The Witcher (le Sorceleur) est une adaptation en jeu vidéo de l'univers de la saga littéraire du même nom, de l'auteur polonais Andrzej Spakowski. On y incarne Geralt de Riv, un sorceleur. C'est un tueur de monstres, appartenant à un ordre presque éteint de bretteurs mutants versés dans la magie et le surnaturel. Notre sorceleur souffre d'une amnésie dès le début de l'histoire. Son but sera de recouvrer ses souvenirs enfouis, et de partir à la quête de son identité et de sa destinée.
A l'époque, ce jeu a constitué une curiosité - mais diable, qu'est-ce donc qu'un Witcher??, et une pépite vidéo-ludique (avec une intro du jeu époustouflante annonçant bien la couleur).
Au-delà de ça, si l'on apprécie les thématiques adultes fortes et sans concession, ou l'on préfère davantage les situations dépassant "le tout bien" ou "le tout mal", ce jeu est tout indiqué.
Geralt est amené à prendre des choix moraux, qui ne seront jamais neutres.
Dans The Witcher, il faut souvent choisir entre de "moindres maux". La grille de décisions et des attitudes a su dépasser, dans la plupart des cas, le manichéen et le convenu. En réalité, il n'existe véritablement pas de décision meilleure que d'autre. Tout le sel est dans leurs répercussions le long de l'histoire, qui ne sont toujours pas celles que l'on croit.
Pour l'époque, c'était assez rare d'avoir tous ces ingrédients réunis et surtout d'être aussi bien ficelés au sein d'une intrigue dont le héros possédait un background très atypique (sorceleur - avec les préceptes qu'ils impliquent).
Bref, l'on était en présence d'un véritable OVNI, de surcroît, réalisé par un (encore) obscur et inconnu studio de Varsovie.
I]
L'univers de l'héroïc-fantasy a ses clichés auquel The Witcher n'échappe pas : il y a des nains barbus et grossiers, des elfes soumis et pour certains rebelles; on y rencontre aussi rois, jolies magiciennes, notables, soldats. Sans oublier un bestiaire, des plus classiques, (allant du loup-garou, aux bandits, en passant par les inévitables noyeurs, wyvernes et morts-vivants) ou un peu moins (la Strige, "la Bête", les dryades, les cocatrix... ).
Là où réside toute la quintessence du titre, c'est qu'avec de l'ordinaire, le studio CDprojekt a réussi à créer de l'inédit et à s'éloigner des sentiers battus de son genre. Le joueur se crée peu à peu une ligne de conduite, laquelle ne se limite pas à des choix purement binaires. Tous comportent leur nombre de zones plus troubles (appât du gain, rancoeur, confiance, duperie, suspicion, réalisme froid...). La manière dont les choix s'expriment et s'assument s'inscrit dans la réalité grisâtre et nuancée de l'univers. Ce qui ôte toute forme de linéarité et de prévisibilité au jeu.
Bien sûr, les développeurs sont aidés par la très riche base des romans dont ils reprennent les personnages, lieux, anecdotes et mythologies. Mais ils ont surtout réussi le tour de force à apporter leurs propres visions et nouveautés, tout en respectant l'esprit de l'univers de la saga écrite. Cette double cohérence est un exercice périlleux, loin d'être facile, dont CDProjekt s'est remarquablement sorti. A tel point, que le jeu et ses suites peuvent être perçus comme de nouveaux romans de la saga, dont ils seraient la continuation interactive.
L'histoire se divise en cinq chapitres et un épilogue, qui marquent à chaque fois une avancée dans l'intrigue (laquelle ne s'épuise pas à la fin car le jeu est une trilogie). Sans entrer dans leurs détails, ces différentes étapes seront aussi bien personnelles - car liées à la quête des souvenirs de Geralt et de son identité - , que rattachées aux enjeux politico-religieux déclenchés par les événements initiaux du jeu.
II]
Tout n'est pas parfait dans The Witcher et de sérieuses concessions devront être acceptées sur des aspects de l'expérience de jeu :
Un personnage pouvant être, ô possible, bien raide à manipuler et à interagir avec son environnement.
Un système de combat à la longue lassant et limité : consistant à pointer et à matraquer en rythme le clic gauche de la souris. Aux niveaux élevés du personnage, les combos sont de plus en plus longs et puissants, mais s'effectuent toujours de la même manière.
Un jeu d'esquive et de pirouette, certes très fidèle aux livres, mais qu'il aurait fallu rendre plus pêchu et fluide.
Un système de style de combat à l'épée (puissant, rapide et groupe), bien qu'ayant le mérite d'exister, enferme encore plus la liberté de combattre de Geralt. "A un type d'ennemi défini, son style", sous peine de subir un important malus dans les affrontements.
Un manque de personnalisation et de choix d'armure : Geralt pourra en changer très peu. Une seule armure est vraiment ultime, à condition de ne pas la zapper et de réussir la quête qui la concerne.
Un environnement très cloisonné et comportant beaucoup -trop- de barrières visibles. S'ajoute encore l’impossibilité totale pour le héros de sauter, nager, voire même d'enjamber de ridicules obstacles (par exemple dans un champ).
Un système de quêtes FedEx trop marqué pour certains contrats secondaires (les fameux va-et-vient dans les marais, les champs et autres égouts).
Un clonage important des personnages lambda, même si un peu réduit grâce à l'Enhanced Edition.
L'alchimie : le concept est sympa (avec des recettes à acquérir ou à expérimenter à ses risques et périls), mais comportant un certain nombre d’élixirs/huiles/bombes jamais utilisés car carrément inutiles au regard des 4 ou 5 principaux.
III]
En dépit de ses aspects négatifs (de jeunesse pour certains), le titre s'en sort avec les honneurs. S'agissant de l'ambiance sonore (qualité d'écriture des dialogues, doublage VA/VF, bruitages et OST), l'ensemble est très bon. Le traitement de l'entourage est réussi - un peu moins pour certains antagonistes qui se révèleront un peu fades -. Idem pour les à côtés (pugilats, beuveries et autres distractions... disons plus corporelles) qui sont adaptés au folklore et au contexte.
Le scénario quant à lui, est la force principale de The Witcher. Il s'avère fouillé et sait comporter ses surprises, malgré un pitch de départ archi-convenu et un certain essoufflement dans les deux derniers chapitres.
De son côté, la patte graphique est très correcte. Avec les années et le sentiment que l'on peut avoir sur certains titres, vitrines technologiques et esthétiques d'hier, et, aujourd'hui visuellement parlant, dignes de la deudeuche, The Witcher s'en sort plutôt bien pour un jeu de 2007-2008. Il a plutôt bien vieilli et a réussi à conserver intacts certains de ses charmes (par ex. le fameux chapitre avec la Dame du Lac - dont l'enchantement est à mieux savourer dans sa phase nocturne -).
---------> Malgré certains défauts et des limites techniques qui ressortent beaucoup plus à l'heure actuelle, The Witcher n'en demeure pas moins un excellent jeu qui mérite d'être découvert (ou recommencé). Sa grande force réside dans son univers adulte sans concession et dans son riche scénario à tiroirs à choix moraux.
Cette alliance garantit au joueur une aventure immersive et prenante, pourvu qu'il en accepte le gameplay et le type de maturité.
(17/20)