J'ai lâché The Witness.
Comme ça, d'un coup. Après m'être pris la tête une énième fois sur deux étoiles refusant de s'associer, après un tétromino refusant de prendre part à la glorieuse courbe se dessinant sur l'écran noir. La manette m'est tombé des mains et, las de ces retours Windows incessant, j'ai finis par quitter pour ne plus relancer l’œuvre.
Ai-je seulement joué à The Witness ?
C'est une question qui me taraude. Parce qu'après avoir activé sept lasers, la motivation n'y était plus. Le cerveau fumant, l'âme excédé par une énigme qui refusait de s'éclaircir ne serais-ci qu'un peu : "Qu'est-ce que je fous la ?"
La réponse ne venait pas mais les panels, comme les mauvaises herbes qui repoussent qu'importe la puissance du désherbant, se succédaient les uns les autres, me narguant de leurs cimes arithmétiques que je ne pouvais atteindre.
Car The Witness est un jeu auquel on commence par jouer, puis qu'on finit. La transition est subtile : Comme le fumeur de joint qui s'habitue à la torpeur, le joueur s'habitue aux puzzles. Il veut les résoudre. Il refuse que Blow puisse le mettre en échec, il refuse d'abandonner malgré la vacuité de ce qu'il fait. Le panneau de chargement s'incrémente mais ne semble jamais atteindre sa finalité, motivant paradoxalement encore plus à voir ce qui nous attend une fois la dernière énigme résolue.
[ Attention, à partir d'ici il y a du spoil (si tant est qu'on puisse spoiler The Witness, m'enfin) ]
Rien. Absolument rien.
Je n'ai pas atteins ce rien, si ce n'est par l'intermédiaire de Youtube. Presque ironiquement, c'est par un écran que les panneaux se sont activés, et que j'ai pu escalader la montagne. Mais la finalité est la même : Il n'y a rien à la fin de The Witness.
Ou plutôt, il n'y a pas de "fin" à The Witness. Le jeu est un tout indissociable du voyage que vous y accomplissez. Il n'y a rien à la fin, alors que les crédits sont (astucieusement) accessibles dés le début. L'île est une prison, le joueur s'y enferme dans une quête de finitude qui ne conduit à rien de plus qu'il n'a déjà vu.
Ainsi j'ai joué à The Witness. Je l'ai même, en un sens, fini. Je suis aller voir des interprétations, que j'ai corrélé aux miennes. J'ai enfin compris le liant qui me poussait à continuer, cette beauté indicible qui m'empêchait de lâcher le jeu. "Ce ne peut pas juste être ces magnifiques graphismes", me disais-je : Il y a quelque chose de grandiose qui se passe et si je le sens, je ne peux le dire.
Parce que le jeu transcende son dispositif ludologique tout comme le joueur transcende son message. The Witness ne mène à rien mais dis tout. Il essentialise la quête philosophique du sens en donnant au joueur tout ce dont il a besoin, sauf l'essentiel : une clef.
Parce qu'il n'y a pas de clef.
The Witness est une quête que l'on ne finit jamais (d'ailleurs, la fin consiste à revenir au début). En ce sens, The Witness est peut-être l’œuvre la plus percutante et la plus significative de ce que peut le jeu vidéo. Il n'y a pas d'histoire, il n'y a pas de narration, il n'y a que d'innombrables puzzle. Mais n'est-ce pas le propre de la philosophie que de poser des questions sans réponses ?
En tant que jeu, on peut critiquer The Witness. On peut (à mon image) remettre en cause l'obsession pour une seule mécanique sur laquelle l’interactivité de The Witness repose tout entier. On peut (à mon image) regretter ce choix, cet épure dans le game design, ce reniement de ce que le joueur attend de son joujou et ce refus total d'apporter du "fun".
Sauf que The Witness est plus que ça. Il transcende son média (le jeu vidéo) en étant en lui-même un objet de réflexion philosophique fascinant et grandiose. C'est un chef d’œuvre que je ne "finirais" jamais, mais qui m'a déjà marqué de son sceau. The Witness symbolise la puissance de ce que peut être le jeu vidéo, tout comme il matérialise l'impasse ou se situe l'être humain.
Faut-il jouer à The Witness ? Oui, absolument.
Faut-il finir The Witness ? Pas forcément.
Faut-il comprendre The Witness seul ? Non.
Faut-il admirer Blow pour la singularité dont il a accouché ? Oui. faut-il louer le succès incroyable d'un jeu aussi complexe d'appréhension ? Carrément.
The Witness est un jeu qui me désespère tout comme il me remplit d'un espoir profond. Il m'a obligé à m'incliner, à rejeter le dogme qui pèse sur ce qu'est un "bon joueur" pour en apprécier le suc. Il m'a obligé à sortir de mon statut de joueur pour me questionner sur ce que je suis moi, et non mon avatar. Je n'ai même pas expliqué pourquoi je le trouvais démentielle, parce que je considère que The Witness ne se comprend qu'à travers son expérience direct, pas à travers une critique.
The Witness est grand.
Je vous partage une vidéo qui m'a permis de voir beaucoup plus clair dans la proposition de Blow : https://www.youtube.com/watch?v=Tz2XaWZ9N2g
Et allez voir la "fin secrète" de The Witness : https://www.youtube.com/watch?v=_bPmSuIlZLI