J'aime la boîte d'A Link to the Past. Parce qu'elle n'est pas insolente, elle ne cherche pas à péter les yeux et à vendre des promesses. C'est un carton rectangulaire couleur sépia tirée vers l'or. Ça donne le cachet d'un poussiéreux et vieux bouquin légendaire, plein de richesses et qui ne sera jamais oublié. Un jour, mes 26 ans passés, j'ai retrouvé ce carton devenu virtuel. La cartouche aux mille rubis est devenue bits et octets. Je sors ma Super Nintendo Mini, le regard d'un adulte qui n'a pas encore oublié cette plaine d'Hyrule, il y a maintenant 15 ans. Je voulais regarder dans ce miroir de l'enfance et vérifier à quel point ce mythe est resté intact. Un lien vers le passé.
Le Triangle d'Or est un appât du Mal depuis la nuit des temps, l'ultime pouvoir qui dort au sommet du monde. Ces morceaux de Toblerone doré sont la manifestation physique des déesses créatrices. Des Dragon Balls à trois segments. Un doigt posé peut alors détruire le monde, le changer en jardin d'Eden ou en désert aride baigné dans les tonnerres. La moindre volonté livrée sur un plateau d'or. Et comme tout le monde aime le Toblerone, il n'est pas étonnant de voir venir de nombreux vilains affamés de pouvoir. Les cochons aiment le chocolat, Ganon ne pouvait que s'inviter à la fête. Sous les traits du mage noir Agahnim (Agahnim étant la forme miroir de Ganon dans le Light World), il décida de frapper à la porte du château d'Hyrule sans crier gare. Le plan? Digne du porc qu'est le détenteur de la Triforce de la Force: on stalke de jeunes filles descendantes de grands mages et on les enferme au cachot. L'affreux Agahnim se charge ensuite de les faire disparaître sans laisser de trace, attendant le jour où "son maître" Ganon ouvrira la brèche entre le royaume d'Hyrule et la Monde d'Or, là où ce dernier patiente la bave au museau. La Triforce complète, il la tient enfin dans ses pattes. Jamais Ganon, éternel détenteur de la Triforce de la Force, ne fut aussi puissant que dans cet épisode (canoniquement parlant hein). Ce qu'il a fait à la Terre Dorée, c'est ce fameux choc dont se souviennent de nombreux joueurs encore aujourd'hui.
J'ai infiltré les caves d'un château, couru le long de vertes étendues, nagé dans un lac habité de proto Zoras, survécu à un désert gouverné par les vautours, rencontré les gens méfiants de Cocorico, fini engouffré dans une forêt où l'orientation se jouait de moi, grimpé une immense montagne qui jetait son ombre sur tout le royaume d'Hyrule. Je pensais avoir enfin mis un terme aux complots d'Agahnim. Soudain, l'écran divague, un bug? Un son strident et... C'est elle! La Terre d'Or! On s'attendait aux crédits, on nous donne un nouveau monde à explorer. Trois donjons d'Hyrule (quatre si l'on compte les douves du château au début de l'aventure) contre HUIT dispersés dans ce monde Ganonisé. Neuf pardon, le dernier étant un véritable télescope sur le monde, avec un nombre d'étages s'élevant à huit. Récapitulons: A Link to the Past est le Zelda possédant la plus grande collection de donjons de la saga, un buffet de treize donjons!
Ganon a dû poser tous ses doigts gras sur la Triforce pour avoir autant ralenti Link. Un véritable diplômé d'architecture, assez ingénieux je dois dire. Il n'y a en vérité qu'une seule tache sur les treize donjons du jeu, cette même et unique tache décriée par les joueurs de tout horizon. Et si vous en êtes sorti indemne, je suis certain que vous pensez à la même chose que moi. La patinoire. Le Palais de la Glace. La croix directionnelle se gravera sur vos mains, les ampoules suivront. Le sol de ce terrain de jeu brise tout les sans-fautes accumulés jusque-là. Le donjon est empilé sur de nombreux étages, chacun lié aux autres par soit: des escaliers impossibles à emprunter du premier coup, la glisse forçant Link à se placer au centre même du sprite. Soit par des trous dont la chute vous placera immédiatement dans un piège. Un stalfos passera souvent vous souhaiter bonjour. Et si par malheur vous aviez oublié de cogner un interrupteur trois étages au-dessus, rebelote. Quant aux autres palais et forts ennemis, la qualité est là et elle vous suivra jusqu'au face à face final avec le détenteur de la Triforce. Même celui du Village des Bandits ne m'a pas déplu. Gros plus pour la Tour de Ganon, très compacte et au rythme soutenu. Le Bourbier de la Souffrance, claustrophobique mais maîtrisé. La Forêt des Squelettes, où l'on alterne entre zones souterraines et la forêt du dessus.
Cet or forgé par Miyamoto, Tezuka et Kondo à la musique, nous vient tout droit de l'an 1991. La frise chronologique a fait depuis un bond de quelques décennies. Et c'est en abattant ma dernière flèche d'argent sur le coeur de Ganon que cette image m'est revenue. La même que le jeune moi a ressenti il y a quelques Hyrules passés. A Link to the Past est la bible du savoir faire de Nintendo. En ce jour du 21 novembre 1991, le potentiel de la boîte nippone a explosé comme jamais. Ces quelques zéniths de créativité n'arrivent qu'une fois par génération de console, mais nous parlons de la Super NES, l'une des sept merveilles du monde des jeux vidéo. Plus tard, un certain Ocarina of Time ramassera les miettes d'idées, de grosses miettes pour monter son game design. Que ce soit le système d'inventaire optimisé, la dualité des deux Links / mondes, l'humanisation de Ganon devenu Ganondorf... Nintendo avait déjà mis au monde l'open world avec le premier Zelda. Ici, Nintendo surpasse son épisode fondateur en proposant deux mondes! La topographie a pris des protéines, quadrillée par zones précises et toujours différentes. Le grand nombre de mobs variés souligne l’authenticité des régions. Les passages Light / Dark World sont bien placés et permettent des petites folies avec les Quarts de Cœur. Ce miroir entre les mondes a fini par me faire écrire ce texte. Est-ce qu'il m'a transporté au bon endroit, dans cet Hyrule mythique m'ayant fasciné dans ma jeunesse?
Rien n'a changé. Au contraire, plus qu'un monument doré, c'est en platine que j'érigerait A Link to the Past. L'Ocarina du Temps n'existe pas encore, mais en me replaçant en l'an 2020, j'ai pu noter quelques mécaniques marquées par l'âge. Prenons l'épée, à la maîtrise perdue entre la croix directionnelle et l'hitbox des soldats ennemis. Dans le cas des chevaliers de l'armée d'Agahnim, leurs lames déforment encore plus la zone d'effets de l'arme de Link. À l'aube de l'aventure, l'épée léguée par l'oncle du héros jouit d'une portée au diamètre proche de Link lui-même. Un deuxième Link en face en quelque sorte. La Master Sword allongera cette portée d'attaque, et les deux niveaux d'amélioration suivants rajouteront quelques pixels. Un guerrier ennemi porte toujours une lame voire une lance à la main droite. Ce qui fait que l'arme du héros rebondira au contact de celle-ci, repoussant Link par dessus. Là où ça pêche, c'est que placer l'hylien au bon angle pour frapper le soldats n'est pas chose aisée. Cette rustique croix de directionnelle n'aidant pas. La Triforce de l'ergonomie n'est pas puissante. Le recul causé par le choc des frappes rend les combats très mobiles, mais le chaos n'est jamais loin. Il suffit d’atterrir les pieds dans une fosse bondée de monstres. Quand Link se prend un tacle ennemi, il recule et bénéficie de deux secondes d’invincibilité. Maintenant, imaginez-vous pris de chaque côté, un coup ennemi repoussant le joueur, Link repoussant les vilains, les frames d'invincibilité qui casseront le rythme des coups dès qu'elles prendront fin, et l'hitbox capricieuse pour couronner le bal. Un véritable chemin de croix (directionnelle). Le temps passé a fait hélas des siennes. Mais je doute que le stick de déplacement aurait changé quelque chose aux combats. Les touches R et L? Dans un monde idéal, le joueur aurait pu les assigner aux objets, donnant à Link l'accès à trois bibelots différents sans passer par l'écran de pause. Mais non, un seul item à la fois. Nintendo le savait. Ce n'est qu'à l'épisode suivant qu'il corrigea le tir. Oh, et les chutes de fps: n'essayez pas de cogner l'arbre au pied de la Montagne de la Mort. Une nuée d'abeilles attaquerons le bonhomme et le processeur de la console, causant une chute d'images par seconde spectaculaire. Ces misérables taches n'entravent en rien le plaisir du jeu, je dirais même qu'elles rendent les combats imprévisibles et de facto intéressants!
Ce sont les grands qui écrivent l'histoire. En s'étant perdu dans son jardin devenu pixels, Miyamoto a légué une légende perpétuée jusqu'aujourd'hui. Un elfe hurlant au moindre effort physique, un porc capé avide de pouvoir, une princesse éternellement enlevée génération après génération, et la grande Triforce, la clé de voûte du Tout. Retrouver le Triangle d'Or sur une boîte est le signe d'un jeu grandiose. Cette couleur sied à merveille à cette Odyssée japonaise. Nous sommes en 2020, le mythe ne s'est jamais effrité. Il grandi d'année en année, de console en console, de joueur en joueur. Zelda est la licence alpha du jeu vidéo. Le reflet de la réalité m'appelle. Je dépose un marque-page sur ce chapitre divin, me promettant d'y revenir un jour.