Si c'est un homme
« Vous qui vivez en toute quiétude Bien au chaud dans vos maisons, Vous qui trouvez le soir en rentrant La table mise et des visages amis, Considérez si c’est un homme Que celui qui peine dans la...
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le 1 mars 2015
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L'idée de départ me laissait très dubitatif. Jouer un groupe de trois, voire quatre personnes qui doivent survivre dans un immeuble désaffecté de ce qui ressemble une version fictionnalisée de Sarajevo, cela avait de quoi choquer. Peut-on tout gamifier ? Après tout, il y a des game designers à ce point libérés de tout tabou, de nos jours, qu'ils ont bien pondu un simulateur de gestionnaire de prison. La prochaine étape, c'est un simulateur de camp d'extermination ? Ce n'est pas un peu choquant, de faire du crafting pour se fabriquer des armes artisanales, un filtre pour récupérer l'eau de pluie, une plantation maison pour faire pousser des légumes ? De faire des phases d'infiltration où vous cambriolez les gens, voire les tuez ?
Si This war of mine n'était qu'une repompée de Don't starve avec un habillage balkanique, je le trouverais profondément choquant. Heureusement, les développeurs ont mis des garde-fous intelligents.
Tout d'abord, vos personnages doivent non seulement se nourrir, être chauffés, mais ils ont besoin de garder le moral pour lutter contre l'isolement. Il leur faut des livres, ou du tabac, ou du café, ou une guitare. Il leur faut la radio, pour savoir ce qui se passe à l'extérieur. C'est mieux s'ils ont une chaise, sinon ils vont se fatiguer sur le plancher dur. Et surtout, s'ils tuent quelqu'un, ils vont en être profondément affectés, car ce ne sont pas des héros à la Duke Nukem, ce sont des êtres humains, qui s'interrogent sur leurs actions. Ils peuvent tomber dans des phases de dépression qui font qu'ils vont gamberger plutôt que de faire ce qu'on leur demande. De même, voler des choses va les démoraliser, parfois même s'ils ont volé à des salopards.
La direction artistique confirme que le conflit serbo-croate n'a pas été traité par-dessus la jambe. Le level design des sites que vous allez fouillé à la recherche de nourriture, de matériaux, de médicaments est très pensé. Par exemple cette place, dominée par un hôtel, d'où un sniper guette les passants : il va falloir passer pendant qu'il recharge, puis passer par l'égout. Cette église en feu. Cet hôpital bombardé (les décors sont un peu évolutifs). Cet immeuble inachevé labyrinthique, sur lequel vous allez manquer de vous casser le cou. Ces caves par lesquelles vous aller passer pour vous introduire dans des immeubles habités, vous cachant pour ne pas vous faire découvrir. Ce bordel où un marchand essaie de vous arnaquer. Ce supermarché pillé... Et l'hiver qui vient, l'aide humanitaire qui tarde à s'organiser.
Les graphismes, avec cet animation visant le réalisme, et ces portraîts de vraies personnes en noir et blanc (les deux couleurs qui dominent, oui ne vous attendez pas à un jeu Kirby...)
Pendant la journée, vous aménagez votre chez-vous et vous recevez des visites. Tantôt un marchand, tantôt des événements aléatoires : arrivée d'un nouveau réfugié, enfants demandant des médicaments pour leur mère, mec louche qui vous propose de faire un mauvais coup...
La seule déception vient du système de combat, ou de ce qui en tient lieu. C'est censé être en temps réel en cliquant, mais les animations sont tellement longues que ce n'est pas jouable. Il faut jouer l'infiltration, vous ne pouvez pas gagner en tuant tout le monde.
Mais quand on y réfléchit, c'est tout à fait dans l'esprit du jeu. Et le seul reproche, finalement, que je pourrais faire, c'est que le jeu soit autant centré sur la gestion de paramètres (un peu comme God will be watching), et moins sur l'interaction. Il n'y a qu'un type d'interaction possible pour chaque PNJ : quand on y réfléchit, le jeu aurait pu être orienté un peu plus dans le sens d'un puzzlegame, avec de petites énigmes, des passages secrets à trouver, des mécaniques à comprendre...
J'émets aussi un léger doute concernant la rejouabilité, car la part d'aléatoire ne concerne pas beaucoup les environnements, si j'ai bien compris.
Cela dit, tout ça n'est pas bien grave. En l'état, This war of mine est déjà une expérience de jeu déroutante, qui déconstruit enfin intelligemment toute l'imagerie précédente qui avait été véhiculée par le jeu vidéo. Car oui, même dans les MGS, qui se disent "pacifistes", on reprend tout de même l'imagerie guerrière, même si c'est pour la détourner. Tandis que là, ce jeu n'a aucun, mais aucun risque de vous faire trouver la guerre glamour.
Un peu comme si le jeu vidéo devenait enfin adulte, quoi...
Créée
le 9 août 2015
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4 j'aime
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