A force d'idéaliser, on risque de tomber de haut. Je le reconnais, j'ai une foi infaillible en Hironobu Sakaguchi mais malgré cela, je suis pleinement conscient qu'à l'instar du cinéma, le jeu vidéo est une oeuvre collective dont la capacité à fonctionner comme un tout cohérent dépend du talent des multiples artistes/techniciens qui officient à son développement. Comme pour Lost Odyssey, il est ainsi inutile ici de s'attendre à un "produit" infaillible. The Last Story s'ancre toutefois parfaitement dans les thématiques récurrentes de son "director". L'amitié, la solidarité mais aussi et surtout la peur de l'inconnu, le statut des armes de destruction massive et la césure sociale, géographique ou culturelle qui divise les hommes, sont au coeur du jeu.

En occident, nous incarnons Zael (Elza dans la version japonaise si je ne m'abuse), un personnage qui cumule les problèmes... de conception. Design médiocre (ce front !), naïveté exaspérante, background cliché (orphelin) et pleureuse avec ça ! La rencontre avec ce cher Zael n'est vraiment pas facile à digérer, mais son importance au sein de l'univers du jeu est dans un premier temps toute relative, ce qui m'a amené à capitaliser de la sympathie pour les personnages secondaires dont la synergie transparaît rapidement et n'a pas manqué de m'enthousiasmer (même en version anglaise imposée pour le doublage). Ainsi, si les personnages n'ont pas une très grande valeur narrative pris au cas par cas, ils fonctionnent très efficacement à l'échelle du groupe et c'est là l'essentiel.

L'intrigue quant à elle, est certainement le gros point noir du jeu. Extrêmement prévisible, il n'est pas rare d'attendre pendant 3 heures qu'un évènement que l'on avait anticipé se réalise, à la surprise générale. Le découpage très explicite (pour ne pas dire didactique) des cinématiques et l'intervention régulière d'un narrateur venant faire le point sur la situation empêchent aussi le joueur d'avoir le moindre doute sur les évènements majeurs à venir. La surprise vient du rythme, plutôt frénétique une fois que l'on se lance dans un arc narratif se déroulant à l'extérieur de la ville. Il est ainsi possible de s'éloigner du confort de la cité, dont l'exploration est parfaitement libre, pendant plusieurs heures. Le joueur devient alors l'esclave de situations qui dépassent très clairement les protagonistes et qui les maintiennent constamment sous pressions pour notre plus grand plaisir (sadique). Je déplore toutefois que certaines ellipses improbables viennent perturber la cohérence du récit, mais c'est le plus souvent dans le but de fournir des variations d'environnement bienvenues (aussi bien dans le gameplay que dans la mise en scène), je vais donc éviter de trop m'en plaindre.

Venons-en au background qui est tissé très directement sur un matériau européen d'époque médiéval. Ajoutez à ce canevas quelques éléments fantastiques (essentiellement des créatures issues d'un bestiaire relativement classique, une civilisation humanoïde rivale et de la magie) et vous avez la brève mais assez juste description de l'univers dans lequel se déroule The Last Story. Si cela vous paraît plutôt banal, c'est normal ça l'est, mais la force du jeu réside dans l'échelle avec laquelle le joueur intervient sur l'environnement. L'île de Lazulis est un microcosme duquel on ne sort qu'épisodiquement et force est d'admettre qu'il est richement restitué. A l'image de Zael, permettons nous de raisonner un peu naïvement l'espace de quelques lignes. En moitié moins de temps qu'il n'en faut que dans, au hasard, FF XIII pour explorer un continent et une lune, nous avons dans The Last Story une petite île à peine trois fois plus grande que le mont Saint-Michel. Faiblesse ? Tout l'inverse, richesse. L'île regorge de détails insolites et de PNJ bavards qui nous convainquent rapidement que tout ce petit monde existe bel et bien, quelque part sur la galette, et que ce très cher Zael a bien des raisons de se sentir insignifiant dans ce microcosme pourtant bien rempli. D'une conversation anodine sur un banc public à la découverte exalté d'un grigri dans une ruelle, vous devriez vous retrouver dans des situations suffisamment variées pour que la magie prenne et, dès lors, vous fasse relativiser les écueils d'écriture. Ce qui ressort de ce traitement tout à fait singulier dans la ludographie de sieur Sakaguchi, c'est un thème qui a été très justement (de mon point de vue) esquissé dans Lost Odyssey, celui de l'expérience. Le rêve naïf de Zael de devenir un preux et noble chevalier n'est, au final, qu'une fantaisie issue de son propre manque d'expérience, de son caractère infantile. Comme jamais, l'évolution du personnage va être l'affaire de rencontres, de dialogues et d'erreurs (qui appartiennent au personnage et sur lesquels on ne peut hélas pas intervenir, The Last Story n'est pas Mass Effect). Le cocktail ne plaira pas à tout le monde, mais il a le bénéfice de laisser un large champ d'expérience au joueur lorsque celui-ci s'éloigne du carcan établi par la narration.

La relation game et play de The Last Story est donc très largement liée à son univers, les phases d'exploration/combat devant représenter tout juste 50% du temps de jeu global. Je n'irai pas par quatre chemin, j'ai été franchement séduit par le système d'affrontement. Les concepteurs ont eu la judicieuse idée d'altérer très fréquemment la composition du groupe de personnage indépendamment de la volonté du joueur, ce qui a pour résultat de présenter des affrontements variés et toujours parfaitement taillés pour le groupe, le tout dans un mode en temps réel et à la troisième personne (de 1 à 7 membres dans la party, sans compter les PNJs se joignant régulièrement à la bataille et pouvant avoir leur utilité). Contrairement à Xenoblade qui ne permet pas d'intervenir très souvent sur les commandes de ses alliés, la commande tactique de The Last Story se recharge très rapidement et permet même d'ordonner à ses personnages de se réfugier dans une zone de soin. Aussi, chaque lanceur de sort, lorsqu'il incante pleinement son spell offensif attitré, produit une zone d'effet qui une fois "dispersée" par une commande propre au personnage jouable a un effet spécifique sur les adversaires (feu: brise-armure, glace: chance de faire trébucher, sylvestre: silence...). A ces features inédites s'ajoute enfin la posture de menace attract/repulse instantanée de Zael. Tout ces éléments ont pour effet de rendre les combat à la fois dynamiques et tactiques, d'autant que la mobilité du personnage jouable est encouragé par des capacités d'interaction aux effets divers (et souvent nécessaires) avec l'environnement. Le jeu n'est en plus de cela pas spécialement punitif avec le joueur, si bien que vous ne devriez pas croiser l'écran de game over plus d'une ou deux fois, par accident, durant toute votre partie. Le plaisir du joueur vient de sa capacité à assimiler le plus rapidement possible la démarche tactique à opérer pour défaire les boss ou les groupes d'adversaire qui barrent votre route et à les appliquer dans la foulée. Il se dégage des affrontements un certain chaos quand la démarche adopté est inefficace, souligné par pléthore d'effets qui font parfois chuter radicalement le frame-rate (ça reste toujours jouable cela dit, cela ralenti juste l'action) mais aussi et surtout par la musique qui agit de façon dynamique selon la situation tactique du combat !

Nobuo Uematsu nous sert une bande originale très clairement différente de ce à quoi il nous a habitué, et j'estime que c'est pour le meilleur. Exit les bouclettes mélodiques, la majorité des thèmes du score s'avèrent davantage rythmiques et parfaitement en accord avec les situations. Ainsi, la musique ne domine jamais les environnements mais leur donne simplement une consistance, tout en justesse. Un travail remarquable a été abattu à ce niveau là, et je ne peux que vous encourager à modifier sensiblement les taquets sonores du jeu dans les options avant de vous lancer dans l'aventure tant les effets ont tendance à camoufler la pourtant parfaite symbiose atmosphérique qui se construit entre les compositions musicales, les environnements visuels et les situations des personnages. Concernant le main theme du jeu, il est intégré (assez maladroitement) dans l'univers diégétique à la façon de la Melody of life de Final Fantasy IX. On aime ou pas, mais je doute qu'elle restera dans les annales et ça n'est clairement pas là dessus qu'il faut s'arrêter lorsque l'on s'intéresse au traitement du son dans le jeu. Les bruitages et les interactions sonores quant à eux, n'ont vraisemblablement pas bénéficié du même soin. La quantité impressionnante de lignes de dialogues annexes doublées a vraisemblablement posé des soucis à l'équipe de développement qui a dû se résoudre à appliquer un simple système de zonage à courte portée autour des PNJs "contenant" une remarque doublée (il suffit de rester à moins de deux mètres d'un PNJ jusqu'à la fin de la diffusion de sa ligne de dialogue pour en profiter intégralement, si par malheur vous faites un pas de trop, sa voix disparaît sans sommation et vous devrez vous farcir à nouveau les premiers mots de sa remarque avant d'arriver au bout du discours... so much pour la cohérence, ça passait à l'époque du texte car on pouvait accélérer le défilement mais pour le coup ça fait bien cheap à l'heure du doublage.

Enfin quitte à parler de la technique qui fâche, visuellement s'il est loin d'être laid, c'est surtout dans sa faible variété colorimétrique que le jeu fait de la peine. Les environnements, en dehors de la map "sociale" du jeu, sont essentiellement designé pour fournir des affrontements intéressants. On leur pardonnera donc aisément leur austérité générale bien que certains lieux se prêtent davantage aux joutes tactiques (l'arène) que d'autres (les grottes notamment, auxquelles les développeurs ont ajouté des résidus de ruine pour justifier la configuration très élaboré des surfaces murales). Par soucis de spoil j'évite de parler des derniers environnements visités dans le jeu, mais sachez qu'il y a des petites trouvailles visuelles qui se marient bien avec le level design général du jeu, si bien que la map attitrée ressort très régulièrement dans les affrontements multijoueurs sur internet (anecdotiques mais non moins sympathiques et conviviaux).

The Last Story m'a surpris sur les fronts où je ne l'attendais pas, ce qui contrebalance sans aucun soucis ses écueils techniques et ses errances narratives. Il s'agit certainement de l'univers le plus cohérent développé par Hironobu Sakaguchi, ne laissez pas son apparente simplicité vous masquer son véritable potentiel.

P.S. Le jeu est très paramétrable dans ses options, et en complément à la remarque que j'ai pu faire dans le corps de mon texte sur les bruitages, je conseille vivement de désactiver l'attaque-auto qui rend les choses un peu moins exaltantes.

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le 27 févr. 2012

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PekJB

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