The Void
6.3
The Void

Jeu de Ice-Pick Lodge et ND Games (2009PC)

Don’t fear death, there is no death in the Void

C’est compliqué à expliquer…


Jeu de l’étrange, jeu lent, jeu de balade poétique et apaisant, …en apparence seulement.


En réalité The Void cache un jeu de l’enfer, jeu du mensonge, jeu qui déteste le joueur et le pousse à bout. On y incarne une âme perdue entre la vie et la mort, perdue dans le Void, obligée de gagner férocement notre survie en gérant des couleurs.


Les couleurs c’est la ressource unique. Elles poussent comme des plantes qu’on ramasse et qu’on replante sur des arbres pour entretenir un écosystème fugace mais essentiel. On commence avec de l’Or et de l'Émeraude, puis du Violet, du Cramoisi, de l’Ambre, etc. Si je mets des majuscules, c’est que ces couleurs ont une personnalité, qu’elles nous parlent, donc qu’on doit les nommer comme des êtres.


En fait, elles servent à tout. Elles sont notre vie, nos armes, et même notre monnaie pour avancer dans le jeu. En effet, pour circuler dans le monde, il faut accéder à différentes “chambres” gardées par les Sœurs (des jolies femmes nues aux personnalités diverses) et pour entrer dans ces chambres, donner à chaque Sœur les couleurs qu’elles exigent. Au fur et à mesure de notre avancée, on acquiert des cœurs qui vont remplir notre corps et servir à porter/transformer les couleurs, mais également des glyphs qui vont servir à diverses actions : donner les couleurs, nous protéger, créer de la lumière, accélérer, attaquer, etc.


Attends, c’est plus compliqué que ça encore…


Le jeu repose sur un game design assez unique qu’on pourrait résumer ainsi : chaque action dépensée doit l’être à bon escient, et le temps joue contre nous.


En effet, dans The Void, on meurt. Entendez par là : on est constamment en train de perdre notre vie. La couleur de notre corps s’évapore. Heureusement, cela est vrai seulement à l’extérieur des chambres (dans le Void justement). Là-bas le temps passe, tandis qu’à l’intérieur des chambres, il est figé.


La première difficulté alors c’est l’incompréhension. On mourra d’abord de ne pas comprendre, de ne pas essayer, puis de trop essayer. On mourra de ne pas connaître des règles complexes déjà en cours, déjà en train d’agir sur nous, et nous d’agir sur elles. On ne mesure pas à quel point nos actions ont un impact sur le monde (je ne vous dis pas quelles actions, ni quels impacts). On ne mesure pas non plus à quel point le temps nous manque déjà, alors qu’on croit le maîtriser.


Mais c’est fait exprès, le jeu est pensé pour. C’est peut-être ça le plus difficile à intégrer pour nous autres joueurs. The Void est un jeu itératif. Lorsqu’on se trouve à court de temps et de couleurs, c’est qu’on a merdé quelque part, qu’une décision a été mal engagée. Il faut alors revenir en arrière et tout repenser. Plus tard, on endossera même des missions tardivement données, on apprendra des choses qu’on aurait aimé savoir avant, nous poussant régulièrement à revenir en arrière pour corriger le tir.


Le début du jeu est si dur que je l’ai recommencé cinq fois. Cinq fois pour simplement survivre et aller un peu plus loin que le début. Quand j’ai enfin commencé à sortir la tête de l’eau, à maîtriser ma progression, les Frères ont débarqué.


Les Frères, ce sont des hommes hideux, croisements de machines improbables et d’humains mutilés. Les gardiens du Void. Mécontents de notre présence, ils vont nous le faire comprendre en nous soumettant des défis. Ils nous haïssent, nous invitent à abandonner et si on a l’audace de persévérer, ils vont nous mettre toujours plus de bâtons dans les roues.


Maintenant accroche-toi, voilà le plus fou


J’ai dit que le temps jouait contre nous, laissant penser que le chrono était un ennemi. En fait c’est plus compliqué que ça.


D’abord il faut comprendre que The Void fonctionne par cycle. Un cycle c’est 90 secondes dans la map, là où le temps s’écoule. Chaque cycle dépassé est une victoire. On comprend vite que toute action est régie par ces cycles et doit donc être mesurée ainsi. Dépenser une couleur sur un arbre, c’est la retrouver en quantité supérieure au cycle suivant. De même pour les défis que nous donneront les Frères, qui auront un délai à X cycle.


Mais surtout, nos couleurs et le temps sont intimement liés. Aïe, là ça se complique. En s’écoulant, le temps aspire nos couleurs (notre vie donc !) mais il rend ces couleurs exploitables pour tout ce que j’ai évoqué plus haut (se battre, donner, planter). En d’autres termes : le temps nous tue, mais il nous arme. On déteste le voir défiler, mais on a besoin de le voir défiler. Parfois même, à de rares occasions, on décide de l’accélérer.


Il y a encore d’autres mécaniques. Et ici je vous préviens : si vous ne voulez pas vous spoiler le plus important, je vous invite à ne pas lire le paragraphe qui va suivre (les suivants c'est ok).


Lorsqu’on porte des couleurs dans notre cœur, elles agissent. Par exemple, en portant de l’Or, on diminuera la quantité de couleurs nécessaire à donner aux Soeurs. En portant de l’Argent, on amoindrira l’impact qu’on a sur le monde. Et la plus notable pour moi, c’est l’Ambre. Elle nous permet de transformer plus vite nos couleurs amassées en couleurs exploitables, donc de mourir plus vite, mais de plus vite nous armer.


On comprend alors comment The Void devient un jeu de gestion éprouvant, une équation complexe dans laquelle chacune de nos décisions doit être pesée et anticipée. Tout se répond constamment. On finit par ne penser qu’en échange, don, consommation, gaspillage et cycle. Opérer telle action, c’est entraîner telle autre, et annuler telle autre. Pour un geste de dépense à un cycle donné, on aura renoncé à un geste de don à un autre cycle et vécu une aventure différente. Notons d’ailleurs qu’il y a 13 fins possibles dans le jeu.


Mais The Void devient excessivement fourbe lorsque les Frères vont commencer à s’énerver pour de bon. D’abord en pillant nos réserves, ensuite en ajoutant une nouvelle contrainte de temps, qui nous obligera à agir vite et à faire des choix terribles. C’est à partir de là que le jeu déploie toute sa folie et qu’Ice Pick Lodge pousse son concept au plus loin, faisant de the Void une aventure hors-norme, oppressante, mais grisante.


Un jeu unique


Alors oui, c’est un jeu très lent et très bizarre. Un trip assez unique. Je peux comprendre qu’on n’y soit pas sensible, voire qu’on s’y emmerde. C’est aussi très dur, mais d’une difficulté différente de ce qu’on connait. En ce sens, j’ai eu du mal à répondre à un pote qui me demandait si le jeu était “bien équilibré”. Parler d’équilibrage pour ce jeu, c’est ne pas le comprendre. D’abord parce que sa difficulté n’est pas une question d’équilibrage (d’ennemis trop forts). Ensuite parce que The Void est volontairement dur. Il est méchant avec le joueur dès le début. Il vous met la tête sous l’eau, car c’est ce qu’il veut vous faire vivre.


On peut d’ailleurs parler de cohérence ludo-narrative. On incarne une âme en lutte contre la mort. Au joueur alors de lutter contre l’échec. Si on est oppressé par le jeu c’est parce que l’âme qu’on incarne est oppressée par les Frères. À travers leurs discours décourageants, qui l’invite à lâcher prise, ce sont les développeurs qu’on entend, qui nous invitent à stopper leur jeu.


Don’t fear death, there is no death in the Void, nous dit l’une des couleurs.


Il n’y a pas de mort, car nous sommes déjà morts. Il n’y a pas d’échec, car l’écran de game over n’est qu’un des choix possibles. Le choix de ne pas affronter le Void. Le choix de se laisser aller à l’entropie.


Ou on peut faire le choix inverse. Lutter contre les Frères, lutter contre la mort, lutter contre le jeu.

-Alive-
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le 22 févr. 2022

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