sur les routes avec son frère, et tout autre groupe autonome passé de vie à trépas sous nos armes dans le premier jeu. C’était la seule conclusion logique pour son arc narratif.
Donc cette envie de vengeance dans le sang, on la vit autant qu’Ellie, et chaque Wolf que l’on abattra nous fera jubiler. Et ce jusqu’à ce point pivot dans le récit où l’on nous fait prendre les commandes d’Abby, après que celle-ci ai sommairement abattu Jesse auquel on commençait tout juste à s’attacher. Si la première réaction est épidermique : “mais j’en veux pas d’elle, on va pas me faire revivre le même schéma de son parcours sur ces quatre derniers jours”, on en vient rapidement à s’attacher à elle et à sa bande d’ex Fireflies. Ces types que l’on a abattu à la chaîne sans se soucier de leurs motivations, de leurs sentiments. C’est d’ailleurs ici que prend tout son sens le fait que les ennemis s’écrie de peine lorsqu’ils voient tomber leurs camarades lors des phases de shoot, hélant leur nom dans une panique non feinte “Oh no! He got Mary! You bastard”. Le point d’orgue du revers de cette médaille, c’est sans doute la façon dont on nous fait tuer Alice, ce berger allemand tout innocent avec lequel on jouera dans l’aquarium en sachant très bien qu’elle finira sous le couteau d’Ellie la furie sanguinaire.
Jouer les deux côtés donc, c’est culotté et c’est bien amené. Ca bouleverse la narration dans le bon sens. Et si l’épilogue est quelques peu superflu (on aurait pu s’arrêter à la ferme, ça aurait bien fonctionné aussi), il mène à la conclusion inévitable que céder à la vengeance, c’est risquer de s’auto-consumer. Un peu bateau certes, mais épique dans la mise en scène, et efficace de par la profondeur que les différents personnages ont pu acquérir au cours de l’aventure.
The Last of Us 2 donc, c’est avant tout une immersion via un scénario peu original dans son fond mais savamment traité dans sa forme, une écriture des personnages toujours aussi efficace et une plastique irréprochable. Il n’atteindra malheureusement pas la perfection pour les mêmes raisons que son illustre aîné, son gameplay, qui s’il est lui aussi immersif et assez bien fignolé, ne sera pas assez varié. Le jeu reste néanmoins une oeuvre majeur dans le paysage vidéoludique de par la maturité avec laquelle il traite les thèmes abordés, et la relative prise de risque qu’il a montré.