Mes citations préférées
27 livres
créée il y a plus de 3 ans · modifiée il y a plus d’un anVie et Destin (1962)
Zhizn i Sudba
Sortie : 1980 (France). Roman
livre de Vassili Grossman
Leo_Mance a mis 10/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.
Annotation :
Une des propriétés les plus extraordinaires de la nature humaine qu'ait révélé cette période est la soumission. On a vu d'énormes files d'attente se constituer devant les lieux d'exécution et les victimes elles-même veillaient au bon ordre de ces files. On a vu des mères prévoyantes qui, sachant qu'il faudrait attendre l'éxécution pendant une longue et chaude journée, apportaient des bouteilles d'eau et du pain pour leurs enfants. Des millions d'innocents, pressentant une arrestation prochaine, préparaient un paquet avec du linge et une serviette et faisaient à l'avance leurs adieux. (...) Et ce ne furent pas des dizaines de milliers, ni même des dizaines de millions, mais d'énormes masses humaines qui assistèrent sans broncher à l'extermination des innocents. Mais ils ne furent pas seulement des témoins résignés; quand il le fallait, ils votaient pour l'extermination, ils marquaient d'un murmure approbateur leur accord avec les assassinats collectifs. Cette extraordinaire soumission des hommes révéla quelque chose de neuf et d'inattendu. Bien sûr, il y eut la résistance, il y eut le courage et la ténacité des condamnés, il y eut des soulèvements, il y eut des sacrifices, quand, pour sauver un inconnu, des hommes risquaient leur vie et celle de leurs proches. Mais, malgré tout, la soumission massive reste un fait incontestable. Il faut s’interroger sur ce qu’a dû voir et endurer un homme pour en être réduità attendre comme un bonheur le moment de son exécution . Et en premier lieuceux qui devraient s’interroger là-dessus, ce sont les hommes qui sont enclins àexpliquer comment il aurait fallu combattre dans des conditions dont, parchance, ces professeurs n’ont pas la moindre idée
Le Dernier Stade de la soif
A Fan's Notes
Sortie : 1968 (France). Roman
livre de Frederick Exley
Leo_Mance a mis 9/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.
Annotation :
Quelques années plus tard, en ouvrant le journal, j’appris que Robert R. Young, après avoir avalé œufs et jambon au petit-déjeuner, était remonté dans son bureau, avait calé le canon d’un fusil à pompe dans sa bouche et s’était fait exploser la cervelle. Cela me fit sourire. Il n’y avait rien de vindicatif dans ce sourire : je n’avais jamais considéré Young comme un homme de chair et de sang. Pour moi, ce n’était qu’un petit être guilleret que je voyais sautiller en haut de Grand Central, entouré d’une escouade d’encravatés. Je n’avais jamais cru en sa réalité. Je souris car tous ceux que je connaissais à New-York Central […] pensaient que Young était un homme décidé, un homme qui allait sauver l’industrie tout entière de quelques prises de décisions bien senties, de transport intermodal, de trains ultralégers et de prestations sur tout le territoire, oui monsieur ! Et mon sourire se fit triste, puis éploré : Young, avec ce seul beau geste, était devenu vivant pour moi, était devenu un homme. Car le suicide est le plus éloquent cri du cœur de ceux qui cherchent en vain leur chemin.
La Peau (1949)
La Pelle
Sortie : 1949 (France). Roman
livre de Curzio Malaparte
Leo_Mance a mis 10/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.
Annotation :
La peau, répondis-je à voix basse, notre peau, cette maudite peau. Vous ne pouvez pas imaginer de quoi est capable un homme, de quels héroïsmes, de quelles infamies il est capable, pour sauver sa peau. Cette sale peau. (Ce disant, je saisis avec deux doigts la peau du dos de ma main, et la tiraillai en tous sens.) Jadis on endurait la faim, la torture ; les souffrances les plus terribles, on tuait et on mourait, on souffrait et on faisait souffrir, pour sauver l’âme, pour sauver son âme et celle des autres. On était capable de toutes les grandeurs et de toutes les infamies, pour sauver son âme. Aujourd’hui on souffre et on fait souffrir, on tue et on meurt, on fait des choses merveilleuses et des choses terribles, non pas pour sauver son âme, mais pour sauver sa peau. On croit lutter et souffrir pour son âme, mais en réalité on lutte et on souffre pour sa peau, rien que pour sa peau. Tout le reste ne compte pas. C’est pour une bien pauvre chose qu’on devient un héros, aujourd’hui ! Pour ça, pour une sale chose. La peau humaine est bien laide.
Bubu de Montparnasse (1901)
Sortie : 1901 (France). Roman
livre de Charles-Louis Philippe
Leo_Mance a mis 8/10.
Annotation :
Il ne connaissait personne et marchait toujours, et des passants nouveaux passaient, tous semblables, avec leur indifférence, et qui ne le regardaient même pas. Leur bruit l’entourait comme celui d’une multitude dont il ne faisait pas partie. Il les voyait par masses, avec des remous et des gestes, gais comme quelques éclats de rire qu’il avait entendus au passage et brillants comme quelques regards de femmes qu’il avait vu briller.
Il essayait de se raccrocher à quelque chose pour n’être pas submergé. Il avait besoin de descendre en lui-même et d’y trouver, en face de ce qui passait, quelque joie pour n’être pas perdu au milieu de l’universelle gaieté. Il voulait opposer une digue au flux montant et crier : « J’existe aussi. Avec des pierres et du ciment je me dresse et je vous arrête alors que vous hurlez.
Il marchait comme marche l’espérance. Quelque jeune femme à la taille serrée marchait devant lui, alors il ralentissait le pas pour mieux la voir. Voici qu’elle lui adressait un sourire. Alors il allongeait le pas pour mieux la fuir et parce qu’une autre femme à la taille serrée… il marchait comme marche l’espérance, de femme en femme. Il ne voulait pas des unes parce qu’elles étaient trop faciles. Il n’osait pas parler aux autres parce qu’elles n’avaient pas l’air faciles. Il marchait comme marche l’espérance, de femme en femme, jusqu’à ce qu’il n’y ait plus d’espérance.
Le Désert des Tartares (1940)
Il Deserto dei Tartari
Sortie : 1949 (France). Roman
livre de Dino Buzzati
Leo_Mance a mis 10/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.
Annotation :
Hélas ! il ne ressent pas de grands changements, le temps a fui si rapidement que son âme n'a pas réussi à vieillir. Et l'angoisse obscure des heures qui passent a beau se faire chaque jour plus grande, Drogo s'obstine dans l'illusion que ce qui est important n'est pas encore commencé. (...) Au fond une simple bataille lui eût suffi, une seule bataille, mais sérieuse ; charger en grande tenue et pouvoir sourire en se précipitant vers les visages fermés des ennemis. Une bataille, et ensuite peut-être il eût été content toute sa vie.
Le Hussard bleu (1950)
Sortie : 20 octobre 1950 (France). Roman
livre de Roger Nimier
Leo_Mance a mis 9/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.
Annotation :
La philo n'est pas mal non plus. Malheureusement, elle est comme la Russie : pleine de marécages et souvent envahie par les Allemands.
Le Joueur (1866)
(traduction André Markowicz)
Игрок (Igrok)
Sortie : 1991 (France). Roman
livre de Fiodor Dostoïevski
Leo_Mance a mis 9/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.
Annotation :
Eh bien ! chaque famille ici est réduite par son vater à l’esclavage absolu. Tous travaillent comme des bœufs, tous épargnent comme des Juifs. Le vater a déjà amassé un certain nombre de florins qu’il compte transmettre à son fils aîné avec sa terre ; pour ne rien détourner du magot, il ne donne pas de dot à sa fille, à sa pauvre fille qui vieillit vierge. De plus, le fils cadet est vendu comme domestique ou comme soldat, et c’est autant d’argent qu’on ajoute au capital. Ma parole !... Tout cela se fait par honnêteté, par triple et quadruple honnêteté ; le fils cadet raconte lui-même que c’est par honnêteté qu’on l’a vendu. Quoi de plus beau ? La victime se réjouit d’être menée à l’abattoir ! D’ailleurs, le fils aîné n’est pas plus heureux. Il a quelque part une Amalchen avec laquelle il est uni par le cœur, mais il ne peut pas l’épouser parce qu’il n’a pas assez de florins. Et ils attendent tous deux sincèrement et vertueusement. Ils vont à l’abattoir avec le sourire sur les lèvres ; les joues de l’Amalchen commencent à se creuser ; elle sèche sur pied. Encore un peu de patience ; dans vingt ans la fortune sera faite, les florins seront honnêtement et vertueusement amassés. Alors, le vater bénira son fils, un jeune homme de quarante ans, et l’Amalchen, une jeunesse de trente-cinq, à la poitrine plate et au nez rouge. À ce propos, il pleurera, il lira de la morale et puis... il mourra. L’aîné deviendra à son tour un vater vertueux, et la même histoire recommencera. Dans cinquante ou soixante-dix ans, le petit-fils du premier vater continuera l’œuvre, amassera un gros capital et alors... le transmettra à son fils ; celui-ci au sien, et, après cinq ou six générations, naît enfin le baron de Rothschild, ou Hoppe et Cie, ou le diable sait qui. Quel spectacle grandiose ! Voilà le résultat de deux siècles de patience, d’intelligence, d’honnêteté, de caractère, de fermeté... et la cigogne sur le toit ! Que voulez-vous de plus ? Ces gens vertueux sont dans leur droit quand ils disent : ces scélérats ! en parlant de tous ceux qui n’amassent pas, à leur exemple. Eh bien ! j’aime mieux faire la fête à la russe ; je ne veux pas être Hoppe et Cie dans cinq générations ; j’ai besoin d’argent tout de suite ; je me préfère à mon capital...
La Mort est mon métier (1953)
Sortie : 1953 (France). Roman
livre de Robert Merle
Leo_Mance a mis 9/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.
Annotation :
Il y a bien des façons de tourner le dos à la vérité. On peut se refugier dans le racisme et dire : les hommes qui ont fait cela étaient des Allemands. On peut aussi en appeler à la métaphysique et s’écrier avec horreur, comme un prêtre que j’ai connu : « Mais c’est le démon ! Mais c’est le Mal !... ».
Je préfère penser, quant à moi, que tout devient possible dans une société dont les actes ne sont plus contrôlés par l’opinion populaire. Dès lors, le meurtre peut bien lui apparaitre comme la solution la plus rapide à ses problèmes.
Ce qui est affreux et nous donne de l’espèce humaine une opinion désolée, c’est que, pour mener à bien ses desseins, une société de ce type trouve invariablement les instruments zélés de ses crimes.
C’est un de ces hommes que j’ai voulu décrire dans La Mort est mon Métier. Qu’on ne s’y trompe pas : Rudolf Lang n’était pas un sadique. Le sadisme a fleuri dans les camps de la mort, mais à l’échelon subalterne. Plus haut, il fallait un équipement psychique très différent.
Il y eu sous le nazisme des centaines, des milliers, de Rudolf Lang, moraux à l’intérieur de l’immoralité, consciencieux sans conscience, petits cadres que leur sérieux et leurs « mérites » portaient aux plus hauts emplois. Tout ce que Rudolf fit, il le fit non par méchanceté, mais au nom de l’impératif catégorique, par fidélité au chef, par soumission à l’ordre, par respect pour l’Etat. Bref, en homme de devoir : et c’est en cela justement qu’il est monstrueux.
La Liberté et la Mort (1953)
Kapetán Mikhális
Sortie : 1956 (France). Roman
livre de Níkos Kazantzákis
Leo_Mance a mis 10/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.
Annotation :
" Les Francs, ces chiens de Francs n'ont pas de coeur, la pauvre Grèce n'a pas de force, les Crétois sont trop peu nombreux, ils n'ont pas assez de fusils et encore moins de pain. Comment résister, dans ces conditions ? Et voilà le bon Dieu avec son hiver ; il lutte contre nous, lui aussi, avec les Turcs... Pauvre Crète, tu n'as pas encore fini de souffrir ", murmura le vieillard en fermant les yeux.
La Crète tout entière s'étendait sur son front, d'une tempe à l'autre, avec ses montagnes, ses plaines et ses rivages, avec ses oliviers, ses caroubiers et ses vignes, avec ses villages, ses enfants et leur sang ... Il en avait vu des révolutions ! Combien de fois les maisons avaient-elles été brûlées, les récoltes saccagées, les femmes violées et torturées !
Combien d'hommes étaient morts ! Pourtant, Dieu refusait de tourner son regard vers la Crète. Lui, le Capétan Sifakas, un seul homme, une seule vie, avait vu la Crète se soulever sept fois, se couvrir de sang et retomber de nouveau sous le joug ...
_ La justice, ça n'existe pas sur cette terre, la pitié non plus. Et Dieu ? Existe-t-il ? cria le vieillard en frappant du point sur l'ardoise. Il ne nous entend pas. Il est sourd, ma foi, ou bien alors incapable de pitié !
Mais à ce moment, Thrassaki, son petit-fils, sortit de la maison et le visage de l'aieul s'apaisa, brusquement, comme si Dieu lui répondait : " Tout finira bien, ne crie pas, vieillard, voilà ton petit-fils ! "
Kaputt (1944)
Sortie : 1946 (France). Roman
livre de Curzio Malaparte
Leo_Mance a mis 9/10, l'a mis dans ses coups de cœur et l'a mis en envie.
Annotation :
"Merci, lui répondis-je, il faut que je m'en aille, je reviendrai une autre fois, si vous voulez bien, nous pourrons parler..." J'aurais voulu lui dire : nous parlerons de l'Italie, mais je ne le dis pas, peut-être par pudeur, peut-être aussi parce qu'il me paraissait cruel de lui parler de l'Italie. Et puis...qui sait si l'Italie avait une existence réelle? Qui sait si l'Italie existait encore? Il n'existait plus rien, désormais, sinon la sombre, noire, cruelle, orgueilleuse et désespérante Allemagne. L'Italie? ah ben ça oui! Je descendis l'escalier en riant, car je n'étais plus bien sûr, à ce moment la, que l'Italie existât pour de bon. Je descendis l'escalier en riant et dès que je fus dehors, crachai sur la neige boueuse : Ah ben oui, l'Italie! dis-je à haute voix : ah ben oui!
Middlemarch (1871)
Sortie : 1871. Roman
livre de George Eliot
Leo_Mance a mis 9/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.
Annotation :
Son esprit marqué de noblesse gardait son attachement à de nobles causes, même si elles n'étaient pas d'une grande visibilité. Sa riche nature tel le fleuve dont Cyrus brisa la violence, se répandait par des canaux qui ne portaient pas de grand nom sur cette terre. Pourtant l'effet de son être sur ceux qui l'entouraient étaient d'une incalculable étendue ; car la croissance du bien dans ce monde dépend en parties d'actes qui n'ont rien d'historique ; et si les choses vont moins mal qu'elles ne le pourraient pour vous et moi, on le doit un peu au nombre d'êtres qui mènent fidèlement une vie cachée avant de reposer en des tombes délaissés.
La Plaisanterie (1967)
Žert
Sortie : 1980 (France). Roman
livre de Milan Kundera
Leo_Mance a mis 10/10.
Annotation :
Et je songeais en effet qu'il se tirerait sans doute de cet infarctus, ainsi que le second violon l'avait prédit, mais que ce serait ensuite une vie changée du tout au tout, une vie sans dévouement passionné, sans jeu acharné dans l'orchestre, la seconde mi-temps, mi-temps après la défaite, et l'idée m'envahit qu'un destin souvent s'achève bien avant la mort, que le moment de la fin ne coïncide pas avec celui de la mort, et que le destin de X était arrivé à son terme.
L'Espoir (1937)
Sortie : 1937 (France). Roman
livre de André Malraux
Leo_Mance a mis 9/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.
Annotation :
Ces mouvements musicaux qui se succédaient, roulés dans son passé, parlaient comme eût pu parler cette ville qui jadis avait arrêté les Maures, et ce ciel et ces champs éternels; Manuel entendait pour la première fois la voix de ce qui est plu grave que le sang des hommes, plus inquiétant que leur présence sur la terre, - la possibilité infinie de leur destin; et il sentait en lui cette présence mêlée au bruit des ruisseaux et au pas des prisonniers, permanente et profonde comme le battement de son cœur.
Rapport au Greco (1961)
Sortie : 1961 (France). Essai
livre de Níkos Kazantzákis
Leo_Mance a mis 8/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.
Annotation :
Pour la première fois j'ai senti Dieu venir auprès de moi. Pour la première fois, j'ai compris, les Ecritures me le disaient, mais ce n'étaient que des mots, pour la première fois dans ma vie privée de rire, inhumaine, j'ai compris à quel point Dieu est très bon et aime les hommes ; et à quel point il doit avoir pitié d'eux pour avoir crée la femme et lui avoir donné une telle grâce, pour qu'elle nous mène par le chemin le plus sûr, le plus court, au Paradis. La femme est plus puissante que la prière, que le jeûne et, pardonne-moi, mon Dieu, que la vertu même.
Le Sang noir (1935)
Sortie : 1935 (France). Roman
livre de Louis Guilloux
Leo_Mance a mis 8/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.
Annotation :
Tant qu'il avait cru mépriser le monde, comme il avait été fort ! Mais le monde se vengeait. Cripure mesurait aujourd'hui combien il lui avait été facile de se poser en adversaire. Désormais, cette attitude n'avait plus aucun sens. L'aventure humaine échouerait dans la douleur, dans le sang. Et lui, qui avait toujours prétendu, comme à une noblesse, vivre retranché des hommes et les mépriser, il découvrait que le mépris n'était plus possible, excepté le mépris de soi.
Mars (1975)
Sortie : octobre 1979 (France). Récit
livre de Fritz Zorn
Leo_Mance a mis 10/10 et a écrit une critique.
Annotation :
Mais en réalité il n'existe pas
ce Moscou légendaire ou tout est censé être encore plus noir qu'à
l'endroit ou justement on se trouve. Il n'existe pas non plus
d'endroit ou tout est toujours plus noir que l'Eldorado ou tout est
toujours plus doré que chez nous. Ce serait encore un lieu imaginaire
même si, à Moscou, les choses étaient bien plus noirs qu'à Zurich,
comme l'espèrent beaucoup de suisses ; et pas seulement parce que l'on
peut être heureux même à Moscou et malheureux même à Zurich. Même si
Moscou devait être le sombre endroit que décrit la légende, qu'est ce
que cela peut faire à Moscovite heureux? Et même si les choses étaient
aussi merveilleuses à Zurich qu'on se plaît à l'affirmer dans ce pays,
à quoi cela sert-il au Zurichois malheureux? Lorsqu'il s'agit de juger
si une chose est bonne ou mauvaise, peu importe qu'une autre chose
soit meilleure ou pire, de deux choses misérables il faut bien que
l'une des deux soit meilleure et aussi de deux choses excellentes,
l'une prend forcément la seconde place et est donc la plus mauvaise.
Il n'y a pas de chemin de Moscou. Je crois que, dans la vie, il n'y a
jamais vraiment de chemin de Moscou. Chaque situation dans laquelle on
se trouve est nécessairement la seule possible et on ne peut jamais se
dire : Dieu soit loué, au moins je ne suis pas à Moscou, car la, ce
serait pire. Chaque fois que je suis dépassé par un autre infirme
qu'on pousse dans son fauteuil à roulettes, c'est comme si une voix me
criait : Sois donc content puisque celui-là est encore plus mal loti
que toi- et alors c'est comme si cette voix voulait dire par la : Va
donc à Moscou! Mais même par rapport à ces autres infirmes il n'y a
pas non plus de chemin de Moscou. Je ne suis pas à Moscou, je ne suis
pas ailleurs, je suis moi et je me trouve au cœur de ma propre
tragédie, à savoir juste devant la catastrophe finale. Cela n'a aucun
intérêt de comparer entre eux les destins individuels. Chaque jour je
vois d'innombrables ratés, des infirmes, des abimés, à l'école, dans
la rue, au restaurent ; qu'on les pousse dans un fauteuil à roulettes
ou qu'on les transporte en ambulance après un accident de la
circulation, leur nombre s'allonge à l'infini. Lors d'une telle
confrontation cela ne sert à rien de se dire qu'on n'est pas le seul
vaincu et que l'autre aussi a été frappé par un triste sort ; cela n'a
aucune utilité, ni pour moi ni pour l'autre.
Les Célibataires (1934)
Sortie : 1934 (France). Roman
livre de Henry de Montherlant
Leo_Mance a mis 8/10.
Annotation :
Après deux minutes, l'homme et la femme sortirent ensemble, sans qu'elle eut jeté un seul regard à M. de Coantré. Et il entendit se lever cette musique pathétique qu'entendent les hommes, au moment ou une étrangère émouvante sort à jamais de leur vue et de leur vie.
Thérèse (1928)
Therese. Chronik eines Frauenlebens
Sortie : 1991 (France). Roman
livre de Arthur Schnitzler
Leo_Mance a mis 8/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.
Annotation :
Celui qui pendant vingt ans, avait été Casimir Lubitsch disparut à sa vue, comme disparu de sa vie. Le père de son enfant n'était plus qu'un homme parmi cent mille, un inconnu dont elle ignorait le nom.
Voyage au bout de la nuit (1932)
Sortie : 15 octobre 1932 (France). Roman
livre de Louis-Ferdinand Céline
Leo_Mance a mis 8/10.
Annotation :
Je refuse la guerre et ce qu'il y a dedans. Je la refuse tout net avec tous les hommes qu'elle contient. Seraient ils 984 millions et moi tout seul, c'est eux qui ont tord Lola, c'est moi qui ai raison (...) Alors vivent les fous et les lâches! Vous souvenez vous Lola, d'un de ces soldats tués pendant la guerre de 100 ans? Avez-vous jamais cherché à en connaître un seul nom? Ils vous sont indifférents, anonymes et plus inconnu encore que le dernier atome de ce papier. Dans 1000 ans, notre guerre à nous sera oubliée. Une douzaine d'érudits se chamailleront encore par ci par là des dates des principales hécatombes dont elle fut illustrée. Je ne crois pas en l'avenir Lola
Adieu à Berlin (1939)
Goodbye to Berlin
Sortie : 1946 (France). Roman
livre de Christopher Isherwood
Leo_Mance a mis 8/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.
Annotation :
Ce n'est pas la peine de tenter des explications ou de parler politique. La voici déjà en train de s'adapter, comme elle s'adaptera à n'importe quel nouveau régime. Ce matin je l'ai entendue prononcer sérieusement "der Führer" en parlant avec la concierge. Si on lui rappelait qu'aux élections de novembre dernier elle a voté communiste, elle s'en défendrait sans doute énergiquement et avec une parfaite conviction. C'est tout simplement qu'elle s'acclimate, en vertu d'une loi naturelle, comme un animal qui change de pelage pour l'hiver. Des milliers de gens pareils à Frl.Schroeder sont en voie d'acclimation. Après tout, quel que soit le régime au pouvoir, ils sont bien obligés de vivre dans cette ville.
Les Soldats de Salamine (2001)
Soldados de Salamina
Sortie : février 2004 (France). Roman
livre de Javier Cercas
Leo_Mance a mis 9/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.
Annotation :
Je vis Miralles marcher à travers le désert de Lybie vers l'oasis de Murzuch, jeune, déguenillé, poussiéreux et anonyme, brandissant le drapeau tricolore d'un pays qui n'est pas le sien, d'un pays qui est tous les pays à la fois et aussi celui de la liberté et qui n'existe que parce que lui et quatre Maures et un Noir ne cessent de le brandir, tout en continuant à marcher de l'avant, de l'avant, toujours de l'avant.
Il serait mort de rire si quelqu'un lui avait alors dit qu'il était en train de nous sauver tous en ces temps obscurs, et que peut-être précisément pour cette raison, parce qu'il n'imaginait pas que la civilisation dépendait de lui, il allait la sauver et nous avec, sans savoir qu'il obtiendrait en guise de récompense une chambre anonyme de résidence pour pauvres dans une ville éminemment triste qui n'était même pas la sienne, et ou, mis à part peut-être une religieuse qui ignorait qu'il avait fait la guerre, personne ne le regretterait.
Alexis Zorba (1946)
Sortie : 1947 (France). Roman
livre de Níkos Kazantzákis
Leo_Mance a mis 8/10, l'a mis dans ses coups de cœur, l'a mis en envie et a écrit une critique.
Annotation :
C'est difficile patron, très difficile. Pour ça, il faut de la folie. De la folie, tu m'entends? Jouer le tout pour le tout! Mais toi, tu as un cerveau, et c'est ce cerveau qui aura ta peau. Le cerveau, c'est un épicier, il tient des registres, il écrit: j'ai reçu tant, j'ai donné tant, j'ai tant de bénéfices, j'ai tant de pertes. C'est un bon bourgeois, il ne mise pas tout, il garde toujours des réserves. Il ne casse pas la ficelle, non! Il la tient bien serrée dans sa main, le salaud. Parce que s'il la laisse filer, il est foutu, foutu, le pauvre! Mais si tu ne casse pas la ficelle, dis moi un peu, quelle saveur elle a, la vie! C'est de la camomille, de la camomille insipide. Et la camomille ça ne vaut pas le rhum pour te faire voir le monde à l'envers! Tu as tout pour toi. Tu es jeune, riche, intelligent, en bonne santé, tu es un brave type et tu ne manques de rien. Ce serait bien le diable s'il te manquait quelque chose. Enfin si, il te manque une chose, on l'a dit: la folie. Et quand il te manque ça, patron...
Kyra Kyralina
Sortie : 1981 (France).
livre de Panaït Istrati
Leo_Mance a mis 8/10 et a écrit une critique.
Annotation :
J'ai su, moi, depuis le jour ou le destin m'a envoyé Barba Yani,
vendeur de salep et âme divine, j'ai su qu'il doit se considérer comme
heureux, l'homme qui a la chance de rencontrer dans sa vie un Barba
Yani. Je n'en ai jamais rencontré qu'un seul, lui. Mais il m'a suffit
pour supporter la vie, et, souvent, la bénir, chanter ses louanges.
Car la bonté d'un seul homme est plus puissante que la méchanceté de
mille ; le mal meurt en même temps que celui qui l'a exercé; le bien
continuera à rayonner après la disparition du juste. Comme le soleil
qui disperse les nuages et ramène la joie sur la terre, Barba Yani
foudroya le mal qui rongeait mon âme et remplit mon coeur de santé. Ce
ne fut pas sans résistance de ma part; ce ne fut pas sans opposition
vexante ; mais quel est le coeur qui, tant meurtri soit-il dans la
vie, est capable de tenir tête face à l'explosive bonté
Berlin Alexanderplatz (1929)
(traduction Olivier Le Lay)
Sortie : 2009 (France). Roman
livre de Alfred Döblin
Leo_Mance a mis 10/10.
Annotation :
Que tu veuilles, ô être humain, devenir sur cette terre un sujet masculin, alors réfléchis à deux fois, avant que la sage femme vers le jour te convoie ! la terre est un nid de misère ! Crois-en l'auteur de ces lignes, qui goûta bien souvent de ce plat dur et indigne ! Citation piquée au Faust de Goethe : L'homme toute sa vie n'est heureux d'ordinaire, qu'au seul stade embryonnaire... Voici le bon Etat nourricier, il te régente de l'aube au coucher. Il te pince et te rudoie allègrement de ses article et ses commandements ! Le premier dit : humain, paie ! le second : ferme ton clapet ! Ainsi vis-tu dans ton couchant, en un état d'accablement. Et tu cherches parfois à noyer l'ennui coriace, dans la bière, voire dans la vinasse, alors promptement tu chois et tu es schlass. Pendant ce temps le années s'accumulent, les mites boulottent ta chevelure, ça craque sinistre dans la charpente, les membres se flétrissent et débandent ; la jugeotte fermente dans la cervelle, et toujours plus mince la ficelle. Bref, tu remarques que c'est déjà l'automne, tu casses ta pipe et abandonnes. Et maintenant, je te demande, tremblant, ô ami, qu'est-ce que l'homme, qu'est-ce que la vie ? Déjà notre grand Schiller souverain : "Ce n'est point le plus grand des biens". Pour moi je dis : la vie est comme une échelle de poulailler, courte et pleine de fumier.
Journal d'un vieux dégueulasse (1969)
Notes of a Dirty Old Man
Sortie : 1977 (France). Essai
livre de Charles Bukowski
Leo_Mance a mis 8/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.
Annotation :
Les heures ont défilé, les cannettes de bière aussi (...) il y a eu aussi des moments de silence. durant lesquels chacun de nous s'est laissé envahir par ses pensées.
finalement Red a bondi sur ses pieds.
- bon, c'est pas tout ça, mon vieux, faut que je me rentre. mais quelle nuit d'enfer!
à mon tour, je me suis levé.
- tu l'as dit Red.
- putain, c'est bien vrai! allez à la revoyure.
- sûr vouais.
mais on semblait pas vouloir se quitter, comme si la nuit avait été réellement une grande chose.
- à te revoir, p'tit gars!
- d'accord, Bukowski.
je l'ai regardé contourner la haie par la gauche, cap sur Normandie, et Vermont, où il avait encore cette chambre pour trois, quatre jours. quand il a disparu, un vieux leste de lune a voulu participer à la tristesse de la scène et y est parvenu. j'ai refermé la porte, lampé un fond de bière éventée, éteint les lumières, rejoint mon lit et, une fois déloqué, je me suis glissé dedans, tandis que là bas, dans cette gare de triage, ils traversaient les voies pour se choisir un wagon, un endroit où dormir, où rêver d'une ville meilleure, d'un sort meilleur, d'un amour meilleur, d'une chance meilleure, de tout ce qu'il pouvait y avoir de meilleur. sauf que jamais ils n'y auraient droit, et qu'ils n'arrêteraient donc jamais de chercher.
c'est alors que je me suis endormi.
Le Dernier Été en ville (1973)
L'ultima estate in città
Sortie : 4 février 2021 (France). Roman
livre de Giancarlo Calligarich
Leo_Mance a mis 10/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.
Annotation :
Je posai ma main sur son petit ventre plat mais ne réussis pas à la bouger. J’étais glacé et malheureux et il n’y avait rien en moi, pas une once de cette tiédeur que je voulais plus que toute autre chose dans ma vie, cette tiédeur déchirante qui, partie de mon ventre, devait envahir mon corps et me pousser vers elle. Et la voix basse et implorante qu’elle avait empirait les choses. Plutôt que de la rapprocher de moi, elle me la rendait encore plus lointaine, inatteignable, et j’étais glacé, inerte et plein de tristesse.
Varsovie (1930)
Sortie : février 2001 (France). Roman
livre de Schalom Asch
Leo_Mance a mis 9/10, l'a mis dans ses coups de cœur et le lit actuellement.
Annotation :
Eveillé de son rêve il sut exactement ou il se trouvait et ce qui allait lui arriver, mais ils savaient aussi qu'ils ne détruiraient jamais le monde qu'il voyait, ni les champs, ni les arbres, vi la Vistule. Jamais. Tout cela vivrait après lui. Cela le rassénérait. Il était plein d'espérance pour ce monde qui lui survivrait. Il aimait le monde, il aimait les hommes. Il savait à présent pourquoi il mourait: il voulait voir le monde heureux après sa disparition. C'est pour cela qu'il avait tué un de ses tyrans, pour cela qu'on le fusillait aujourd'hui.
Il ouvrit tout grand les yeux et regarda ses bourreaux avec l'insolence de la jeunesse. Il rit, provocant, joyeux, et cria d'une voix métallique, inhumaine:
- Vous me détruirez mais vous ne détruirez jamais ce pays, ni le monde entier.