The Sinking City est peut-être l’une des meilleures adaptations vidéoludiques de l’univers si souvent imité d’Howard Phillips Lovecraft. Cela ne signifie pas que le jeu soit exempt de défauts, loin de là, mais le travail colossal réalisé par les développeurs de Frogwares pour retranscrire l’essence des écrits de l’auteur américain force le respect.
Le principal problème réside dans le public ciblé : le jeu s’adresse avant tout aux lecteurs de Lovecraft et aux passionnés de son univers étrange et dérangé. Sans cette base culturelle ou un attrait marqué pour le surnaturel lovecraftien, un joueur risque de décrocher rapidement. L’intérêt du jeu repose avant tout sur son scénario complexe et non manichéen, offrant trois conclusions distinctes selon les choix opérés au cours de l’aventure. Mais ces choix ne se limitent pas à la fin du jeu : tout au long de votre progression, les quêtes secondaires et principales proposent également plusieurs dénouements en fonction des décisions prises. Certaines quêtes vous confrontent à des dilemmes moraux : épargner ou tuer un protagoniste, par exemple, peut avoir des conséquences importantes sur le destin de la ville d’Oakmont. Ce système de choix renforce l’implication du joueur et donne une véritable profondeur narrative à l’ensemble.
Malheureusement, si l’atmosphère et la narration brillent, la boucle de gameplay laisse à désirer. Frogwares a fait le pari audacieux de centrer le jeu sur des enquêtes et la lecture de notes, au détriment d’une action plus classique. Si ce choix colle bien à l’univers, il nuit parfois à l’expérience ludique. La progression repose souvent sur le recoupement d’informations collectées lors de vos investigations : il faut consulter des archives dans des lieux comme l’hôtel de ville, le commissariat ou les bureaux du journal local pour trouver la suite de votre quête. Ce mécanisme, intéressant au début, devient rapidement fastidieux. Vous passerez un temps conséquent dans les menus à décortiquer vos quêtes et tenter de faire sens de ce « chaos organisé ». Personnellement, après plusieurs tentatives infructueuses pour dénicher un indice dans un obscur dossier du commissariat, j’ai fini par céder à l’appel d’une soluce. Le jeu est exigeant et ne tient pas la main du joueur. Si les amateurs de casse-têtes et d’enquêtes complexes y trouveront leur compte, cette rigidité m’a rapidement lassé, d’autant plus que les moyens d’aborder les informations sont limités.
En termes de design, l’idée d’un monde ouvert explorant toute la ville d’Oakmont semblait prometteuse. Malheureusement, cette ambition se heurte à une exécution inaboutie. La ville, bien que visuellement impressionnante et riche en ambiance, est surtout un obstacle. Son architecture labyrinthique – malgré la présence de points de téléportation – et son vide quasi total en termes d’interactions ou d’activités rendent l’exploration peu gratifiante. Les zones confinées réservées aux monstres, délimitées de manière artificielle, amplifient cette impression d’ennui. On peut questionner la pertinence de ce choix de monde ouvert. Un format plus linéaire aurait pu améliorer le rythme du jeu, mais au détriment des enquêtes, qui nécessitent une certaine liberté d’exploration. Cela dit, malgré ses lacunes mécaniques, la ville reste un décor saisissant. Elle distille une atmosphère de fin du monde palpable à chaque coin de rue, un sentiment essentiel à l’immersion.
Lors des phases d’enquête, le jeu emprunte des idées à The Witcher 3. Une fois sur les lieux, il faut interroger les PNJ ou chercher des indices qui alimentent les réflexions du protagoniste. Ces indices permettent de reconstituer des scènes passées dans une faille temporelle, à condition d’en déterminer le bon ordre chronologique. Ce système, bien qu’intéressant, est souvent entrecoupé de combats. Ces affrontements, certes peu dynamiques, ont au moins le mérite d’apporter un peu de rythme à une aventure qui pourrait autrement sombrer dans la monotonie.
En conclusion, The Sinking City est un jeu ambivalent. J’ai été captivé par l’univers torturé et la fidélité au style de Lovecraft, mais j’ai fini par avancer dans l’aventure avec une soluce tant le système d’enquêtes m’a semblé bancal et ennuyeux. Ce sont les atmosphères et le soin apporté à la narration qui m’ont permis de rester accroché à la manette jusqu’à la fin. Ce titre possède de belles qualités, mais aussi de nombreux défauts qui, selon moi, décourageront la majorité des joueurs d’aller au bout. The Sinking City s’adresse surtout et avant tout aux lecteurs des romans de Lovecraft. Pour les autres, je recommande plutôt des expériences plus orientées vers l’action, comme Call of Cthulhu (2018), des mêmes développeurs, ou d’autres jeux inspirés par cet univers riche et fascinant.