Spoiler : je ne peux pas aborder en long, en large et en travers les forces et faiblesses du jeu sans spoiler, alors si vous n'avez pas fait le jeu, revenez une fois que vous l'aurez terminé.
Comme je l'ai écrit dans ma critique de The Last of Us Part I le mois dernier, il était difficile de proposer une histoire plus basique et simple que ce que le premier opus a pu offrir. The Last of Us Part II est l'exact opposé, je vois difficilement comment ils auraient pu aboutir à un meilleur résultat que ce qu'ils ont réussi à proposer. D'un jeu sans grande profondeur qui enchaînait les niveaux avec un intérêt scénaristique limité, on est passé à un jeu qui a une histoire à raconter, des personnages à explorer et une approche narrative subversive.
L'une des grandes forces du jeu, c'est sa volonté de montrer les deux faces de tout ce qui est évoqué. Contrairement à la plupart des jeux où on tue les méchants parce qu'ils sont méchants et sans aucun aspect sympathique, ici il y a eu un très gros travail mené pour montrer que même nos adversaires ne sont pas juste des vilains pas beaux, qu'ils ont aussi une vie, des difficultés, etc. Il y a cette espèce d'humanisation constante de tous les personnages du jeu qui est assez remarquable.
Ce concept s'applique aussi bien aux personnages principaux qu'aux simples PNJ. Après cette scène au début du jeu qui lance l'aventure en nous présentant Abby comme une espèce de monstre sanguinaire, le jeu va passer plusieurs heures à tenter de déconstruire cette image en présentant tout ce qu'il y a en arrière-plan de cette première impression. De la mort de son père et de ses amis à ses phobies en passant par son affection pour Lev, le jeu tente de renverser notre perception du personnage pour montrer que même un acte barbare peut venir d'un individu lambda. Et inversement, même un personnage qu'on adore comme Ellie peut faire des actes horribles.
Il en va de même des PNJ qui ont un nom, qui font partie d'un groupe, qui discutent de leur vie, etc. On passe de scènes qui nous présentent ces groupes de l'extérieur, avec toute la violence qu'ils déploient pour nous tuer, à des passages où on est amené à voir l'envers du décor, c'est-à-dire leurs bases de l'intérieur, pleines d'enfants et de familles, avec des écoles, des plantations, des lieux communautaires et autres. Je n'ai pas souvenir d'avoir vu beaucoup de jeux mettre autant en avant cette dualité et ce renversement constant des impressions qu'on peut avoir de tel ou tel personnage, de tel ou tel groupe.
Cette approche n'est toutefois pas parfaite ni tout à fait subtile. Quand on traverse le camp des WLF et que le jeu nous fait passer devant un groupe d'enfants entrant en classe ou nous fait jouer avec les chiens qui essayaient de nous bouffer deux heures plus tôt, l'intention est évidente.
Je suis tenté de dire que la construction du jeu qui découle de cette idée de tout montrer en vient à être un défaut. Quand on arrive à cette scène où Abby et Ellie se font face dans le théâtre et qu'on atteint ce point de tension qu'on attendait depuis le début de l'histoire, mais que le jeu décide de mettre en pause la narration pour passer au point de vue d'Abby quatre ans en arrière, c'est très anticlimatique et ça casse grandement le rythme de l'histoire et l'investissement du joueur, ou tout du moins, le mien.
Pendant toute la première partie du jeu, j'étais complètement investi dans l'histoire, à mon grand étonnement puisque j'avais trouvé l'histoire du premier jeu très décevante et ne m'attendais pas à grand-chose de celui-ci. J'ai adoré l'écriture des personnages, notamment Ellie qui me semble très subtile et poignante dans ce qu'elle vit et dans sa souffrance. Puis arrive cette fameuse scène qui nous fait basculer quatre ans en arrière. Même si le plot twist et le lien avec la fin du premier jeu fonctionnent bien, lorsque j'ai compris qu'on doit recommencer "depuis le début" les trois jours à Seattle du point de vue d'Abby, c'est-à-dire recommencer à améliorer l'équipement et les compétences, je ne cache pas que j'ai eu un peu la flemme et que ça m'a cassé dans mon élan. Au lieu de me dire "Ah, chouette, on va voir les coulisses des événements qu'Ellie n'a pas pu voir", je me disais plutôt "Vite, vite, faisons rapido ce passage pour revenir à la scène dans le théâtre". Sauf que "ce passage", c'est plusieurs heures de jeu et que ça semble ne jamais finir. Globalement, j'ai trouvé la partie avec Abby trop longue. Ça s'étire avec trop de niveaux à explorer. Le passage où on doit aller à l'hôpital pour trouver de l'équipement est tellement long, j'avais l'impression que ça n'allait jamais finir. Je comprends ce qu'ils ont voulu faire scénaristiquement, montrer sa phobie des hauteurs, créer du lien avec Lev, etc., mais je pense qu'on aurait pu avoir le même résultat avec des niveaux plus courts.
Précédemment, j'ai dit que le jeu tente de déconstruire l'image de méchante qu'Abby peut avoir en montrant le reste de sa personnalité, malheureusement, c'est une tentative, et je ne pense pas que le jeu parvienne à sauver l'image qu'on en a. Je n'ai pas encore regardé les discussions de la communauté, mais du peu que j'en ai vu, je n'ai pas eu l'impression qu'Abby est un personnage particulièrement apprécié parmi les joueurs et joueuses. Il faut dire que la tâche n'était pas simple. Créer de la sympathie pour celle qui tue un personnage adoré par la communauté en nous la faisant incarner pendant quelques heures alors qu'on a passé bien plus de temps avec Ellie au cours des deux jeux, c'était un objectif presque impossible à atteindre. D'autant plus que, malgré ce qu'Abby a vécu, je pense que les Fireflies, son père, et elle-même par extension, ont eu tort et que Joel avait raison. Les Fireflies ont menti à Ellie et l'ont manipulée, ils ont voulu la tuer sans même lui dire. Quand bien même ça aurait été pour sauver l'humanité, ça reste un meurtre, et Joel était justifié de vouloir la défendre. La seule option acceptable aurait été de prévenir Ellie des conséquences de l'opération et de la laisser choisir. Abby a donc voulu venger son meurtrier de père, qu'importe les bonnes intentions de ce dernier, ce qui rend sa vengeance injustifiable. C'est surtout ça qui m'a empêché d'apprécier ce personnage, elle est dans une logique erronée où elle essaie de venger quelqu'un qui a voulu tuer une adolescente.
Au-delà de ça, si je devais chipoter, je dirais que, comme le premier jeu, on retrouve quelques coïncidences qui rendent la narration un peu facile. Par exemple, le fait qu'Abby tombe sur Tommy et Joel, par pur hasard, exactement au moment où elle cherchait ce dernier. Où qu'Ellie oublie sa carte à l'aquarium, le seul objet qui pouvait permettre à Abby de savoir où était Ellie.
Un autre défaut scénaristique que j'ai trouvé dommage, c'est la relation entre Dina et Ellie. J'ai rarement vu un couple avoir aussi peu d'alchimie. À aucun moment je n'avais l'impression de voir deux personnages dans une relation amoureuse. Ça me donnait plus l'impression d'être une espèce de flirt adolescent lors d'un séjour en village vacances qu'une réelle histoire d'amour. C'est sans doute l'un des aspects du jeu le plus raté.
Autrement, comme pour le premier jeu, ce second opus est techniquement incroyable, encore plus que le premier opus même. Les animations des visages et la motion capture sont de loin les meilleures que j'ai pu voir dans un jeu. La moindre subtilité faciale est retranscrite dans les visages, ce qui donne bien plus de force aux différentes scènes. Les environnements sont exceptionnels et ultra détaillés. Je me suis plusieurs fois arrêté au milieu des niveaux juste pour regarder ce qui m'entourait. C'est extrêmement plaisant de progresser dans les différents environnements et de voir tous les détails qui ont été créés. Le travail effectué est titanesque et c'est surement difficile pour des personnes en dehors de l'industrie de réaliser ce que ça représente en termes d'accomplissement. C'est également l'un des jeux pour lesquels j'ai eu le moins de bugs depuis très longtemps (globalement aucun en réalité, si on omet l'IA aux fraises des ennemis et des alliés), ce qui est assez notable pour être évoqué.
Il faut aussi mentionner la performance des différents acteurs qui est là aussi phénoménale. C'est quand même incroyable qu'on puisse avoir des jeux comme ça avec des acteurs qui portent aussi bien les personnages qu'ils incarnent et les histoires qu'ils racontent. La fin du jeu ne fonctionnerait pas aussi bien sans la qualité de la performance des acteurs.
Niveau gameplay, on retrouve plus ou moins la même formule que pour le premier opus, pas grand-chose à évoquer ici si ce n'est que les niveaux m'ont semblé un peu plus intéressants dans leur conception, ce qui permet des approches plus variées. J'ai juste détesté l'ajout des chiens, qui me semblent trop puissants dans leur mécanique lorsqu'on joue en infiltration. Certains passages qui nécessitent d'être réactif sont aussi assez pénibles du fait que le personnage qu'on contrôle est assez lourd. Par contre, j'ai trouvé que le jeu était plus généreux en termes de loot, même si on retrouve ce problème d'être obligé de fouiller de fond en comble les décors pour ne rien rater, ce qui fait qu'on doit longer les murs constamment pour vérifier qu'on ne loupe rien.
En partant d'une expérience décevante et pas particulièrement incroyable avec le premier jeu, Naughty Dog a réussi à renverser complètement la tendance et à créer une expérience marquante, pleine de bonnes idées, impressionnante sur bien des points, et qui offre une histoire qui donne de la dimension au premier opus en développant ce dilemme final qui était trop vite évoqué, ce qui n'était franchement pas donné. Ce second épisode est tellement plus développé que, rétrospectivement, le premier jeu fait plus office d'introduction que d'épisode à part entière. Si ce n'était pour le problème de rythme avec Abby et la tâche impossible de rendre cette dernière véritablement sympathique, le jeu aurait pour le coup été un véritable chef d’œuvre. Ça n'en reste pas moins un excellent jeu, ce qui est déjà pas si mal.