Temps de jeu : 30 heures
Mon premier The World Ends with You
Test rédigé pour Nintendo-Difference [#22]
Plus de dix ans en arrière, la Nintendo DS accueillait un de ses J-RPG les plus atypiques qui soient. Héros nihiliste évoluant dans un Shibuya fictif très proche du nôtre, The World Ends With You revient ce 12 octobre dans une version -Final Remix- sur Nintendo Switch. En y regardant de plus près, il paraît évident que le gros du travail provient de la version mobile du titre. Pourtant, cette nouvelle mouture apporte avec elle deux gros arguments qui ont peut-être de quoi faire pencher la balance : un nouveau chapitre et surtout la présence d'une traduction française. Inexistante à l'époque, on ne peut que saluer le geste, presque inespéré jusqu'alors. Quant à savoir si ce bout d'histoire vidéoludique de la décennie passée est toujours aussi frais, c'est une tout autre chose. Car, qui dit changement de support, dit forcément nouvelle manière d'appréhender le gameplay. Prêts pour une nouvelle Partie, amis Joueurs ?
Shibuya Shobouyan
Inconscient au beau milieu de Shibuya, Neku Sakuraba est un adolescent de quinze ans qui ne se souvient de rien. Amnésique comme la majorité des héros de J-RPG, le jeune homme semble également être un grand solitaire, en atteste son casque audio particulièrement bien vissé sur sa tête. À peine remis de ses émotions, ne voilà-t-il pas des monstres sortis de nulle part, prêts à l’agresser jusqu’à ce qu’il trépasse. Pas même la fuite ne semble pouvoir lui épargner une mort certaine, mais heureusement pour lui, notre héros fera la rencontre de Shiki Misaki, une jeune fille certes un peu naïve, mais particulièrement attachante. Désormais alliés, Neku et sa nouvelle partenaire doivent réussir les missions journalières reçues sur leur téléphone portable ; échouer les mènera à leur disparition pure et simple. Ainsi, après sept jours (s’ils remplissent toutes les conditions), le duo de jeunots pourra rejoindre le RG, plus connu comme étant le monde des vivants. Car, surprise de taille s’il en est, Neku et tous les autres Joueurs présents dans la Partie sont déjà bel et bien décédés.
Tout au long des sept jours qui composent la Partie (dirigée par un Maître du Jeu), le joueur devra faire face à de nombreux dangers : les Échos, des monstres adoptant la forme d’un animal ou d’une créature ornée de tatouages tribales, mais aussi et surtout les Reapers, des trépassés semant d’embûches la progression des Joueurs (certains en invoquant des Échos, d’autres en bloquant l’accès aux différents lieux de Shibuya). Au fur et à mesure du temps qui passe, Neku se remémorera ses souvenirs perdus et avec eux la raison de sa venue dans l’UG, le monde des morts. En dehors des autres Joueurs et des Reapers, tous ceux qui l’entourent ne peuvent ni le voir, ni le toucher, ni l’entendre (pour son plus grand bonheur). Clairement eschatologique dans son ambiance, la personnalité de Neku pourra déstabiliser lors des premières heures de jeu ; adolescent nihiliste cliché au possible, difficile de ne pas se montrer désemparé face à ses dialogues d’un creux abyssal.
Les Échos qui cherchaient des Noises
Fort heureusement avec The World Ends With You -Final Remix-, il ne faut jamais prendre comme acquis le premier contact que l’on entretient avec le jeu. Le scénario, certes un peu alambiqué et pas toujours très finaud dans ses réflexions, promet de nombreux rebondissements, notamment à l’aide de sa galerie de personnages. À force de devoir coopérer avec d’autres Joueurs, Neku parviendra à se muer naturellement et à accepter une autre vision du monde que la sienne, délaissant peu à peu son caractère lourdingue. Véritable appel à la différence et à l’acceptation de son prochain, le titre de Square-Enix fait la part belle au suspens et aux révélations surprises. Le joueur ne sait jamais vraiment à quoi s’attendre, ses certitudes étant sans cesse remises en question, et prévoir l’imprévisible devient en soi un jeu. Cette pluralité de l’être humain, le titre ne cesse de la mettre en avant à l’aide du scan des pensées, une petite fonction capable de découvrir le jardin secret des Personnages Non-Joueurs et, qui sait, de récolter quelques indices en chemin.
Outre son système de combat unique, le game design The World Ends With You -Final Remix- possède de nombreux autres aspects, à l’image de ces phases narratives. À l’aide de mots-clés ou de sous-entendus récoltés dans les pensées d’un PNJ, il sera en effet possible de progresser dans sa quête ou dans des objectifs secondaires en vue du 100 %. Le joueur pourra également s’essayer au Tin Spin Slammer, un simili-Beyblade avec des badges en guise de toupies, certes sympathique mais franchement pas transcendant. Le jeu a par ailleurs la mauvaise idée d’imposer quelques parties ici ou là, obligeant le joueur à se les farcir s’il désire avancer dans le scénario principal. Un devoir touchant également les affrontements plus ordinaires, notamment sur sa dernière ligne droite où Neku et son partenaire se feront agresser régulièrement durant leurs déplacements. Que les allergiques aux combats aléatoires se rassurent, cette mesure est assez rare en comparaison du reste de l’aventure, laquelle laisse au joueur le soin de gérer le challenge.
Badgépinophile
En effet, outre une difficulté modifiable à la volée (pour peu qu’on ait débloqué les différents paliers en progressant dans le jeu) et le handicap de vie infligé au héros, il sera surtout possible de n’affronter que les ennemis désirés à l’aide du scan. En enchaînant jusqu’à quatre combats d’affilée, le joueur engrangera bien plus d’expérience et de points pour ses badges, quitte à augmenter ses chances de mourir (le seuil de vie restant est identique d’un combat à l’autre). On est donc bien loin d’un J-RPG traditionnel et de ses agressions ad nauseam et aux compositions ennemies aléatoires. Tout aussi hétérodoxe, le joueur doit contrôler deux personnages à la fois lors d’un combat en temps réel : Neku, qui s’acquittera du gros du travail, mais également son partenaire qui servira surtout à créer et cumuler des combos. Récoltables sur des monstres, via des quêtes ou chez des marchands, les nombreuses espèces de badges permettront d’infliger des dégâts ou de réaliser des contrôles de foule chez l’ennemi, ou bien de soigner son binôme.
Avec plus de trois cents badges proposés, le choix peut vite se révéler complexe. La manière de les utiliser varie du tout au tout et, là encore, ne ressemble en rien aux classiques du jeu de rôle nippon ; certains badges demanderont de simplement tapoter un monstre, tandis que d’autres nécessiteront de gratter une surface vide, de balayer Neku, etc. Dotés d’un délai de récupération après un certain nombre d’activations, il faudra équilibrer au mieux les types de commandes pour ne jamais être en manque d’attaques ou, au contraire, réaliser un kit de badges similaires pour infliger de gros dégâts sur un court instant, tout en facilitant la prise en mains du bousin. En effet, le premier contact refroidira les moins débrouillards. Le rythme y est nerveux – le jeu vous demandant de réaliser de nombreuses choses à la fois – et il faudra également se dépatouiller avec les contrôles atypiques du titre. Exploitant au mieux les fonctions de la Nintendo DS à l’époque, cette mouture Switch demandera d’utiliser au choix ses doigts sur son écran tactile ou – infamie – la reconnaissance de mouvements d’un Joy-Con unique.
Neku & Shiki : Partners in Time
C’est bien simple, cette seconde manière de procéder est à la limite du jouable. Il faut sans cesse recentrer son pointeur à l’aide d’une touche et la prise en main est assez peu intuitive. L’ergonomie générale est également à la peine et après quelques essais peu concluants, le joueur préférera se salir les mains – ou l’écran – avec les commandes tactiles, plus fluides et naturelles. Dans tous les cas, pour vaincre rapidement et sans bavures, le joueur devra également faire appel à son partenaire (au nombre de trois dans le jeu de base), entre deux attaques portées pour charger la barre d’une compétence ultime. L’utilisation desdits partenaires varie énormément suivant le personnage accompagnant Neku, certains étant plus difficilement plaçables que d’autres, mais tous permettent d’occasionner de lourdes blessures à l’adversaire. Par ailleurs, certains Échos ne se montrent sensibles qu’à des dégâts de combo et il vaut alors mieux maîtriser rapidement la technique. Quant à la technique ultime, leur activation résulte en un mini-jeu, lui aussi différent suivant le partenaire choisi.
Tous les badges possèdent un niveau et de fait, une jauge d’expérience. Plus la difficulté, le handicap et le nombre de combats à la chaîne seront élevés, plus Neku et son allié récolteront de points pour les améliorer. Et pour ceux qui n’apprécient pas le grinding – même optionnel – ou qui ne jouent pas assez pour perdre du temps sur ces points secondaires et importants à la fois, les développeurs ont eu l’excellente idée d’offrir des points d’expérience pour chaque minute passée hors-jeu. En ne jouant pas pendant plusieurs jours, le gain potentiel devient alors considérable. De quoi faire progresser ses badges petit à petit, sans se sentir obligé de taper le même monstre jusqu’à perdre la raison. On pourrait penser – à tort – que cette histoire de pins s’arrêterait là. Pourtant, en regardant de plus près, le joueur se rendra compte que chaque quartier de Shibuya est dominé par une marque de vêtements fictive, laquelle conférera un bonus ou un malus à Neku en fonction des badges utilisés.
Le Reigne du Shopping
S’adapter et suivre la mode comme un mouton ou tout chambouler en affirmant son propre style, c’est au joueur qu’il appartient de choisir. S’il est bien plus facile de prendre les badges de la marque dominante, car ne nécessitant pas de combattre des monstres pour faire grimper la popularité de ses pins équipés, il faudra tout de même disposer d’assez de modèles pour faire face à tous les scénarios possibles ; des modèles possédant un bon niveau qui plus est. A contrario, ceux qui opteront pour un changement dans le classement des marques pourront également compter sur les marchands du coin en s’équipant de leurs collections. Neku et son allié peuvent ainsi s’habiller à l’aide de quatre emplacements (coiffe, haut, bas et accessoire), pour peu qu’ils disposent du Courage nécessaire à leur équipement. Chaque habit possède une capacité spéciale, qu’il faudra débloquer en gagnant la confiance d’un autre vendeur ; une confiance que le joueur peut acquérir en achetant régulièrement chez lui.
À la lecture de tout ceci, il est tout à fait compréhensible d’être intimidé par la profondeur du titre. Bien pensé sur tous les plans, il faut avouer que l’ensemble peut paraître un peu trop gros pour le joueur lambda. Point d’inquiétude, puisque même sans équipements et sans trop améliorer ses badges, il est tout à fait possible de terminer le scénario sans trop suer, notamment grâce à la difficulté ajustable. De même, l’ensemble des ennemis ne se montre pas vraiment complexe à être défait ; seuls quelques boss exploseront la courbe de difficulté, obligeant parfois à retenter encore et encore jusqu’à ce que le joueur triomphe ou craque. Ceux qui désireront tout compléter devront engranger tout un tas d’argent en revendant les badges dédiés pour espérer en voir le bout. À ce titre-là, il leur faudra plus d’une centaine d’heures pour boucler le titre et tout ce qu’il a à offrir. En ligne droite, il ne faut pas espérer plus d’une quinzaine d’heures, ce qui reste relativement court.
It's a new dawn, It's A New Day, It's a new life
Déjà très beau à l’époque, The World Ends With You -Final Remix- affiche désormais des graphismes plus lisses. Statique et tout en points de fuite, l’univers street et fashion du titre s’apparente aux graffitis à la manière d’un Jet Set Radio. Ses personnages, gominés et tout de noir vêtus, transpirent la mode tokyoïte des années 2000. Couplés au style unique de Tetsuya Nomura, plus Nomuraesque que jamais avec ses traits marqués et anguleux, chaque figure fait mouche au premier coup d’œil, qu’elle soit celle d’un protagoniste, d’un antagoniste ou même d’un PNJ. Il faut également souligner la bande-son du titre, hétéroclite comme jamais, allant de la J-Pop au J-Rock, en passant par la techno. Toutes les pistes s’intègrent de superbe manière dans l’univers traversé, pour le mieux comme pour le pire, suivant son seuil de tolérance. Il faut bien avouer certaines faiblesses sur quelques morceaux chantés, mais dans l’ensemble, la réalisation brille suffisamment pour marquer l’auditeur.
Cette nouvelle mouture comporte également un mode coop, lequel permet au second joueur de prendre le contrôle d’un partenaire de Neku et de sa palette de coups préétablis. Problème de taille : il faut y jouer avec la reconnaissance de mouvements. Parmi les ajouts les plus importants figure la présence d’une localisation française, inexistante à l’époque de la sortie du jeu originel sur Nintendo DS. De qualité, quoiqu’un peu hésitante entre le ton franchement familier et celui un peu plus édulcoré, cette traduction justifie à elle seule l’achat du jeu pour quiconque se serait astreint il y a plus de dix ans déjà. A New Day, le chapitre inédit, est un ajout sympathique et surtout annonciateur d’une suite potentielle si les ventes sont au rendez-vous. Ajoutant trois heures de jeu, un personnage inédit prenant les traits d’une lolita kawaii, les combats imposés pour venir à bout de ce nouveau segment se dérouleront sous certaines contraintes, comme une barre de vie dégressive. Le joueur pourra également y découvrir de nouveaux badges et de nouveaux monstres, mais rien de réellement renversant. Il s’agit plus là d’une carotte pour le fan de la première heure que d’un réel apport à l’univers du jeu.
Verdict : Oui !
Dix ans plus tard, The World Ends With You n’a rien perdu de sa superbe. Unique tant dans sa direction artistique que dans son game design, le jeu revient dans une version Nintendo Switch améliorée sur de nombreux points. Plus agréable à l’œil et pour la première fois sur la télévision, doté d’une bande-son réarrangée, d’un mode coop ainsi que d’un nouveau chapitre, le titre souffre toutefois de quelques tares, à commencer par le support sur lequel il paraît aujourd’hui. Si les commandes tactiles ne valent pas celles de la Nintendo DS, elles restent toutefois jouables ; difficile d’en dire autant de la reconnaissance de mouvements, trop peu intuitive et ergonomique. Expérience unique d’une époque désormais révolue, les joueurs curieux et anglophobes n’ayant jamais eu la chance d’y jouer peuvent s’y jeter les yeux fermés, puisque désormais en français. Les autres, qu’ils aient déjà participé à une Partie ou qu’ils soient peu réceptifs au ton adulescent et nihiliste (ainsi qu’à l’ambiance fashion et street tokyoïte), peuvent s’en préserver, surtout vis-à-vis du tarif affiché. Un excellent jeu pour un portage pas exempt de défauts.