Alors que Electronics Arts instaure sa présentation annuelle d’un petit titre dépaysant à sa conférence de l’E3, c’est à l’édition 2015 qu’un petit jeu de plates-formes et de réflexion se dévoile, suivant les aventures d’un petit personnage tout mignon fait de laine et se défaisant des pièges que la nature et la technologie mettront sur son chemin. Immédiatement subjugué par cette réalisation réaliste ultra-détaillée et le rapport d’échelle installé par ce contexte scénaristique, l’annonce de ce titre figure parmi celles que j’aurais le plus retenu de cet E3. Mais est-ce que le studio suédois Coldwood Interactive est parvenu à créé la surprise au-delà de cette annonce ? Eux qui n’avaient d’expérience que sur des jeux de ski à la popularité des plus relatives dirons-nous, rien ne semblait garanti.
La critique étant longue, je vous propose pendant sa lecture l’écoute de Rusted Apart. A noter que j’ai fait le jeu dans sa version Xbox Series S.
RÉALISATION / ESTHÉTISME : ★★★★★★★★☆☆
Si la réalisation de très haute volée promise dans les trailers semblait trop belle pour être vraie, on ne peut que reconnaître devant le produit final qu’elle est finalement à la hauteur des attentes qu’elle a généré. Le niveau de détails de tous les éléments à l’écran est proprement hallucinant, j’ai eu beau poser mon regard un petit peu partout, je n’ai trouvé aucun défaut dans cet environnement en 3D mais que l’on explore en 2D. Autant le dire tout de suite, c’est même le plus gros point fort du jeu à mon sens en s’inscrivant tout simplement parmi ce qui se fait de mieux dans son genre à l’époque de sa sortie comme pour les années à venir et ça ce n’est vraiment pas rien comme tour de force de la part d’un petit studio de développement à la base.
Certes, il n’y a pas énormément de mouvements à l’écran, les décors ne sont pas ultra vivants constamment mais c’est ce qui permet sans doute un tel niveau de détails et il arrive qu’il y est ce mouvement et même avec la profondeur de champ lors de certains passages. Et le plus beau dans tout ça c’est que cette réussite a lieu sans compromis technique gênant (instabilité du framerate, manque d’animations…) en dehors d’un effet de flou à l’arrière-plan auquel je me suis bien vite habitué, qui finit même par s’intégrer dans un sens au sein de la direction artistique du jeu.
Cette dernière découle directement du parti narratif du titre nous plongeant dans des souvenirs d’enfance en pleine Scandinavie, mêlant ainsi paysages naturels et humains faisant écho à ces régions et à ces instants. La plupart du temps, ça amène à des lieux que je trouve assez dépaysants et bien que je ressente la patte nordique conférant une certaine identité visuelle aux décors, je leur trouve aussi une portée assez universelle surprenamment. Les premières sorties en forêt, les premières classes de neige… je suis parvenu à m’identifier à certains de ces repères visuels qui ne manquent pas de profiter de superbes décors profitant comme il se doit de la réalisation de haute volée décrite plus tôt, mention spéciale aux cavernes de glace.
Par contre, je ne sais pas pourquoi mais la direction artistique peut devenir très anxiogène avec certains environnements tels que les marais et bien que je sois plutôt friand de ce type d’ambiance habituellement, je les ai trouvé un peu trop en décalage avec le ton de l’univers visuel. Très concrètement, quand on passe d’une randonnée champêtre avec animaux, champignons… proliférant plein de couleurs vives dans tous les sens à des marécages polluées et infestées de moustiques dans une ambiance très sinistre, il y a quelque-chose d’assez dissonant auquel je n’ai pas trop adhérer.
C’est d’ailleurs là ma principale réserve sur le plan visuel d’Unravel qui est dans l’ensemble une très grande réussite. C’est vrai jusqu’au design de Yarny qui est quant à lui plutôt simpliste mais tout à fait efficace pour faire office de petite mascotte au jeu comme au studio, le game-director l’arborant tout timidement lors de la présentation reste une image qu’EA a beaucoup utilisé pour sa communication. C’est un choix que je trouve d’ailleurs très cohérent avec le jeu mais également avec le label qu’EA voulait porter par la même occasion, joli coup.
Sur le plan sonore, un travail assez impressionnant a été abattu pour générer les ambiances de danger avec bruits menaçants et forts contrastant avec des ambiances beaucoup plus paisibles et l’OST composée par Frida Johansson et Henrik Oja, assez inconnus du grand public jusque-là, retranscrit bien tout ça. On a même droit à quelques thèmes très réussis, notamment dans le registre de la mélancolie pour le ton nostalgique du récit, c’est juste que ça se répète un peu, un défaut attendu de ce genre de production. Malheureusement nous venons de voir tout ce qu’il y a de plus positif à mon sens dans Unravel et il va me falloir maintenant apporter bien des nuances à ce tableau, à commencer par ses aspects ludiques.
GAMEPLAY / CONTENU : ★★★★★★☆☆☆☆
Quand on prend les commandes d’Unravel, on se rend bien vite compte qu’on est en face d’un jeu où le gameplay ne va pas être très dynamique ou technique, les déplacements de Yarny sont lents, ses sauts sont assez piteux, ses moyens d’interaction sont limités, ses mécaniques de grappin avec la laine sont très assistées… un maniement qui n’évoluera pas en cours de jeu malgré tout ce qui aurait pu être fait avec cette laine qui aurait permis bien des choses sur le papier. Les situations de jeu se doivent donc d’être très ingénieuses pour très bien exploiter tout ça à travers des phases de réflexion et de plateforme, mâtinées d’exploration éventuellement.
Les phases de plate-forme sont d’une très grande facilité la plupart du temps avec un parcours assez clairement établi, un checkpoint pas très loin en cas d’échec et une confortable marge de manœuvre, sauf quand le jeu décide d’un coup de demander beaucoup de précision sur un saut en particulier sans trop qu’on comprenne pourquoi. Il m’est aussi arrivé à plusieurs reprises de confondre plate-forme et élément de décor sans possibilité d’interaction, ce n’est jamais très agréable même si ça poserait peut-être un peu plus problème lors des résolutions d’énigmes.
Ces phases de réflexion sont tout de même un peu plus ambitieuses et intéressantes dans l’ensemble avec des mécaniques assez variées, souvent liées aux environnements très différents les uns des autres et avec ce fil rouge ludique de justement économiser son fil utilisé pour ne pas arriver à court avant le prochain checkpoint, la courbe de difficulté pouvant là aussi être un peu hasardeuse à bien y regarder. Le plus gros reproche que je pourrais faire à ces phases c’est que des mécaniques de jeu peuvent être assez approximatives et être à l’origine du syndrome d’être bloqué parce que t’as fait la bonne action mais qu’elle a manqué de peu, t’encourageant à essayer une multitude de solutions impossibles avant de revenir à la bonne action par hasard.
Le moteur physique peut parfois être au centre d’une résolution et faire quelques caprices pour d’un coup résoudre complètement la situation au point que je me suis pas demandé si c’était prévu de s’en sortir comme ça. Tout le dernier niveau ne montre que trop bien malheureusement à quel point le jeu peut devenir excessivement laborieux alors que tu as trouvé la solution pour avancer et que tu t’y prends plutôt bien. Mais ça, ce n’est pas tout le temps le cas bien entendu, il y a beaucoup de passages qui fonctionnement très bien, y compris avec ce moteur physique, c’est juste qu’il a aussi de bons ratés là-dedans qui limitent la qualité ludique du jeu.
C’est un gameplay très fonctionnel et avec ses qualités mais sans la maîtrise d’un studio plus expérimenté. Avec une durée de vie allant de 6 à 8 heures, les petites récompenses annexes à dénicher amenant cette petite dose d’exploration plutôt bienvenue bien qu’anecdotique, on est en plein d’en ce que l’on peut attendre d’un jeu de cet acabit, plus aurait été superficiel, moins aurait été un peu expédié. C’est donc un bilan a minima positif qu’on peut en tirer mais de bien moindres mesures que pour la réalisation et l’esthétisme, il en sera de même pour le scénario et narration.
SCENARIO / NARRATION : ★★★★★★☆☆☆☆
Tout d’abord, le jeu commence par délivrer ses intentions avec une certaine forme de maladresse à mon sens. Le texte de remerciements en tout début d’aventure dévoile toutes les intentions narratives du jeu en expliquant ses thèmes avant qu’on ait pu avoir le temps de les découvrir manette en mains, le même message, s’il avait été absolument nécessaire, aurait été plus approprié en fin de jeu à mon sens. J’ai toujours tendance à percevoir ça comme si les développeurs ne faisaient pas confiance en leur narration et préférait d’emblée tout dévoiler explicitement pour être sûr que les joueurs comprennent où ils voulaient en venir.
C’est d’autant plus dommage, quoique plutôt secondaire tout de même comme reproche, que ces thématiques sont rapidement explicites par les faits, cette narration étant très peu dialoguée avec une cinématique d’introduction posant un contexte pour être suivie par une narration environnementale faisant le reste. Alors qu’on parcourt les niveaux, on entrevoit des personnages figés dans ces décors, on interprète ce à quoi ça peut faire référence et on débloque petit texte et photographies à la fin du même niveau pour nous faire comprendre tout ça. C’est un schéma narratif très clairement établi et qui pourra être pris habilement à contre-pied à de rares occasions.
Le fil rouge, littéralement pour le coup, de l’intrigue repose sur ce gimmick de laine et de tricot donnant son nom au personnage comme au titre du jeu, mais cette symbolique, aussi mignonne soit-elle, est assez superficielle et la métaphore des souvenirs comme autant de fils emmêlées ne vole tout de même pas très haut, elle me paraît même un peu forcée. Les liens entre les souvenirs ne sont vraiment pas évidents à comprendre sans surinterpréter et du coup ce scénario manque clairement de matière à mon sens, bien qu’il ralentisse le rythme du jeu, impose des cinématiques, du texte…
Pour moi, il aurait fallu abandonner cette intrigue ou la relayer davantage au second plan, sinon la développer davantage en faisant en sorte de faire évoluer une intrigue avec les personnages humains au rythme des souvenirs que Yarny traverse et le fait de replonger dans ces souvenirs impacterait l’intrigue. Là il n’y a pas d’intrigue à laquelle il est possible raccrocher les souvenirs. J’ai presque l’impression qu’ils sont donnés dans un ordre un peu aléatoire par moment, alors que pourtant l’ordre des niveaux est imposé. Je suis peut-être passé à côté du scénario mais au cours de mes recherches j’ai le sentiment que peu de gens se sont interrogés et que les rares à l’avoir fait ont surtout inventer une petite histoire à partir de bien peu d’éléments concrets.
En dehors de quelques messages écologiques que l’on peut comprendre d’une nature dévastée par des déchets, Unravel raconte bien peu de choses en dehors de son sentiment de nostalgie répétée encore et encore par cette narration environnementale. Une telle approche narrative peut avoir son charme, et l’a d’une certaine manière, mais personnellement ça ne me suffit pas pour ne pas constituer une petite lacune entachant quelques peu un bilan qui de toute manière sera positif mais nuancé, que je juge ou non cette partie scénaristique.
CONCLUSION : ★★★★★★★☆☆☆
Si réalisation et direction artistique font profiter à Unravel de formidables fulgurances visuelles à la hauteur des attentes que j’avais pu y placer, le manque d’ambitions ludiques et scénaristiques que je perçois m’empêche d’y voir le grand jeu auquel j’ai voulu espérer. Ce petit voyage où se mêlent réflexion et contemplation restera tout de même un bien agréable souvenir et c’est déjà beaucoup étant donné le manque d’expérience du studio et la mauvaise réputation du moment de l’éditeur de part leur ingérence dans les développements qu’ils soutenaient. Le succès du jeu a même pleinement lancé le label EA Originals pour les années à venir et en ce sens il n’est pas étranger à mon léger regain d’estime envers EA à la même période.