Étant un grand amateur du genre Tactical JRPG depuis Tactics Ogre, Final Fantasy Tactics ou bien encore la série Fire Emblem, j’attendais avec une certaine impatience ce Triangle Strategy (TS). Après avoir vu défiler le générique d'une première partie parfois laborieuse, le bilan est malheureusement assez mitigé et ma déception est sans doute à la hauteur des attentes que j'avais placé dans le titre de Square Enix, espoir nourri aussi par les critiques très élogieuses de la presse spécialisée.
Car ce TS n'est pas un mauvais jeu, loin de là, et il plaira sans doute à beaucoup de joueurs. La réalisation est solide, le jeu dispose d'un magnifique pixel art 2D/3D et d'une direction artistique elle aussi très réussie, faisant penser immédiatement à un autre titre récent de Square, Octopath Traveler. On retrouve d'ailleurs une partie des équipes de ce JRPG sur TS (dont Tomoya Asano à la production), ce qui explique beaucoup de chose, puisque selon moi TS possède certaines des qualités (et surtout des défauts) de ce dernier.
Le jeu est donc beau, avec notons le un chara design réussi le rapprochant de chefs d’œuvre tel que Tactics Ogre ou Final Fantasy Tactics sans toutefois atteindre le degré de maitrise de ces illustres ainés. Cette direction artistique disons le "jolie" (parfois criarde dans certains environnement avec un surutilisation de lumière et de couleurs vives donnant un effet "féérie" aux environnements) n'est finalement que le masque formel de ce qui fait le défaut essentiel de ce Triangle Strategy: D'une part une conception très académique et schématique de l'histoire, des personnages et du système de jeu, d'autre part un manque relatif de profondeur de de personnalité.
En effet le récit se laisse suivre sans déplaisir même si sous l'apparente complexité des choix moraux difficiles à faire il n'y a en réalité que quelques embranchements possibles dans cette histoire dirigiste et limitée à seulement quelques régions et personnages. Les enjeux ne sont également pas très palpitant et très classique dans leur déroulé, si ce n'est peut être la destinée du peuple (Hébreu) Rozelle, qui se démarque du reste. On suit les chapitres comme dans un livre sans pouvoir se déplacer sur la carte. Les tableaux d'exposition, peu nombreux au final, sont souvent les mêmes, cassant la sensation de voyage mais aussi donnant le ressenti d'un univers réduit et manquant d'ampleur comme si l'on se trouvait dans une maison de poupée. Au manque de diversité des paysages s'ajoute celle des ennemis qui sont peu variés et pauvres dans leurs mécaniques. On a clairement l'impression de voir une version édulcorée et un peu creuse de Tactics Ogre (dont la richesse étonne encore presque 30 ans plus tard). C'est un problème, d'autant plus que la narration est censé être le point fort du jeu. Le système de la "balance des convictions", où l'on doit essayer de convaincre ses alliés d'une décision, est original mais aussi trop conceptuel, masquant selon moi le manque d'aboutissement de l'écriture du scénario là où un FF Tactics ou un Tactics Ogre, voire les Fire Emblem, font beaucoup mieux car les choix sont intégrés aux dialogues et à l'histoire qui est racontée. Pire, ce système trop schématique amène parfois à devoir choisir entre des décisions parfois contradictoires ou illogiques par rapport aux précédentes.
Dans TS l'histoire et le système de jeu sont donc indissociablement liés puisque que l'on nous propose de suivre les péripéties du jeune Serenor dans un conflit opposant trois grandes nations représentant trois archétypes un brin caricaturaux de rapport au monde: libéralisme (capitalisme), égalitarisme (théocratie), tradition (féodalisme). A cela s'ajoute un système de valeurs appelant des choix de la part du joueurs au cours de l'aventure: Liberté, pragmatisme ou éthique. Ce système de choix n'est pas inintéressant et pourrait être considéré comme l'un des apports de TS au genre s'il n'était pas trop simpliste puisque les choix se limitent à quelques embranchements d'histoires au détriment de tout le reste, et notamment du fond, le système de jeu, avec la personnalisation de son armée et de sa campagne réduites à la portion congrue (on est très loin d'un Fire Emblem par exemple). Finalement l'on peut dire que le concept fort de Triangle Strategy, à savoir le système de choix via la "balance des convictions", n'est que le verni narratif d'un système de jeu en réalité ultra dirigiste ne laissant presque aucune marge de créativité au joueur.
Il est néanmoins à noter que ce manque criant de liberté n'empêche pas pour autant TS de proposer de nombreux personnages jouables, qui, s'ils ne sont pas très travaillés narrativement pour la plupart, possèdent tous des compétences uniques et pour certaines très originales dans ce genre de production. On peut par exemple avoir un forgeron qui va construire des échelles pour faciliter les déplacements, ce qui est une très bonne idée. L'aspect stratégique reste présent malgré tout, et les batailles (trop peu nombreuses malheureusement) restent stimulantes et demanderont une utilisation habile des spécialités de chaque personnage pour être emportées. Enfin, l'impact du terrain et de la météo sont des ajouts appréciables qui permettent des combinaisons d'éléments intéressantes, même si difficile à réaliser en réalité.
La musique de Akira Senju quant à elle est à l'image du reste du jeu, bonne mais moyennement inspirée. Si le thème principal est plutôt réussi (Our Path) les thèmes des trois contrées illustrent de manière un peu trop académiques et littérales les univers traversés. Les musiques de combats sont entrainantes sans pour autant atteindre les sommets épiques d'un Fire Emblem ou la magistrale mélancolie d'un Final fantasy Tactics (dont on sent l'influence de Hitoshi Sakimoto sur l'un des meilleurs titres de TS: Indomitable). Surtout il manque une cohérence d'ensemble entre des morceaux qui pris seuls ne sont pas inintéressants (l'utilisation orchestrale du violon est parfois magnifique) mais qui ensemble manquent nettement de consistance. On sent aussi les inspirations prises sur les prédécesseurs sans que les compositions de Triangle Strategy n'affirment une identité vraiment singulière.
Pour conclure l'on peut dire que sur le papier ce Triangle Strategy avait tout pour plaire mais, comme Octopath Traveler en son temps, c'est une fois gratté le vernis des apparences flatteuses que le bat blesse et que les limites de ce jeu concept apparaissent. L'expérience proposée n'en reste pas moins assez plaisante, et la courte trentaine d'heure de jeu nécessaire pour venir à bout de TS (plus pour ceux qui souhaiteront débloquer tout les personnages et embranchements) devrait satisfaire la plupart des amateurs de Tactical RPG. Ce genre de jeu étant relativement rare et difficile à produire, ne boudons pas notre plaisir. Avec de l’appétit le fruit était tout de même rassasiant, malgré un goût amer en bouche.