Miscellanées marxistes

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Les manuscrits de 1844 sont souvent décrits comme l’œuvre d'un Marx encore immature, qui cherche une voie pour sortir de Hegel, un Marx encore idéaliste, surtout préoccupé de questions morales. Néanmoins, on y voit poindre des concepts qui ressurgiront plus tard dans son œuvre: l'aliénation notamment, et l'idée d'extorsion de la plus-value.

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Le manifeste est surtout connu pour avoir popularisé le concept de classe, et celui de lutte des classes, dans le champs de la réflexion politique. Marx lui-même contestait la paternité du terme, la mettant au crédit d'historiens français (Guizot et Thiers en particulier). D'après lui, son apport était surtout d'avoir déterminé que les rapports de classes actuels devaient évoluer vers une nécessaire dictature du prolétariat et une abolition de la société de classes.

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Après avoir fondé son vocabulaire interprétatif dans le manifeste, Marx décide de mettre la bécane sur la route afin de découvrir ce qu'elle a dans le ventre. Les luttes de classes en France et le 18 Brumaire de Louis-Napoléon Bonaparte sont le résultat de cette expérimentation avec ces concepts nouveaux.

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Si les écrits journalistiques de Marx et Engels prouvent quelque chose c'est qu'ils n'ont jamais négligé le processus politique au profit d'une vision purement économisante de la progression historique.

Déjà les "pères fondateurs US" pensaient que l'esclavage s'éteindrait naturellement, qu'il disparaitrait remplacé par un mode de production plus moderne (dans le cas de Madison), ou politiquement moins couteux (dans celui de Jefferson). Beaucoup ont repris cet argumentaire après les faits, arguant que la disparition de l'esclavage était la conséquence logique de la création d'un capitalisme industriel basé sur le salariat. Cette vision mécaniste de la relation entre processus économique et processus politique se heurte aux lettres et articles écrits à l'époque par le duo. S'il est une chose claire c'est qu'ils considèrent qu'il doit y avoir révolution politique (et militaire) afin de transformer le mode de production esclavagiste. Ils assignent clairement au nord et à Lincoln la responsabilité de balayer l'économie sudiste et réduire à néant leur puissance politique. C'est aussi pourquoi ils insistent tant sur le rôle de l'Angleterre et du possible crédit politique qu'elle eut pu apporter aux sécessionnistes.

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La critique du programme de Gotha est surtout connu pour sa réflexion sur la notion d'état et sur son rôle dans la transition vers le communisme. Il est à la base d'un des ouvrages les plus influents de Lénine (l'état et la révolution).

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La théorie marxiste de la valeur est une de ses pierres angulaires, car c'est elle qui permet de caractériser comme exploitation le système de production capitaliste. C'est aussi ce qui fait du prolétariat la classe révolutionnaire par excellence, puisque le communisme peut se comprendre comme la réappropriation de la valeur par celui qui la produit. La maxime marxienne "chacun selon ses moyens, chacun selon ses besoins" est l'algorythme de la distribution de la valeur d'usage dans une société communiste. Lafargue ne se préoccupe pas de savoir comment celle-ci pourrait s'appliquer. A certains égards, on pourrait dire qu'il fait ici oeuvre d'agitprop, renouant avec l'utopisme prémarxiste en peignant le tableau d'une société délivrée de l'exploitation, dans laquelle les travailleurs regagnent la jouissance de la valeur qu'ils produisent.

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Cet essai, le plus connu sans doute de Luxembourg, est une critique en règle des théorie de Bernstein, mais est surtout une réflexion sur ce qui sera la plus cruciale des scissions des partis socialistes, à savoir celle entre une frange réformiste, prête à jouer le jeu de la démocratie parlementaire bourgeoise, et une frange révolutionnaire, toujours attachée à l'idée d'une confrontation radicale et violente avec l'état bourgeois. Cette opposition sera menée à la rupture par la première guerre mondiale et la révolution bolchévique: la plupart des partis socialistes se scinderont en un parti socialiste réformateur et un parti communiste révolutionnaire.

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L'état et la révolution, basée principalement sur une interprétation de la critique du programme de Gotha, a servi à établir une certaine orthodoxie, une vision "incrémentale" de la progression d'une société de classe capitaliste à une société de classe socialiste sous dictature du prolétariat avant le saut putatif dans le communisme. Il réfléchit également sur la place de l'état dans la révolution, et comment le prolétariat peut et doit se servir de l'état pour son propre anéantissement. Cette dernière leçon passe encore mal avec le anars de toutes obédiences, et quoiqu'on en pense elle a orienté le cours de la réflexion sur la pensée de Marx durant tout le vingtième siècle. La maoïsme en particulier peut être compris comme une tentative de repenser cette dialectique à nouveaux frais.

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Lorsqu'ils écrivaient le manifeste en 1848, Marx et Engels croyaient fondamentalement que le capitalisme n'en avait plus pour longtemps et qu'il serait bientôt balayé par la révolution prolétarienne. Engels, après la mort de Marx devait renouveler cet enthousiasme, puis ensuite revenir dessus. L'apport décisif de Lénine est d'avoir identifié l'impérialisme comme l'instrument de la survie du capitalisme, celui que Marx n'avait pas pu (pré-)voir complètement.

100 ans plus tard, les réflexions de Lénine restent confondantes d'actualité.

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Il est difficile, voire malhonnête, de minorer l'importance de la pensée marxiste dans le développement de la pensée anticoloniale. CLR James est un des plus brillants exemples de sa première vague (celle de l'entre deux guerres), venue en majorité des antilles (Garvey à la Jamaïque, Césaire à la Martinique). Même si elle n'a historiquement que peu de liens directs, elle partage beaucoup de similarités avec les premiers mouvements anticoloniaux en Asie (Kim Il Sung et Ho Chi Minh), dont l'attachement au communisme et à l'URSS provient de la déception de la promesse libérale wilsonienne, qui, malgré ses promesses d'autodétermination nationale, est restée lettre morte pour les nations colonisées.

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Dans la section 8 du Capital, Marx décrit ce qu'il appelle l'accumulation primitive du capital. Ces pages, parmis les plus connues et les plus fameuses de l'oeuvre, décrivent somme toute la naissance du capitalisme s'extrayant de l'économie médiévale. Dans l'imaginaire marxiste, l'enclosure of the commons, l'expropriation des communautés paysannes anglaises au profit de l'élevage de moutons, devient rapidement l'acte de naissance du capitalisme moderne.

Lorsque Braudel cherche à décrire la naissance du capitalisme en Europe, il est impossible de ne pas avoir en tête l'effort de Marx. Les deux oeuvres ne se contredisent que dans la mesure où Braudel remonte bien avant l'Angleterre du 17ème siècle, allant jusqu'à l'Italie du trecento et la Baltique de la Hanse, décrivant avec un foisonnement de détails incroyable comment une économie de type capitaliste a pu s'extraire de la base matérielle (les structures du quotidien ou civilisation matérielle ainsi qu'il l'appelle) de l'Europe médiévale, les essais et échecs d'un proto-capitalisme dans la Venise des Medici ou le Bruges de la ligue hanséatique. Cette longue gestation de près de 6 siècles, Braudel en décrit toutes les facettes, économiques, sociales, culturelles et artistiques avec une minutie qui rend humble et doit mettre en perspective toute lutte pour l'abolition du capitalisme. Celui-ci n'a pu s'imposer comme mode de production dominant qu'au terme de 8 siècles d'essai-erreur, de luttes, de révolutions et de contre-révolutions. Le renverser pourrait être une tâche tout aussi colossale que celle de son érection....

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La trilogie du long 19ème siècle d'Eric Hobsbawm est un monument d'histoire marxiste, matérialiste et même didactique. A bien des égards, il reprend la narration là où Braudel l'arrête: comment le capitalisme, qui est devenu le mode de production dominant d'une petite île au nord-ouest de l'Europe est-il devenu le mode de production dominant du monde entier? La thèse d'Hobsbawm est qu'il s'agit de l'oeuvre conjointe des deux révolutions: la révolution industrielle (dont l'économie politique britannique classique est l'incarnation intelectuelle) rend possible une démultiplication des forces productives impensable jusqu'alors, tandis que la révolution française blesse à mort le féodalisme européen et rend possible l'hégémonie du libéralisme politique.

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Eric Hobsbawm est celui qui a popularisé la théorie d'un long 19ème siècle et d'un court 20ème. Le premier est celui de la lente maturation politique du capitalisme libéral. Le second est celui de ses grands défis. La base de sa thèse est que le capitalisme s'est tiré du défi posé par le communisme en se réformant de l'intérieur, voire même que le communisme a sauvé le capitalisme de ses propres excès en l'acculant à la réforme.

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Badiou reprend la thèse Hobwbawmienne d'un court 20ème siècle et entreprend de qualifier sa teneur philosophique. Pour résumer il considère qu'après un long 19ème caractérisé par une dialectique de type hégélienne (basée sur un mouvement ternaire) on passe à une philosophie de la dualité et de la lutte à mort.

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Tooze n'est pas un historien marxiste, loin de là, mais son oeuvre est intéressante pour le marxiste parce qu'elle fait le bilan détaillé et critique du libéralisme au 20ème siècle. The Deluge en particulier relate la brutale réimposition de l'orthodoxie libérale après les hoquets de la première guerre mondiale. Il relate également le relatif échec et les piétinements des idéologies concurrentes. Enfin, le livre termine par décrire quelles sont les failles que celles-ci exploiteront plus tard: dettes de guerres usuraires et politiques monétaires antisociales, déception des promesses de décolonisation non tenues, échec des tentatives de création d'institutions internationnales viables, etc. Il nuance ainsi les théories de rupture radicale entre l'avant et l'après première guerre mondiale. Certes celle-ci fut un défi mortel pour le libéralisme mais un défi que celui-ci put relever avec succès malgré tout.

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Lorsqu'il rédige ses mémoires, Trotsky vit déjà en exil, exil dans lequel il vivra jusqu'à la fin de sa vie, raccourcie de façon brutale par Ramon Mercader (fait héro de l'URSS par Brejnev) à Mexico City. Malgré des conditions de vie précaires, Lev Davidovitch ne cessera jamais de s'impliquer dans le combat pour le socialisme et contre le stalinisme. "Ma vie" peut donc à juste titre être considéré comme une oeuvre de lutte. L'argumentaire suit un double propos: expliquer les racines de ce qu'il voit comme la réaction (bureaucratisante) stalinienne, et justifier sa position par rapport à l'orthodoxie léniniste.

La partie la plus intéressante est de la première. C'est un petit peu "Les dieux ont soif' version soviétique... comment s'est épuisée la ferveur révolutionnaire de l'URSS, comment la mort et les épreuves ont fini par générer la fatigue et la lassitude. Littérairement c'est brilliant. Est-ce pertinent historiquement? C'est une autre histoire...

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Arthur Koestler eut un parcours typique du compagnon de route au milieu du 20ème siècle: d'abord marxiste fervent et loyal (son enthousiasme pour la cause est indéniable et il passera pas loin de la mort pour elle), puis, après 45, contre-révolutionnaire libéral coopté par la CIA (au même tire que des Georges Orwell, Stephen Spender ou John Dos Passos). Pour des raisons évidentes, Koestler glisse pieusement sur ces derniers revirements, et se présentera toujours comme un gauchiste anticommuniste et "antitotalitaire", titre qui fera florès dans la littérature anti-communiste de la guerre froide.