Peut-être un des plus beaux pixel art noir et blanc qu'il m'ait été donné de voir dans le jeu vidéo, tout simplement. Le jeu se déroule de façon extrêmement linéaire, comme pourraient l'être un walking sim dans un couloir ou un visual novel mais sans aucune voix ni écrits. On y suivra une poignée de personnages anthropomorphes (corps, gestes et habitudes humaines avec têtes d'autres animaux ici) dans leur vie de tous les jours, sur quatre chapitres, au gré de thèmes assez classiques comme la famille ou encore le boulot, ce dernier tenant même une place assez centrale ici. Je défie d'ailleurs quiconque de jouer au jeu sorti.e d'une journée de taf de merde, je crois que c'est tout simplement impossible !


L'attrait principal du jeu tient en ce qu'il s'est construit conjointement avec un album complet de 24 pistes composé et interprété par un même groupe dont j'ai oublié le nom : une voix féminine - toujours la même - chantant de façon très douce, accompagnée d'une musique pop-folk (guitare/banjo, piano, batterie, synthé et autres) qui ne plaira pas à tout le monde, c'est le moins qu'on puisse dire. Autant le lancer tout net, si je loue et apprécie le concept et, je tiens à le dire, ne trouve pas que ce style musical arrache autant les oreilles qu'une horrible K-pop ou un free jazz incompréhensible, j'ai eu l'impression de parcourir le jeu avec la bande-son répétée d'une pub pour une compagnie aérienne essayant de nous graver dans le crâne l'image d'un avion au dessus des nuages. Pour rester dans la réclame, il y a aussi cette scène pourtant rigolote d'un enfant élan jouant dans la neige mais dont la chanson qui l'accompagne, chantant mollement "Today we can be who we are. Let's see what we can create", rappelle une pub spécialisée pour les mômes, type Playdo, mais sans deuxième degré pour éviter le gros ridicule qui tâche. La piètre qualité de l'écriture des paroles me ferait d'ailleurs presque apprécier le fait que je ne sois pas totalement bilingue. Seule une piste m'aura interpellé, dans une scène de métro, où le rythme des chants est éclaté par une batterie qui se barre en sucette : dommage pour ma pomme, c'est la piste la plus courte du jeu !


Les actions du joueur sont donc minimes et ma première sensation a été que, si musicalité il y a, j'aurais apprécié qu'on me demande d'agir sur le rythme, plus de synesthésie. Mais on comprend bien vite qu'en plus de ne pas être un jeu de rythme, "The Longest road" est plus finaud que ça. Sans que ce soit trop visible, il n'est pas rare qu'un bout de décor ou la démarche d'un personnage colle un minimum à la musique, d'autant que l'album est stylistiquement très semblable du début à la fin. Mieux encore, je me suis surpris à lancer des actions au moment où il me convenait en fonction du rythme des chansons. A noter qu'un très bon boulot à été fait pour que les musiques se terminent au bon moment sans donner un aspect trop lourd à la mise en scène.


Les animations ne sont pas toutes à tomber à la renverse mais n'ont rien de critiquable, surtout ornées d'un si joli pixel art (c'est vraiment la fête aux pixels d'ailleurs cette année !) qui permet en un instant de reconnaître la race animale des personnages, même en ombres chinoises. Le noir et blanc pourrait paraître un choix bien morne pour causer de temps qui passe, de trime au boulot et d'individualités interchangeables mais au contraire, la finesse des choix de gris, des travelings, de la mise scène générale (le début d'une scène de voiture notamment) mais aussi le fait qu'aucune violence physique ni réels sentiments ne soit montrés à l'écran me font plutôt penser à une forme d'humilité de la part des développeurs face à l'inexorabilité de nos conditions. Il existe bien des formes de violences sociales, toujours liées au boulot ou à la parentalité, mais je ne perçois aucune véritable critique ni message politique.


Non pas que l'expérience soit plate, au contraire. Mais je dois vous avertir que j'ai pu jouer à "The Longest Road" dans des conditions presque parfaites au matin, levé tôt par temps de fantômes, gris et flotte aux carreaux, avec envie de viennoiseries et de café, tout en connaissant (et c'est un sacré avantage) la durée d'à peu près une heure trente du titre, album oblige. J'avais donc plutôt le sourire en parcourant ces destins filés. Mais encore une fois il me paraît assez peu probable de placer ses paluches au pad sur un tel jeu sorti du travail, et quelques moments peuvent très certainement serrer un peu la gorge, notamment sur la fin. Disons qu'à moins d'avoir particulièrement envie de chialer, je vous conseille de remettre votre session de jeu à plus tard si vous êtes par exemple enceinte ou avez l'alcool triste.


Je crois que je vais m'arrêter là pour que vous puissiez découvrir le jeu seul.e. Et si d'aventure vous n'aviez pas encore saisi quelle était cette "plus longue route au monde", sachez que pendant son trajet on y regarde souvent ses chaussures, parfois sa montre... et le décors défiler. Sachez aussi que malgré sa musique kitsch, ce jeu m'aura fait cogiter tout le reste de la matinée et je ne doute pas qu'il en sera de même pour vous. Tout ça pour un 9 balles tout à fait acceptable, ne serait-ce que pour ses grandes qualités visuelles et ces petites attentions sensibles qu'on ne peut pas manquer.

phulos
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le 3 juin 2021

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